Chapitre 2: Réaliste

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Levi. Son nom de famille est Levi. A priori, il n'est pas de la famille de Raphael. Ce fait me déconcerte car j'étais prête à mettre ma main à couper qu'ils étaient issus de la même fratrie. Je finis par redonner mon attention à mes autres élèves et reprends là où je m'étais arrêtée.

— Donc, je disais, nous allons débattre au sujet de l'optimisme et le pessimisme. Avant cela, qui pourrait me définir ces deux mots pour que tout soit clair ?

Rania, une mignonne fille à la peau noire satinée lève la main. Je l'interroge.

— Oui Rania ?

— L' optimisme c'est de voir le bon côté de la réalité, être confiant et espérer que le meilleur nous arrive, le pessimisme c'est tout l'inverse.

— Exact.

Pour illustrer ces faits, je sors de mon sac, une bouteille d'eau dont j'avais bu ce matin la moitié et la leur présente en la haussant.

— Sur une feuille, écrivez-moi ce que vous voyez.

— Elle croit qu'on est encore à l'époque des ardoises là-celle, proteste doucement une voix que je ne peux reconnaître.

Je préfère ignorer cette remarque puérile et passe ensuite dans les rangs pour lire ce que chacun a écrit. Morgane, une blonde aux yeux bleus écrit qu'il s'agit d'une bouteille "à moitié remplie" tout comme pratiquement toute la classe, le seul mot qui m'intéresse dans sa phrase, c'est "remplie" qui indique sa manière optimiste de voir les choses. Les autres ont écrit qu'il s'agit d'une bouteille à moitié pleine. Baptiste, le petit malin dit que c'est une bouteille dont "l'eau a été avalée", qu'il est lourd celui là. Sasha, une fille à la crinière rouge dit que c'est une bouteille de cristalline. Non, jure ? Arrivée à Simon, je découvre sans réelle surprise une phrase plus ou moins différente des autres. Évidemment si la bouteille n'est pas à moitié pleine, elle est à moitié vide. C'est ce qu'il a écrit avec sa calligraphie impeccable. Ça ne veut pas dire grand chose au sujet de sa personne mais ça m'indique légèrement sa manière de voir les choses. Il serait pessimiste. Pourquoi ? Mais qu'est-ce que ça peut te foutre, Jaspaerd ?

Je retourne dans mon bureau tout en assimilant tout ce que je viens de lire. Pour faire court, sur 33 élèves, 7 ont vu la fameuse bouteille à moitié vide. 7 dont le solitaire, comme le surnomme Baptiste. Pourquoi ce surnom d'ailleurs ? Est-il aussi seul qu'il en a l'air ? Mais tu vas le laisser tranquille à la fin ?

Bien, dis-je fortement. J'ai lu ce que vous voyez. En général tout le monde la voit à moitié pleine ou remplie, c'est pareil. Maintenant, j'aimerai savoir si vous pensez qu'il vaut mieux être optimiste ou pessimiste, je leur demande.

Putain, qu'est-ce que j'aimerai avoir la réponse de Levi. J'espère qu'il me la donnera sans que j'aie à la lui demander. Baptiste lève la main.

— Il vaut mieux être pessimiste, comme ça on n'est pas déçus.

Des bourdonnements se font immédiatement entendre. Une grande partie de la classe semble d'accord avec lui.

— Moi je pense qu'il vaut mieux être optimiste, lance Carla. Les pessimistes sont les personnes qui, puisqu'ils s'attendent toujours au pire, ne se bougent pas pour faire en sorte que leur vie s'améliore. Ils restent plantés là, à espérer d'être heureux sans faire ce qu'il faut pour l'être.

— Très intéressant Carla, je lui dis.

— Je suis d'accord avec Carla, commence Rania. Selon moi il faut être optimiste, croire aux bonnes choses et se donner les moyens pour être heureux.

Une majeure partie de la classe donne son avis. Tour à tour, chacun de mes élèves expliquent leur point de vue au sujet de mon débat. Chacun d'entre eux sauf bien-sûr Simon. Il n'a pas prononcé le moindre mot durant l'échange, il s'est uniquement contenté de suivre attentivement le débat. Mais s'il pense qu'il va s'en tirer comme ça...

— Et toi, Simon ? Que penses-tu ?

Il me fixe d'abord pendant quelques secondes et encore une fois, j'ai la sensation qu'il s'agit de Raphaël. Il me regardait de la même manière.

— Je pense qu'il faut être ni optimiste, ni pessimiste, commence-t-il de sa voix plutôt grave. Il faut être réaliste. Le lendemain est incertain. Aujourd'hui tout, ou presque, se passe bien dans votre vie. Vous êtes au lycée, en compagnie de vos amis, vous riez, passez du bon temps, appréciez certains de ces moments. Puis à la fin de la journée, vous retournez chez vous, retrouvez vos familles, dînez autour d'une table en vous racontant cette journée et certains moments dont vous vous remémorez vous font rire. Puis, vous discutez avec vos amis sur les réseaux sociaux, flirtez peut être avec la fille ou le garçon qui vous intéresse tout au long de la nuit. Ensuite, vous vous en dormez en supposant que le lendemain sera similaire. Mais qui vous garantit que le lendemain sera similaire ? Qui vous dit que vous n'allez pas perdre tout ce qui vous rendait heureux ? Qui vous garantit que vous n'allez pas perdre l'intégralité de votre famille, à cause d'un accident de voiture, d'un meurtre ou d'un incendie ? Je pense, mademoiselle Jaspaerd, que tout peut s'écrouler d'une minute à l'autre. Rien n'est garantit. La vie est pleine d'incertitudes dont il faut être préparé. Demain vous pourriez gagner au loto tout comme vous pouvez subitement succomber à une crise cardiaque ou à un AVC. Il faut prendre les choses telles qu'elles viennent et les accepter.

Je fronce les sourcils, médusée. Sa réflexion est profonde et bien réaliste. Elle est surtout différente de celles de toute la classe qui le regarde de la même manière que moi. Apparement le discours de Levi leur a fait froid dans le dos et ils ne sont pas les seuls.

— Et si tu devais vraiment choisir entre l'optimisme et le pessimisme ? j'insiste.

— Je choisirai sans doute le pessimisme, mademoiselle Jaspaerd.

Pourquoi mademoiselle ? Et comment sait-il que je m'appelle ainsi ? Il est arrivé en retard. Je n'ai pas dis mon nom en sa présence et je ne l'ai pas vu s'adresser à un camarade donc il n'a pas pu le savoir de quelqu'un de la classe. Simon me connaît-il de l'extérieur ? Peut-être à travers Raphaël... Arrête-toi Jaspaerd ! J'étais sur le point de lui demander pour quelles raisons il ne préférerait pas l'optimisme quand la mélodie bruyante du lycée retentit. C'est déjà la fin de mon cours et je me surprends à ressentir une pointe de déception. J'aurai aimé poursuivre cette séance plus longtemps...

Tenace, j'aurai également aimé retenir Simon quelques instants à la fin du cours pour lui demander de poursuivre sa réflexion intrigante mais il a disparu. Il s'en est déjà allé...

Le garçon solitaireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant