Chapitre 2

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En sortant du bus, le froid me picote le visage. Je m'engage dans une rue étroite, éclairée par deux rangées de lampadaires à gaz qui diffusent leur lumière dorée et vacillante sur les arbres dénudés. De petites plaques de neige morcellent les jardins stylisés, aux arbustes encore encombrés de décorations de Noël. Je peste contre les pavés glissants sous mes baskets, puis bifurque devant... ma maison. Une bâtisse de style victorien, aux murs de briques rouges et au toit d'ardoise, en tout point identique à ses sinistres voisines, sagement alignées de part et d'autre de la chaussée verglacée. Ses étroites fenêtres éclairées m'annoncent qu'une fois encore, mes parents sont rentrés tôt pour passer la soirée avec moi. Les orteils gelés et les mains ankylosées, je sors prestement ma clé en regrettant la chaleur de Miami. Je ne peux m'empêcher, dans une bouffée de franche mauvaise foi, de les maudire à nouveau pour le choix de cet État – le Massachusetts –, le choix de cette ville – Boston – et surtout celui de ce quartier – Beacon-Hill : symbole du charme de l'Angleterre, dixit ma mère, et qui me donne depuis notre arrivée l'impression de vivre au XVIIIe siècle.

Ma mère... À peine ai-je franchi le seuil, que la voilà qui m'assaille, pétillante de curiosité, et me bombarde de questions.

— Alors... ? Tu as fait des connaissances ? Ils sont sympas les gens de ta classe ? Tu n'es pas trop perdue dans leur programme ? Tu as déjeuné avec de nouveaux amis ?

— Hum... Bonsoir Mam...

Tout en accrochant ma doudoune au portemanteau, je la fusille du regard. Plus tard, d'accord ?

— Eh bien... raconte ! continue-t-elle, totalement indifférente à ma mauvaise humeur.

— Oui... J'ai souvent croisé un certain Sebastian... maugréé-je, agacée, avant de la planter là pour m'enfuir lâchement dans ma chambre.

En passant le pas de la porte, je comprends qu'elle a très certainement passé son après-midi ici, et j'éprouve un instant de culpabilité face à mon attitude désagréable... Elle a vidé la montagne de cartons entassés le long des murs, et que je n'avais pas encore pris la peine de ranger depuis notre installation, quelques jours plus tôt. Mes livres – des BD et des mangas pour la plupart – sont maintenant alignés en piles régulières sur la moquette, attendant que mon père finisse de monter mes étagères...

Oh... et ma barre est dorénavant fixée au mur...

Mam, j'ai tiré un trait définitif sur la danse, tu le sais !

Ma colère et ma peine reprennent le dessus, avant de me souvenir que ma mère n'agit toujours que poussée par de bonnes intentions.

Mon regard se pose ensuite sur le bureau qu'on vient tout juste de livrer, déposé sous la haute fenêtre en ogive donnant directement sur notre petit jardin. Et là, bien en évidence, un Mac dernier modèle est installé et allumé... prêt à l'emploi.

J'hésite un instant, tends la main vers la souris posée à ses côtés... et soudain, les souvenirs affluent en un raz de marée au goût saumâtre, me faisant monter les larmes aux yeux : C'est toi qui devrais être morte ! Va brûler en enfer ! C'est ta faute...

À la mort d'Ever, ma page Facebook avait été inondée de messages d'insultes... sans parler des menaces...

Je me laisse choir sur le lit aux draps impeccablement tirés, alors que je n'ai laissé derrière moi ce matin qu'un amas froissé par une nuit agitée... une autre. Je me souviens du néant, quand mes amis m'ont gommée de leur vie avec une facilité déconcertante. Quant aux rares qui ont voulu me soutenir, c'est moi qui les ai fuis.

Voyage InterditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant