I.
Les cheveux de Noëlle étaient éparpillés sur son lit, en grandes vagues mordorées. Des rayons du crépuscule venaient faire rougir quelques mèches et dorer sa peau pâle. Elle tenait son portable dans une mains, le réveil qu'elle venait de réparer dans l'autre, discutant parallèlement avec Coraline et Ethan. Ce dernier la faisait beaucoup rire, il lui racontait un peu de tout et de n'importe quoi. Malgré cela, elle aurait voulu parler avec Chloé. Les deux étudiantes avaient enfin eu l'occasion d'avoir une vraie discussion après leur fou rire à la cafétéria. Elles avaient discuté de tout et de rien, mais Noëlle sentait les barrières. La jeune aveugle se braquait parfois, changeait de sujet, gardait les silences. Noëlle prenait énormément de soin à choisir ses mots, ses sujets quand elle lui parlait. Elle craignait beaucoup de pousser les murs un peu trop loin et de perdre ces rares moments dont elle avait eu le droit entre le mardi soir sur le pont, la veille à la cafétéria, et ce jour là, quand Chloé avait accepté que Noëlle l'accompagne au "Café tremblant". La jeune femme s'attendait à essuyer un refus, ça l'avait beaucoup surprise. Noëlle adorait le caractère abrupt de Chloé, ce demi-silence, cette force absolue qui résultait d'elle. Et elle aimait aussi son langage, son point de vue sur les choses qui s'accordait toujours à différer de la majorité. Noëlle avait l'impression de découvrir une autre face du monde quand elle lui parlait, mais une face dans l'ombre car Chloé limitait toujours ses paroles. Elle restait méfiante. Noëlle se demandait bien quelles épreuves la jeune femme avait dû traverser pour avoir si peur des autres et pour avoir une voix si triste. S'il avait fallu chercher de la lumière quelque part sur Chloé, Noëlle n'aurait pas su où en trouver.
Un bruit contre la porte de sa chambre la tira de ses pensées. Sa mère entra par l'entrebâillement.
- Tu viens ma belle ? On va faire du shopping pour ta soirée de samedi, dit-elle avec un grand sourire.
Noëlle lui sourit en retour, ses parents n'avaient pas semblé trop ennuyés en apprenant qu'un garçon l'avait invitée à aller en boîte. Elle trouvait ça assez surprenant, mais elle imaginait qu'ils se réjouissaient qu'elle ne semble plus s'intéresser aux filles. Son coeur se serra en y pensant.
Elle suivit sa mère hors de la maison et la rejoignit dans la voiture. Elles traversèrent la ville ainsi, allant de magasin en magasin, comme deux copines. Noëlle commençait vraiment à penser que le lien s'était rétabli. Enfin, elle trouva son bonheur. Une robe blanche qui mettait en valeur son regard clair et faisait ressortir la roseur de ses joues, l'intensité des couleurs de ses cheveux. Sa mère la trouvait à tomber. Elle disait qu'Ethan en resterait sûrement bouche bée. Noëlle sourit un peu, mais le coeur n'y était pas. Elle se regarda dans le miroir, préférant au fond d'elle qu'Ethan ne la trouve pas jolie.Elle rentrèrent vers 19H. La nuit commençait à tomber. Le ciel était d'un bleu intense, ni aussi clair que le jour, ni foncé comme la nuit. Les lueurs orangées des lampadaires et des phares de voitures contrastait avec l'ombre qui commençait à s'étendre. Noëlle adorait ce moment. Mais c'est en sortant de la voiture qu'elle la remarqua. Toute debout dans la rue d'en face. Noëlle dit à sa mère de rentrer, qu'elle avait quelque chose à faire. Anna parut intriguée mais ne posa pas de questions et rentra. Noëlle s'approcha silencieusement, lentement. Elle finit par la distinguer entièrement sous la lumière d'un réverbère. Elle était là, Chloé, de l'eau tombait de ses cheveux au goutte à goutte sur sa peau mouillée.
Trempée de glace jusqu'aux os, le froid ne semblait plus la mordre. Il pleuvait de la lumière de lampadaire sur son visage fatigué et tiré par la nuit.
Ses cheveux n'avaient presque plus de couleurs, elle clignait les paupières à intervalles irréguliers et hésitants pour chasser les picotements de ses yeux trop usés.
Elle était d'une asthénie tempétueuse et dévastatrice.
Elle fredonnait en marchant sur le trottoir, d'abord. Et puis, elle se mit à danser sur une musique immobile, imperceptible du reste du monde, elle faisait voler les toutes dernières feuilles mortes sur la rue silencieuse.
Ses pieds usés étaient nus. Sa peau luisait un peu sous la lumière, car elle était mouillée. Elle ne portait pas de lunettes, son menton était levé vers le ciel. Elle avait les bras écartés en tournoyant sur elle-même. Ses cheveux virevoltaient autour d'elle, quelques mèche zébrant parfois son visage d'ombres.Noëlle était subjuguée par ce spectacle. Chloé était là, somptueuse, fragile. Elle tituba un peu, puis se stabilisa, la tête baissée. Elle passa les mains sur son visage et commença à trembler. Elle s'assit tant bien que mal sur le bord du trottoir. Elle replia ses genoux contre elle et enroula ses bras autour d'elle, comme pour se réchauffer. Elle se griffait les bras avec ses doigts.
Noëlle s'approcha prudemment de Chloé, en tendant la main vers elle.
- Chloé... chuchota-t-elle.
Chloé sursauta, elle releva la tête, ses yeux regardaient ailleurs mais elle semblait effrayée. Noëlle frissonna. Elle posa sa main sur le bras de la jeune aveugle. Il était glacé.
- Noëlle ?
En réalisant qui était là, Chloé essaya de reprendre le contrôle d'elle-même. Son visage commença à se fermer et elle repoussa la main de Noëlle.
- Si tu es venue pour te foutre de moi, tu peux retourner dans ta petite famille. J'ai besoin de personne.
Alors, Noëlle en eu assez. Elle supportait assez mal d'être rejetée de cette manière.
- Ecoute-moi bien ma petite Chloé parce que je ne le répéterai pas deux fois. Tu vas arrêter de faire comme si j'étais une moins que rien parce que je suis une putain d'humaine, c'est clair ? Arrête de voir le mal partout autour de toi, je suis pas là pour me foutre de toi ou raconter à l'université que j'ai vu la dure à cuir trembler ! Tout ce que je veux, c'est t'aider ! Parce que oui, il y a des gens qui veulent t'aider. Je supporte pas de te voir dans un état pareil, j'ai jamais été aussi bouleversée de voir quelqu'un danser tout seul !
Chloé se mordit la lèvre. "Dieu que j'ai envie de l'embrasser", se dit Noëlle. Cette dernière secoua la tête. Non vraiment très mauvaise idée, et elle s'était bien dit qu'elle en finissait avec ça. Puis, tout à coup, Noëlle vit les yeux de Chloé se brouiller de larmes. Elle s'approcha et l'attira contre elle. Chloé resta tendue pendant une longue minute, et elle finit par poser sa tête sur l'épaule de cette amie inattendue. Noëlle caressa ses cheveux tendrement, et de lourdes larmes trop longtemps retenues coulèrent sur ce visage dévasté. Ses épaules étaient secoués par les sanglots. Noëlle la serra plus fort, en silence et une boule se forma dans sa gorge devant cet être brisé qui s'écroulait devant elle.
Chloé resta contre elles de longues minutes après avoir cessé de pleurer. Elle reniflait un peu et elle frissonnait.
- Tu veux dormir chez moi, ce soir ? murmura Noëlle.
- Non, ça ira. Merci, répondit Chloé faiblement.Et elle se dégagea de l'étreinte de Noëlle. Elle renifla une dernière fois, se racla la gorge et se leva tant bien que mal.
- Au fait, Chloé. Pourquoi tu étais devant ma maison ? Tu habites quelques rues plus loin.
Chloé sembla un peu embarrassée, elle s'essuya les joues avant de déclarer :
- Je n'en ai pas la moindre idée. Merci de m'avoir aidée, Noëlle. A demain.
- A demain.Chloé se retourna et marcha en direction de chez elle. Une fois qu'elle la perdit de vue, Noëlle rentra dans sa maison, un peu déboussolée.
- Ça va No' ? Tu es toute pâle et... tes cheveux sont mouillés ?
- Ça va papa, une gouttière un peu bouchée que le voisin m'avait demandée de réparer. Un peu d'eau m'est tombée dessus.
- Je ne savais pas que le voisinage s'était si vite rendu compte de tes talents de bricoleuse, dit Fabrice en souriant. Cela n'explique pas ta pâleur mais je suppose que tu es fatiguée. Tu arrives juste à temps pour manger.Noëlle n'avait pas très faim, mais elle ne voulait pas faire face à la curiosité de ses parents. Elle n'est presque jamais triste, et elle n'a jamais faim quand elle est triste. Ils auraient essayé de savoir quelque chose. Elle avala tant bien que mal les aliments, un à un, sans dire un mot. Puis, elle sortit de table et rentra dans sa chambre. Elle avait un SMS d'Ethan et un de Coraline. Elle éteignit son portable et prit une douche brûlante avant de se coucher. Elle serra fort son oreiller tant ce qu'elle venait de vivre était intense. Partagée entre la tristesse que l'état de Chloé lui faisait ressentir et le trouble qu'elle lui apportait. Elle ne dormit pas de la nuit.
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Le soleil sous la pluie
RomanceChloé est devenue handicapée quand elle avait 4 ans. C'est ce qui lui a valu d'être maltraitée par ses parents jusqu'à ce qu'elle soit placée chez sa tante, qui s'occupe désormais d'elle. La jeune étudiante de 18 ans se renferme sur elle-même, refus...