Chapitre 1

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La moindre sortie en ville est un calvaire, même s'il s'agit juste d'aller à la boulangerie en face de chez moi. Regarder les gens qui passent est pour moi synonyme de violer leur intimité. Soit je regarde le sol et dans ce cas-là tout va bien, soit je les regarde et je sais tout. Malheureusement, j'ai beaucoup de mal à observer mes pieds... Je suis tellement maladroite que je me cogne aux poteaux, voire aux passants qui me le reprochent aussitôt et je les regarde finalement dans les yeux.

Mais aujourd'hui il faut que j'aille chez la fleuriste. C'est l'anniversaire de Maman et je veux lui faire plaisir. Elle aime particulièrement les roses blanches, parce que selon elle ce sont les fleurs qui symbolisent le mieux la pureté.

J'hésite un instant devant la porte, prends mon courage à deux mains et sors. Je peux le faire, j'en suis capable. Ça ne peut pas être pire que d'aller en cours.

Il y a quand même beaucoup de monde. C'est l'été et Paris n'est pas épargné, loin de là. Entre les habitants, les touristes, les mendiants, les hommes d'affaires et les autres, je me retrouve là, un peu perdue dans cette ville que je connais pourtant si bien. J'ai l'impression d'appartenir à un autre monde, de ne pas avoir ma place parmi eux.

J'inspire un grand coup et marche, les yeux dans le vide en essayant de croiser le moins de regards possible. Mission impossible, je suis beaucoup trop curieuse. Les couleurs m'attirent irrémédiablement et je me retrouve a détailler les passants.

J'entends énormément de voix sans importance, des « le maillot vert ou le maillot bleu ? » « Et s'il m'aimait... » « J'ai chaud » qui forment une masse informe de mots et de bribes de phrases dans mon cerveau. J'ai mal à la tête, mais ça j'y suis habituée, depuis le temps.

Le problème, ce sont les voix des gens qui ont un passé criminel ou suicidaire. Ceux-là pensent à des choses que personne ne devrait savoir. Non, vraiment personne. Comme ça on se dit que ce n'est rien, que de toute façon on sait. Mais non, on ne sait rien. Quand on y est réellement confronté, ça fait mal, ça vous hante, vous ne pensez qu'à ça, de jour comme de nuit. Je le sais, c'est une expérience que j'ai déjà réalisée. Croyez-le ou non, ça m'est égal après tout.

Je décide donc de passer par les quais. Là-bas il y a moins de monde, moins de voix. Et puis c'est joli. J'aime beaucoup les contrastes entre la couleur du ciel qui se reflète dans l'eau, les pavés gris, la verdure qui pousse en contre-haut et le bois des embarcations. Ce paysage n'égale certainement pas ceux que peuvent offrir les îles paradisiaques, mais il me contente amplement.

Il n'y a pas âme qui vive, tout est désert. Tant mieux, au moins j'aurai l'esprit clair. L'odeur du chèvrefeuille, puissante, chatouille mes narines et j'éternue.

Une péniche attire mon attention, je ne l'avais jamais vue auparavant. Et c'est le genre qu'on remarque, si vous voyez ce que je veux dire. Elle est grande, bien entretenue, avec de larges baies vitrées. Ce n'est qu'au moment où je passe devant que je me rends compte qu'une femme est à son bord.

Soudain une voix parle dans ma tête, je n'entends qu'elle, il n'y a personne d'autre. C'est celle de cette femme. Sans vraiment le vouloir, je me mets à l'écouter avec attention. Ce qu'elle me transmet est insoutenable.

Choc.
Trou noir.

- Mia ? Tu m'entends ma chérie ? Je suis là, ne t'inquiète pas, chuchote une voix.
J'ouvre un œil, deux yeux. Je suis dans une salle blanche, il y règne une odeur de médicaments. Un hôpital je pense. Je tourne la tête et aperçois ma mère. Elle a les larmes aux yeux et cette vision m'est insupportable.

- Joyeux anniversaire, réussis-je à articuler malgré la fatigue qui menace de me faire sombrer à nouveau.
- Tu es réveillée ! J'ai eu si peur ! Raconte-moi tout, que s'est-il passé ? s'exlame-t-elle sans prêter attention à ce que je viens de dire.

Je sais, c'est tout.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant