Évidence

14. Poids

Nous étions mardi, quand mon téléphone sonna sur la table de chevet, à huit heures et quart. J'entendis Lauren bailler et je tendis mon bras pour atteindre mon portable. C'était un numéro inconnu, et anglais.
-"Yes?"
-"Camila! Surprise! Je suis à Londres!"
Cette voix familière était celle de ma mère. Un courant de panique me pris et je me redressai subitement.
-"Maman?? Attends, mais quoi??"
-"Oui ma chérie!! J'ai pris un train tôt ce matin, j'avais besoin de voir mon bébé. J'ai un congé jusqu'à demain soir, j'ai tout arrangé. Tu viens me chercher?"
Tout se bascula dans ma tête. Maman n'était pas au courant pour Lauren, elle n'était pas au courant du fait que je vivais chez elle et pas chez Charlotte. Elle ne savait pas que je m'étais séparée d'Alex non plus...
-"Euh Maman...Je...Je vais faire de mon possible, ok? Tu comptes dormir chez Lau...euh Charlotte?"
-"Non j'ai réservé un hôtel! Dépêche-toi, il fait vraiment froid ici. St Pancras, n'oublie pas!"
-"Ok, donne-moi moins d'une heure."
-"Très bien. À toute mon cœur."
Elle raccrocha en me laissant face à cette situation, dans le lit de ma petite amie dont elle ignorait l'existence.
-"Lauren, on a un problème."
-"Quoi??" demanda-t-elle en se redressant aussi.
-"Ma mère vient d'arriver à Londres. Il faut aller la chercher."
Un regard un peu inquiet s'éveilla chez la peintre et elle se leva.
-"Vas prendre une douche de ton côté, j'irai du mien, panique pas bébé." dit-elle en s'avançant vers moi.
Elle se pencha et embrassa mon front, puis partit vers la porte et disparut.

Sous la douche, je pensai aux possibles explications que je devais fournir à ma mère. J'étais prête à lui dire pour Lauren et Alex, tout ce qui me concernait. Je n'avais pas vraiment le choix, je ne pouvais pas lui mentir. Je ne m'attendais pas à une réaction positive voire compréhensive de sa part, c'était déjà un très gros poids de savoir que sa fille vivait désormais seule dans une grande ville. Elle me manquait aussi mais j'appréhendais son arrivée et surtout le jugement qu'elle porterait sur Lauren, même si cette femme était de loin la plus adorable au monde. Lauren comptait tellement pour moi que je n'aurais pas supporté un mauvais regard sur elle venant de ma mère. Une part de moi-même savait que ma mère était tolérante et ouverte d'esprit, mais c'était tellement nouveau pour moi que j'en restais douteuse. C'était très important et comme d'habitude, le destin avait pressé les choses.

Dans la voiture, Lauren avait mis la radio et ne semblait pas très nerveuse à ce qui nous attendait. Elle baissa le son quand nous étions à mi-chemin.
-"Ta mère ne sait rien du tout?"
-"Non, rien du tout. Elle ignore que j'ai rompu avec Alex, elle ne sait pas que tu existes et que je vis chez toi, et j'espère que ça ne te vexe pas. J'avais juste envie de laisser ma vie privée en dehors de ma relation mère-fille. Tu comprends?"
Elle posa sa main sur ma cuisse et acquiesça.
-"Je lui dirai la vérité, parce que je suis prête et je ne vois de problème, elle ne peut rien m'imposer et ce serait d'une grande bassesse qu'elle juge ma vie, vu que c'est ma mère."
-"Oui totalement. Je suis fière de toi, certaines personnes n'assument pas leur sexualité des fois. Enfin, étant donné les circonstances, je m'attendais à un énorme blocage de ta part face aux parents et j'étais prête à jouer le rôle de la fausse amie pour toi."
-"La sexualité c'est un mot absurde. J'aime qui j'aime et je ne me colle pas d'étiquette. C'est gentil, Laur'. Merci énormément."
-"T'as sûrement raison. De rien, bébé. Essayons de trouver une place maintenant."
Elle se mit à chercher et après un quart d'heure, nous cherchâmes ma mère cette fois. Elle était dans un petit café dans la gare et attendait patiemment mon apparition. Quand elle me vît, elle se leva directement et se dépêcha de me prendre dans ses bras.
-"Mila! tu m'as tellement manqué!!"
-"Toi aussi Maman."
Après plusieurs cordialités maternelles, elle pencha sa tête pour observer Lauren qui était derrière moi. Elle semblait troublée, comme je l'avais pressenti.
-"Qui est cette jolie fille, poussin?" demanda-t-elle.
-"Lauren. Mais...Justement, allons nous asseoir, j'ai plusieurs choses à te dire, Maman."
Elle me regarda avec des gros yeux mais sourit en prenant place sur la banquette qu'elle venait de quitter. Lauren me regarda, confiante et elle suivit ma mère. Je m'assis en face de cette dernière et à côté de Lauren. Je pris ma respiration très profondément, ce qui inquiéta ma mère. Elle commençait par me poser plein de questions, auxquelles je mis un terme.
-"Maman, s'il te plaît, écoute-moi." ordonnai-je fermement.
-"Je t'écoute." elle avait dit ça comme si elle avait attendu que je le fasse.
Lauren serra ma main sur la banquette et je sentis mon cœur battre à un rythme que je ne pouvais pas calculer.
-"Je...je ne suis plus avec Alex. Ça fait depuis mon départ de Paris, voire même avant."
Elle fronça les sourcils et parut un peu déçue et perdue.
-"Mais...Vous étiez tellement...amoureux? Je pensais vraiment qu'il allait devenir mon gendre, Camila. Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt?"
Je soupirai, j'avais attendu cette question.
-"Je n'avais pas envie. Ça reste ma vie personnelle mais étant donné les circonstances, j'ai besoin de tout te dire."
-"Quelles circonstances, Camila?"
Je regardai Lauren. Elle m'adressa un sourire encourageant et je comptai jusqu'à trois pour poursuivre.
-"Je suis en couple avec Lauren."
Elle blanchît et ne dit rien, elle attendait que je me justifie, sans doute.
-"On s'est rencontrées à l'aéroport, avant le vol. On l'a passé ensemble et j'ai passé beaucoup de temps avec elle après. J'ai ensuite presque emménagé chez elle, vu que la dame chez qui je travaille n'a pas besoin de moi pour l'instant. Ça ne fait pas longtemps qu'on a vraiment officialisé les choses mais, crois-moi, je suis heureuse, Maman. Et je sais que ça peut paraître, et ça l'est d'ailleurs, surprenant, improbable et bizarre, précipité. C'est ce que je pensais aussi, mais tu vois où on en est. On s'aime et c'est tout, y a pas plus simple. Je sais que tu vas l'accepter, t'as jamais été intolérante et ne me dis pas que c'est une phase, j'ai pas 14 ans. J'attends pas de toi que tu sois là à m'encourager à épouser Lauren, où même à paraître enchantée. J'attends juste de toi que tu acceptes Lauren aussi, et je suis sûre que vous allez bien vous accommoder. C'est la plus belle aventure de toute ma vie et merci de m'avoir poussée à prendre cet avion."
Elle ne disait rien. Elle hochait la tête, simplement, compréhensive. Que voulais-je qu'elle dise de toutes manières? Je l'avais mise devant le fait accompli et j'acceptais son choc ou sa surprise, je pense que j'aurais réagi pareillement. Mais je me sentais bien. Voire mieux, et très bien. Je me sentais légère, comme si on m'avait enlevé un poids de la poitrine. J'avais tout dit à ma mère et je me sentais honnête envers elle et moi-même. J'étais heureuse.
-"Je suis très contente pour toi, pour vous deux, Camila. Je suis vraiment surprise, je m'attendais à tout sauf à ça. Mais je suis heureuse."
Elle caressa ma joue et tourna son visage vers Lauren.
-"Maintenant on peut se présenter, vu que Mila l'a à peine fait."
Elle se pencha en riant pour faire la bise à Lauren.
-"Je ne sais pas si Camila l'a mentionné mais je suis Sinuhe."
-"Si, moi c'est Lauren."
Maman hocha encore sa tête et commença à interroger Lauren sur sa profession, ses études etc. Lauren répondit le plus simplement possible, avec modestie même si ma mère paraissait impressionnée par son parcours. Le temps s'écoula et Maman en avait profité pour en savoir plus sur nous.
Vers onze heures, je proposai à ma mère de déposer ses bagages à l'hôtel et de l'emmener faire du shopping dans l'après-midi pour la garder occupée. Elle accepta et nous nous retrouvâmes rapidement toutes les trois dans sa chambre d'hôtel. Heureusement, il était à deux pas de St Pancras. Cela étant fait, Maman nous demanda si nous voulions déjeuner au restaurant de l'hôtel.
-"Je suis partante." dis-je en éteignant la TV.
Maman se changeait dans la salle de bain, et criait à travers la cloison. Lauren était avec moi sur le divan. Elle tourna sa tête vers moi.
-"Je ne peux pas pour ce midi et cet aprèm, Camila. J'ai un déjeuner avec le responsable de la galerie, comme je te l'ai dit hier soir."
-"Ah oui c'est vrai! Tu ne voulais pas que je vienne, en plus?"
-"Si mais ta mère est là donc t'en fais pas, j'irai seule je te raconterai tout ce soir." annonça-t-elle calmement.
J'acquiesçai et je l'embrassai rapidement.
-"Ca va bien se passer, stresses pas."
En effet, la peintre avait un déjeuner important avec le responsable de la National Portrait Gallery de Londres. Il l'avait repérée grâce à ses expositions et avec l'aide de Frantz. Il voulait la rencontrer et peut être lui proposer d'exposer ses toiles dans son établissement. Ce qui m'enchantait, car Lauren était très talentueuse.
Ma mère sortît de la salle de bain, nous partîmes au restaurant, et je dis au revoir à Lauren.

Pendant le déjeuner, Maman me fît un debriefing sur la vie à Paris. Même si on se parlait souvent par le biais téléphonique, j'étais ravie d'en entendre un peu plus sur cette routine qui me manquait un peu, à ma plus grande surprise. J'avais vraiment envie de revoir ma sœur et mon père, et ma mère me promît de les emmener bientôt. Elle voulait quand même que je vienne un peu pendant l'été, et je lui répondis que j'y réfléchirai. Après m'être goinfrée, nous poursuivîmes cet après-midi à faire les boutiques. En passant par un joli petit magasin de peinture, j'achetai quelques carnets de croquis à Lauren, vu qu'elle ne peignait plus trop en ce moment. Elle esquissait beaucoup, mais elle me disait que c'était juste une passe. En plus, elle allait sûrement être amenée à peindre plus si le responsable de la galerie lui proposait quelque chose. Je lui souhaitais.

Quand je raccompagnai Maman à son hôtel, elle me fît jurer de rester avec elle le lendemain, jusqu'à qu'elle parte et je lui dis qu'elle n'avait qu'à venir chez Lauren. Elle accepta et je montai dans mon taxi pour rentrer à l'appartement.

Dans la cage d'escalier, j'entendis de la musique qui provenait sûrement de chez Lauren. J'entendis aussi son rire et celui de Frantz quand j'ouvris la porte d'entrée. En effet, la musique était celle de Lauren, qui était assise sur un des sofas avec Frantz à côté. Ils buvaient du vin blanc et étaient entourés d'un gros nuage de fumée. Lauren me vît et baissa la musique pour me rejoindre. Elle m'embrassa, ravissante dans sa petite robe rose pâle, qui restait formelle.
-"T'as passé une bonne journée mon cœur?" me demanda-t-elle en me conduisant jusqu'au centre du salon.
Je répondis que oui et fis la bise à Frantz. Frantz regardait Lauren avec assistance, je ne comprenais pas pourquoi. Vu que Lauren n'avait pas saison son message mais que moi oui, il se leva.
-"Bon, les filles, moi j'ai une crémaillère ce soir..." articula-t-il avec gêne.
-"Chez qui?! Pourquoi tu m'as pas pistonnée?"
Lauren avait dit ça comme si cette crémaillère allait changer sa vie et Frantz évita mon regard, je ne saisissais pas ce qu'il se passait.
-"Chez...euh Gabriel. J'y ai pas pensé, mais une prochaine fois, hein Camila."
-"Ouais mais ça m'étonnerait que ton Gabriel déménage aussi souvent que tu ne l'entends." répondis-je.
Frantz me frotta le bras en passant et entraîna Lauren jusqu'à la porte d'entrée, et celle-ci grommela qu'il connaissait très bien le chemin. J'entendis des chuchotements quand la porte se referma et quand Lauren arriva en me prenant par la taille. On s'assît et j'allumai une cigarette en m'affalant sur les cuisses de la peintre. Elle me caressait le visage et semblait soucieuse.
-"Tu voudrais me dire quelque chose, Laur'?"
Elle posa ses yeux par terre et mît du temps à répondre.
-"Comment ça s'est passé, ton déjeuner?"
J'avais surenchéri afin qu'elle réponde plus vite.
-"À vrai dire, oui ça s'est même très bien passé. Mais y a quelque chose dont il faut qu'on parle."
Maintenant c'était moi qui étais soucieuse. Je détestais cette phrase. Je me relevai pour mieux la fixer. Elle déglutît et me regarda dans les yeux.
-"Ils m'ont proposé un poste à plein temps dans une des galeries avec qui ils sont en partenariat. Ils ont beaucoup de contacts avec eux et ils m'ont recommandée, car ils n'ont plus de place chez eux. Ils veulent que je sois la nouvelle responsable de la catégorie Modern Art au Metropolitan Museum of Art."
-"Mais c'est merveilleux, Lauren!!" dis-je en lui prenant les joues pour l'embrasser.
-"Bébé-"
-"J'suis tellement fière de toi, tu dois accepter!!"
-"Cami-"
-"J't'avais dit que ça se passerait bien, d'ailleurs je t'ai acheté des carnets de-"
-"Camila. Le poste est à New York."

// note de l'auteur: voilà le chapitre 14!! il a pris moins de temps que le précédent et j'espère que vous aimez le plot twist 🤗🤗🤗 (un peu + dense aussi comme promis) je fais de mon possible pour publier le #15 d'ici le milieu ou la fin semaine prochaine. n'hésitez pas à me faire part de vos avis!! bonne soirée💕 (p-s: s'il y a des lecteurs ou proches de lecteurs belges touchés ou peu importe, soyez forts et restez solidaires ❤️🇧🇪🕊)
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