Prologue

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Je suis morte, enfin je crois. Pourtant j'ai l'impression d'être dans de l'eau, comme quand on vient de dehors et que l'on entre dans une piscine chaude. Rien qu'en crevant la surface on ressent ce picotement caractéristique. Ce picotement qui nous dit qu'il fait plus chaud ici, et qui fait que l'on sait où l'on est. J'ai toujours aimé l'eau. Depuis que je suis petite, cette étendue de liquide si calme, qui ne semble jamais perturbée par la rumeur du monde, me fascine. Je crois que j'ai toujours voulu être comme elle, aussi indifférente et douce qu'elle, quand la lune de ses doux rayons opalins berce tendrement la surface du lac. Quel merveilleux spectacle que je n'ai pu voir que si peu de fois.

Je crois que je suis morte. J'aimerais dire que c'était à cause de la bêtise humaine. Mais je n'en suis pas sûre moi-même. J'aimerais rejeter la faute sur un autre. Cependant, si j'avais pris une autre décision à ce moment-là. Il est facile de se laisser tenter et engloutir par ce genre d'idées quand on a une éternité pour réfléchir. Je crois que je m'y suis abandonnée à regret en passant tout le film de ma vie dans ma tête. Pourtant je sais très bien que les « et si j'avais... », ne changeront rien à cet état.

Est-ce que c'est ça la mort ? Une étendue de rien dans une obscurité comparable à l'espace sans les étoiles. On n'y voit rien. Il ne fait ni spécialement chaud, ni spécialement froid. On flotte avec l'idée en tête que cela durera toujours, et l'on ne peut pas changer cet état. Qu'il ne nous reste comme seul bien, comme maigre butin, que nos souvenirs et nos rêves qui ne prendront jamais vie. Parce que la vie justement a tiré sa révérence pour nous, dans un ultime adieu, sans équivoque, sans possibilité de la retenir. Tu as beau te débattre, c'est la fin et une part de toi le sait bien, mais tu ne veux pas l'entendre, et tu la fais taire. Tu chantes à tue-tête, les mains plaquées sur les oreilles et les yeux fermés pour ne pas l'entendre ou la voir.

Suis-je bien morte ? Pour le dire il faut remonter en arrière, dans mes souvenirs. Mais il ne faut pas remonter trop loin. Il ne faut pas remonter à la première sensation, celle d'un cœur qui bat, celle d'un bruit apaisant qui ne parait unique et incomparable que pour nous. Non, je parle de la dernière sensation. Celle où tout semble aller au ralentit, où l'on sent la douleur, le corps qui se vide et refuse de bouger, d'obéir ne serait se que pour un faible mouvement, rien qu'une dernière fois. La tête qui tombe de côté, le regard qui se fige, la voix qui se brise pour toujours, l'esprit qui s'évade, puis cette obscurité qui devient coutumière. Si coutumière qu'elle en est détestable.

Alors je suis bel et bien morte. Alors je devrais toujours rester, ici, avec mes souvenirs qui bientôt même étant sans cesse ressassé finiront par me lâcher, par s'effriter, petit à petit, comme le font ceux d'une personne disparue. Avant que cela n'arrive je vais vous raconter comment et pourquoi je suis morte.

PolarisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant