Chapitre 7-DeLaFalaise

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Chapitre 7

Edgar

Derrière le palais de DeLaFalaise, le soleil restait dissimulé, comme s'il avait choisi de laisser les honneurs à cet amas de pierre magnifié par les hommes. L'astre était si modeste, que dans sa bonté, il éclairait un monde, dont il en ignorait jusqu'à l'existence. L'homme, lui, si prétentieux, si vaniteux, n'avait trouvé autre moyen de combler sa vie que de créer castes et classes, enfonçant pauvres êtres, divinisant grands fous. Ridicule point sur une planète si grande. Simple rien sur une Terre si puissante. Car parfois, s'effacer valait bien mieux que recevoir le prix de flagrante injustice. Et ça, les divines étoiles l'avaient compris.

Colosse de granit au toit soigneusement décoré de nervures d'acier, le château semblait briller, éclairé de mille torches. Mais les flambeaux étaient éteints. Mais les cierges étaient consumés. Laids. Difformes. Le palais ressemblait fortement à ces vieillards dont la patience n'avait pour limite que la mort et dont les doigts étaient aussi noueux que le chêne planté à l'origine de toutes forêts. Justement, dissimulé dans son imposante ombre, de petites bâtisses foisonnaient, tel les champignons autour de cet arbre ancien. Le tout formait comme un mauvais conte, rédigé à la va vite par le clairon pour satisfaire public impatient.

Personne n'avait jamais su trouver le courage de paver les ruelles de la ville. Les jours de pluie, la cité se transformait en véritable dédale, où chaque pas arrachait une lamentation sourde à vos chausses, souillées par la boue. Le reste du temps, les vents, qui sifflaient abondamment sur la plaine, soulevaient des nuages de poussière à enfumer les poumons de ceux qui osaient se déranger en dehors de leur confort.

Tout autour de la ville, des champs s'étendaient à perte de vue, agrémentés de quelques petites maisons pour ceux préférant le calme des journées des prés aux désagréments de la ville. Ainsi, la frontière entre terre et ciel, n'était constituée que de couleurs chaudes et heureuses. Variées et hasardeuses.

Le roi, lui, n'avait pour cour que brebis et chèvres. Depuis des décennies, les nobles n'existaient plus dans cette contrée désuète. Moquée. Raillée. La famille royale ne souhaitait qu'une chose : partir. Mais leurs obligations les en empêchaient. Mais leur courage les en dissuadaient. La plupart du temps, ils restaient cloîtrés, tels des moines transcendés par la peur de se faire punir, de se faire haïr, rendant des décisions qui n'affectaient plus qu'eux.

La populace, elle, n'était que rustres hommes de campagne et bonnes femmes tempétueuses, attirés par la promesse de chaleureux foyers. Empilés les uns sur les autres dans des conditions dignes de galeries à bestiaux, ils continuaient pourtant à affluer, remplissant les porches et les abattoirs. Certains en avaient perdu leur conscience. Certains en avaient égaré leurs croyances. Si bien qu'il n'était pas rare dans la rue de croiser un bienheureux distribuant ses denrées en échange de quelques sourires forcés. "Pour la Miséricorde du Dieu" chantonait-il.

Devant Edgar se dressaient les modestes portes de DeLaFalaise. A peine plus que de simples palissades. Rares étaient ceux qui se voyaient arrêtés par ces sommaires panneaux de bois. Ils étaient plus dissuasifs qu'embellissant. Plus emblématiques qu'intimidants. Quelques lignes de métal venaient pourtant ajouter un léger brin de stabilité dans cet enchevêtrement de poutres. Un garde à moitié saoul surveillait les allées et venues. La région dépérissait grandement. Et rien n'altérerait sa décadence. Hormis le temps.

D'un pas léger, le bâtard entra à l'intérieur de la ville. Aujourd'hui, une joyeuse cohue venait fêter le jour du marché. Une fois le mois, un bruit infernal survolait une foule rassemblée spécialement pour l'occasion. Rien ne semblait pouvoir arrêter ce flot ininterrompu, la plupart du temps avide de nourriture et de grandes discussions. Discrètement, Edgar traversa les ruelles. Sans un bruit, il franchit les venelles.

Les Vestiges Des Damnés [CS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant