- Dans un incendie, répondis-je avec indolence.
- C'était quand ? se contente-t-il de rétorquer.
L'insistance de son regard sur mon profil fait brûler mes pommettes. Qu'y a-t-il de si prenant à observer si longuement ? Cela fait quelques secondes, bien trop longues, qu'il me fixe. Alors je le regarde aussi, dans l'espoir de diluer le malaise errant dans l'air. Il est tout ce qu'il y'a de plus flegmatique, comme d'habitude. Et c'est déroutant, comme d'habitude.
Dehors l'orage gronde, allié à une impitoyable averse d'une abondance franchement excessive. Les deux super-vilains sont responsables de la coupure générale de courant dans tout le quartier. Simon et moi nous trouvons tous les deux sur le balcon de mon appartement, assommés par la pluie. Je m'y suis réfugiée pour fuir la honte que sa pitié m'infligeait dans mon enfer personnel. Je m'y suis surtout réfugiée car seule la pluie pouvait masquer la fragilité de mes bandes lacrymales et il m'a suivi. Et si moi je n'ai pas froid — je n'ai jamais froid — je ne peux m'empêcher de me demander s'il n'est pas du genre frileux, lui.- Trois ans et sept mois.
Il acquiesce. Un court silence s'installe dès lors, seul le bruit apaisant de la pluie se fait entendre, si on décide de faire abstraction de la nuisance sonore du trafic parisien parce qu'on y est habitué. Mes avants bras sont appuyés contre la rambarde de mon balcon, le corps ainsi que les yeux rivés vers un Paris sombre, un trafic dense tandis que lui, dans l'autre sens, ce sont ses coudes qui s'appuient sur le garde-corps, le corps vers mon appartement. Il me regarde toujours intensément. Il fait nuit mais Paris n'est pas surnommée la ville lumière pour rien puisque diverses lumières lointaines nous éclairent juste assez pour nous permettre d'au moins nous voir.
- Et les photos ? finit-il par enfin prononcer.
À nouveau, je le regarde, cette fois ça dure qu'environ cinq secondes avant que mon attention soit une fois de plus portée vers la capitale.
- Qu'est-ce qu'elles ont les photos ?
- Elles sont accrochées là depuis longtemps ?
- J'en sais rien.
Je n'en sais vraiment rien.
Nous nous regardons un court instant avant qu'il quitte la rambarde.
- J'ai menti l'autre jour, je ne suis pas vraiment réaliste. Je suis très pessimiste, et pour moi l'amour et toutes ces choses finissent toujours mal.
Je ne réponds rien, ne lui adresse aucun regard. Il poursuit:
- Ce qui signifie que je ne peux vous comprendre, vous et l'état dans lequel...
- Oui tu ne peux pas me comprendre, je l'arrête en lui jetant un regard noir.
- En revanche, là où je peux vous comprendre mademoiselle Jaspaerd, c'est dans la perte d'un être cher.
Mon regard s'adoucit immédiatement.
- Ça laisse un vide immense qu'on ne peut combler dans sa poitrine. On ne peut pas le combler mais...mais on peut apprendre à vivre avec...
Pleine de curiosité, je l'interrompt. Il est en pleine réflexion.
- C'était qui ?
Il sourit légèrement.
- Peu importe. Ce que je voulais dire par là c'est que je sais ce que ça fait. Et, euh...
Il s'arrête et rit, de nervosité visiblement.
- Je sais bien que nous ne sommes pas amis vous et moi, nous ne nous connaissons même pas mais j'ai acquis...j'ai acquis..
Il souffle un grand coup. Je peux mieux le voir, puisque certaines lumières autour de nous commencent à se rallumer. Je les observe un instant, soulagée.
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Le garçon solitaire
Mystery / ThrillerPersonne ne connaît vraiment Simon Levi, et pour cause, il veut qu'il en soit ainsi. En fait, personne ne cherche vraiment à le connaître. Personne, excepté Margaux Jaspaerd, sa nouvelle professeure de philosophie. Elle, Simon la fascine. Elle, admi...