Chapitre 12-Souverain Baffoué

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Chapitre 12

Edgar

La brume s'était retirée, exhibant pour offrande la vue d'un paysage que personne n'avait jamais aperçu. Que personne n'avait jamais entrevu. Depuis sa création. Depuis sa conception. Hormis le crachin surplombant la vallée. Monte-Merveille restait accroché dans ses cieux, avec pour seul objectif surveiller les venues de simple mortels en son cœur. Son cœur de pierre. Car Rocfer ignorait la pitié. Car Rocfer ne concevait pas la souffrance. Hormis celle de la brume, condamné à errer sans que jamais on ne vienne la consoler. La prier. Percée dans ses hauteurs, elle n'était pas l'égal de ceux qu'elle côtoyait. De ceux qu'elle veinerait.

Mais aujourd'hui, le brouillard s'était retiré, accepté par un quelconque panthéon. Il ne gardait plus son troupeau d'infantiles êtres. Ils étaient livrés à eux même. Plus personne ne les aiderait à gouverner. A vivre. Survivre dans un monde où les croyances seraient remises en cause. A travers les guerres, seul l'Histoire était parvenue à se créer une image. Mais elle en oublierait bien vite la mémoire. La reconnaissance des vaincus serait effacée. Les vainqueurs seuls imposeraient leurs visions des batailles sans que les livres ne viennent les contredire. Car ce seraient eux qui les rédigeraient.

Mais la bruine ignorait l'existence de Vert-Pin. Mais Vert-Pin avait choisi d'ignorer la présence de la bruine. Alors la vie continueraient de s'écouler, avec de nouveau aspirant. Avec de nouveau trône. Mais avec la même ombre qui roderait pour toujours dans le dos des couronnes. Qui surplomberait les montagnes des empires.

Mais aujourd'hui, le brouillard s'était retiré. Monte-Merveille avait chuté. Et le trône était à la merci de l'ombre. Convoité par l'un. Rechigné par l'autre. Le pouvoir était un danger. Et le noble siège ne souhaitait qu'une bienveillante aide pour conserver ce joyau.

Edgar avança dans l'allée de gravier qui l'escortait jusqu'à l'immense masse taillé dans la pierre. Taillé par la chair. Il rentrait chez lui. Avec pour l'accueillir le désir de le voir partir. Retourner vers la patrie où l'on avait choisit de exiler. Emmenant avec lui la promesse de guerre sanglante. Emmenant avec lui la seul défense à la promesse d'une guerre avenante.

Ils ignoraient encore la douleur de la Mort. Ils ignoraient encore ce que côtoyer les champs de bataille représentait. Ils ignoraient encore plus la douleur de perdre celui qu'on avait élevé, la faute seul à la réticence de voir un autre gouverner.

Personne ne l'accueillit aux portes de la demeure. La roche qui le surplombait elle-même ne semblait pas vouloir de sa présence. La nature le rechignait. Le pouvoir de l'incontrôlable était bien plus grand que le pouvoir lui-même. Edgar tremblait.

Il poussa la porte avec toute l'assurance qu'il avait réussi à mobiliser. Bien maigre force lorsqu'on s'apprêtait à destituer ceux qui avait permis sa venue dans le monde. Il venait de franchir un pallier. Un univers. Il entrait dans sa nouvelle demeure. Son nouveau fief. Vert-Pin avait fait de lui le roi, le temps d'une année. Le temps que soleil se lève et le perce. Et transperce l'ombre qu'il devait devenir. Car c'est dans l'ombre qu'on lui décernerait sa couronne. Le véritable souverain resterait son père. Faute de descendance. Faute de condescendance.

Quatre elfes se précipitèrent vers lui. Il était attendu. Lui, l'Emissaire, devait remplir sa fonction. Et n'était permise que son interprétation. On lui ôta son manteau de voyage ainsi que sa garde d'apparat. La pluie avait alourdi la tenue. Le sol en accueillait les derniers décombres, imbibant le tapis de lin rouge. Il serait bientôt remplacé. L'émeraude sciait mieux dans ce palais. L'émeraude sciait mieux à Vert-Pin.

