Chapitre 1-Edgar

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Chapitre 1

Partie I

Edgar


Épais rêve enchanté que la brume attachée sur les sommets de Monte-Merveille. Le soleil y éparpillait ses premiers rayons, diffusant sa splendeur. A la fenêtre, seules quelques plaques de neige évoquaient encore la terre. La chambre elle-même semblait suspendue, en ce temps si aérien.

Muni de hauts baldaquins, le lit avait été fait, ou du moins, n'avait pas été défait. Les préparatifs avaient été longs... Trop longs pour dormir... Les malles devaient partir dès aujourd'hui, et certaines lames se devaient de rester secrètes. Muettes. Sans un bruit, à peine ses fins pieds prenant la peine d'effleurer sol si humble, Edgar approcha de son armoire. Précieuses étoffes de satin, nobles robes de soie, douces vestes de tissu, mais aucune de la splendeur de Vert-Pin. Cette vie de cour, loin des plaisirs qu'il s'était approprié, était remplie de faussetés, de mensonges. On frappa à la porte :

"-Entrez."

Sa puissante voix résonnait dans les appartements.

"-Votre père m'envoie vous quérir, ser."

Une silhouette frêle était apparue. En tenue de bonne, la jeune fille devait être entrée dans l'âge adulte depuis peu, en témoignait sa douce timidité.

"-Bien Rose, je lui ferai l'honneur d'agréer sa demande. Autre chose ?"

"-Non, ser."

Elle abaissa la tête, signe de soumission. Sur un geste, il la fit renvoyer à ses tâches. Dans un souffle, le placard se referma. Quelqu'un toqua encore, à la baie vitrée. Personne. Un triste sourire se peignit sur les traits du prince.

"Quand l'ombre aura frappé à ta porte, venge l'affront fait à sa Justice, obéis à ton destin, sans te poser de question, sans te poser de réserve, obéis, venge."

Alors que rien ne semblait avoir bougé à l'extérieur, une simple enveloppe gisait sur le balcon. Blanche à l'odeur sauvage. Paisible à la senteur de feuille, reflet d'une existence bien lointaine. Le froid hérissait ses poils. Edgar quitta la douce brise hivernale et s'installa dans son fauteuil de bois, laissant le gel dans son univers sans frontières. Avec des gestes précis, il craquela le fin papier.
A l'intérieur, une clef de bronze, une lettre et une fleur séchée. Une Vriesia... Même longtemps après sa cueillette, son parfum restait la douce drogue des matins surpris au lit par le soleil... Petit à petit, sa couronne de sépales vint choir sur le parquet. Plumes lâchées par l'aigle dans les hautes montagnes. Il n'en resta qu'une. Si fragile et si frêle, mais à la fois si puissante et si passionnante. Edgar décrocha une petite bourse de son ceinturon. Un simple fil en argent la maintenait. Il n'en fallait plus. Comme la fin d'une vie, comme l'attirance de la Fin, le pistil chuta, inlassablement, vers le fond ; vers sa proie. Trois pétales l'y attendaient déjà. Trois fleurs mourraient déjà.

Pesante pour sa taille, la clef, elle, semblait raconter son histoire au travers des accrocs de sa patine. Travail d'orfèvre, elle devait valoir bien plus que certains coffres-forts. Hélas, le temps y avait laissé sa trace... Hélas, la vie y avait laissé son empreinte... Marque que l'horloge ne pouvait qu'aggraver.

Edgar secoua violemment la tête. Un roi l'attendait. Et on ne faisait pas attendre un roi.

Ses chausses lacées, le prince accrocha les lanières de son fourreau vide. Il n'était pas encore chevalier. Onze ans d'absence l'en avaient privé. Mais Vert-Pin l'avait formé, et Père l'ignorait. Et Monte-Merveille l'ignorait. Et Rocfer l'ignorait. Et tous l'ignoraient. Hormis Vert-Pin.

Les Vestiges Des Damnés [CS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant