Chapitre 4

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Sebastian :

Pourquoi est-ce que je ne peux pas au moins ressentir les caresses de ma mère, de ma sœur ou de mon père ? Pourquoi je ne sens pas leurs larmes sur ma peau, alors que je les vois tomber de leurs yeux implorants ?

Tout ce que je sais, maintenant, c'est que je suis vivant. Mais je suis aussi conscient, même si personne ne s'en rend compte !

Je tiens sûrement une sacrée cuite ! Au réveil, ma mère va me taper un scandale... Mais on a gagné ce match démentiel, il fallait bien fêter ça !

***

À mon arrivée au lycée, le regard de certains élèves se pose encore sur moi, mais je manie désormais avec brio l'art de la non-communication et m'éloigne rapidement, au risque de passer pour la nouvelle asociale du lycée, ce qui me laisse clairement totalement indifférente. Soudain, le prénom de Sebastian attire mon attention, s'échappant de la discussion animée d'un petit groupe d'étudiants de ma classe qui marchent devant moi. Je ne peux m'empêcher d'accélérer le pas et de tendre l'oreille. Depuis mon arrivée à l'Exel Academy deux jours plus tôt, sa place est restée désespérément vide. Personne n'a le droit ni le privilège de l'utiliser et le fameux Sebastian n'a toujours pas fait la moindre apparition.

Bon OK, mais comment va-t-on s'y prendre ? s'inquiète Marc.

— Eh bien, comme pour un anniversaire normal ! répond Jenny en haussant les épaules. Un gâteau, des bougies, des cadeaux... Tu en penses quoi, toi, Rebecca ?

— C'est vraiment une chouette idée, mais on risque de nous refuser l'accès, lui fait remarquer timidement ladite Rebecca, l'autre fille de la petite bande. Il faudrait que ce soit sa famille qui fasse la demande pour commencer et...

— Non, je m'en occupe, la coupe Jenny avec assurance. Et je suis certaine que notre surprise lui fera du bien ! Par contre, pas la peine de prévenir tout le monde, hein... Évite-nous la présence de Miss Blondasse, si tu vois ce que je veux dire... termine-t-elle dans un petit rire.

— C'est plutôt étrange de fêter son anniversaire de cette façon... continue Brian, charmant petit blond qui complète le quatuor. Mais avec un peu de chance, d'ici là...

J'aurais aimé en apprendre davantage, mais j'ai cours de mandarin et aucun de ces quatre-là n'a choisi cette option... Je regagne ma classe, intriguée. Ils ont l'air de bien se connaître, je ne les ai jusqu'ici jamais vu se séparer durant les pauses de la journée et le fameux Sebastian occupe une grande partie de leurs conversations. Je ne sais toujours rien de ce mystérieux garçon, pourtant il a réussi à piquer ma curiosité et accapare désormais presque toutes mes pensées.

— N'oubliez pas vos traductions pour la semaine prochaine, claironne la prof de sa voix suraiguë, quand la sonnerie retentit.

La journée s'écoule, identique à la précédente : monotone et silencieuse. Une classe, un cours, un prof, des notes... et l'intercours qui me mène dans une autre salle, pour un autre cours donné par un autre prof tout aussi passionnant... Rien ne m'atteint, personne ne peut plus traverser ce nuage de coton dans lequel chaque nouveau matin me plonge...

Mais à qui donc avouer que je mène une double vie : la journée, au bahut – aussi discrète et absente qu'un fantôme – et la nuit, à l'écart de toute réalité – voyageant hors de mon corps ?

***

Sebastian :

C'est un putain de cauchemar ! Mes journées se ressemblent toutes. Chaque matin, j'accompagne ma sœur, au collège puis mes parents sur leur lieu de travail... Je les observe, je leur parle, je les vois essayer de vivre – ou plutôt de survivre.

Tout ceci n'a aucun sens, je ne peux pas être dans cet état juste à cause d'une cuite monumentale... Qu'est-ce que j'ai fait après ce but magistral... Qu'est-ce que j'ai fait !?

Les heures passent, et sur leurs visages apparaissent ces traces qui s'apparentent à la peur de voir tout espoir s'envoler. Elle s'incruste, et par étapes successives, laisse une empreinte qui trahit leurs inquiétudes.

Ma mère a des rides récentes, et elle a perdu du poids. Mon père a pris dix ans en quelques jours à peine. Il marche, ou plutôt se traîne, comme s'il portait le monde entier sur ses épaules.

Quant à Kelly, mon petit bouchon... Elle ne rit plus, ne souris même plus, et l'angoisse m'étouffe à l'idée qu'elle finisse par disparaître, elle aussi, tant elle paraît fragile.

Les heures s'écoulent et la peur les ronge, les dévore tout comme moi. Le temps s'égrène et me piège dans ce néant, au cœur de ce vertige.

J'ai conscience que si je ne me réveille pas, je quitterais la partie, définitivement.

Les apprentis sorciers s'acharnent autour de moi, les examens s'enchaînent, et tout ça pour quoi ? Ils n'offrent qu'une illusion de réalité à ma famille, à mes amis... à moi !

***

Je n'ai plus le courage de retourner chez Ever. Je me contenterai désormais de me rendre dans notre ancienne maison et de visiter celles de parfaits inconnus. Dans cet autre monde, immatériel, ma souffrance s'évapore et m'accorde une ombre de paix... tant que je reste loin de la maison de mon amie. Même si la douleur et la honte m'assaillent au réveil, j'accepte encore d'offrir ces instants de répit à mon esprit usé par la peine et la culpabilité.

L'avantage du voyage astral, c'est qu'il me suffit de penser à un lieu précis – ou à une personne qui lui est associée – pour m'y retrouver en quelques secondes. Sebastian parasitant bien trop mon cerveau depuis ces deux derniers jours, je décide de faire un saut chez lui, cette nuit. Pour nous offrir une petite rencontre à ma façon...

***

Sebastian :

Il est peut-être déjà trop tard, en fait. Je suis peut-être déjà perdu pour eux... pour ce monde. Ce n'est peut-être qu'une question de minutes, d'heures, de jours ou de semaines avant que je ne disparaisse complètement. Peut-être même ne me reste-t-il que quelques secondes...

Mais cela ne sera-t-il pas mieux que tout ce vide, cette douleur et cette attente qui ronge ma famille comme un mal incurable... ?

Il faut que ça s'arrête... pour eux, pour moi... J'ai besoin que l'on m'aide à faire cesser tout ceci !

***

Voyage InterditOù les histoires vivent. Découvrez maintenant