L'heure n'était pas au repos. Mais aux grands mots. Sans qu'il n'eût le temps de s'abreuver, on le traîna dans des couloirs qu'il connaissait bien mieux que les guides. Les hauts plafonds étaient autant d'œil qui le surveillait. Et il s'en méfiait. On l'emmena devant une porte qui était loin de lui être inconnu. Le même faucon le fixait toujours avec autant d'ardeur. Et il en ressentait encore les néfastes effets. Symbole d'une évoque révolue qui continuait d'éparpiller ses empreintes pour ne pas tomber dans l'oublis. Pour continuer à causer des soucis. De l'autre côté son père l'attendait. Avec autant de impatience que son peuple pouvait l'exiger. Il était là pour garantir pérennité. Edgar saurait le combler.

Le bâtard poussa les portes.

"-Bonjours père."

Le visage du roi se transforma. Les sentiments qu'il éprouvait s'enduire un à un sur son visage enlaidi par le temps. Artiste sentimentale en mal d'idéal. On lui envoyait son propre fils pour négocier les termes de paix. On employait un fils contre son père. Un fils contre ses amis. Un fils contre son peuple. Hadrien avait été trahi. Par lui-même. Par Edgar. Par Vert-Pin.

"-Que fais-tu là ?"

Sa voix était ferme, ne souffrant d'aucune contestation. Des étoiles brillaient dans ses yeux. Et elles ne tarderaient pas à s'écraser sur sol si prétentieux.

"-L'ordre m'a été donné de venir conseiller un père en mal de bien être. Je suis là pour te permettre de garder autorité sur ton royaume réfuté. Aux lieux de me haïr, aime moi comme tu aurais dû le faire depuis des années. Au lieu de fêter mon départ tu aurais dû le pleurer. On t'enlevait ton seul fils et tu n'as cru bon que de t'offrir une coupe."

Edgar voyait ses émotions défiler devant lui. Flot ininterrompu d'images aussi belles que malhonnêtes. Aussi joyeuses qu'infructueuses.

"-Ce jours ou tu as brandi ton verre tu as choisi de m'ignorer. Mais je suis là. Formé. Prêt. Je ne serais jamais chevalier. Mais je suis Bâtard de Vert-Pin. Et cela reste le plus beau cadeau que tu m'aies fait. Que vous m'ayez fait, monseigneur.

J'ai ici avec moi les propos d'un traité qui vous permet de garder pouvoir. Un accord qui garantirait votre survie. Celle du royaume. Un pacte qui peut sceller l'alliance de leur survie. A vous de faire choir la balance qui vous sert de cœur. Vert-Pin sait traiter à juste valeur qu'on soit ami ou ennemi. Mais l'erreur n'est pas permise, car elle est signe de faillite. De la faiblesse qui vous caractérise vous, humain. Que votre pensée guide votre main.

Au revoir monseigneur."

Cette fois ci, c'était lui qui trempait dans un complot. C'était lui qui avait donné son accord. La haine avait envahit Hadrien. Mais ce fut Edgar qui passa les portes, sans un bruit. Sans un mot. Sans un regard de plus pour son père. Pour son roi. Pour sa marionnette. Le bâtard était devenu roi. Le temps d'une année. Le temps d'une invasion. En espérant que le futur accepterait sa requête, en n'ayant jamais besoin de reconquête. Pour que la Lyre soit à jamais libre et unique. Belle et pudique, condamnant ceux qui viendrait la violer. Elle, son territoire et ses habitants.

Que les Damnés soit maudit par l'enfer qui les avait admis avec pour seul critère l'envie d'en avoir fini. Vert-Pin saurait veiller sur son continent. Créateur saurait veiller sur son Paradis. Empêchant Damnés de conquérir. Empêchant Enfer de s'agrandir.





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Les Vestiges Des Damnés [CS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant