XII. Noëlle : Nous ne mourrons pas.

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Noëlle marchait. Ses cheveux auburn attachés en chignon laissaient quelques minuscules boucles s'enrouler sur sa nuque en s'éclaircissant à mesure qu'elles s'affinaient. Les rayons du soleil en caressaient les mèches en petits fils de lumière. Elle tourna au coin de la rue, le trottoir lui semblait gondoler. Elle ne se sentait pas bien. Les battements de son coeur lui martelaient les tempes et elle avait les mains moites, ses yeux peinaient à rester ouverts. Elle respirait fort.

Tout son coeur battait pour Chloé et tous les regards semblaient peser sur elle, les contours de ses pensées se confondaient entre eux. Noëlle avait reçu un coup de téléphone de Chloé qui lui disait, en pleurs, qu'elle avait peur et qu'elle se noyait. Non, pas toi ma jolie Chloé. Et Chloé avait raccroché en lui disant qu'elle était désolée.

Elle se planta devant chez la jeune aveugle, le coeur battant, l'air commençait à manquer.
Elle frappa à petit coup rapide à sa porte, chuchotant pour elle-même qu'il fallait aller vite, que le temps pressait.
Léna ouvrit enfin, elle n'eut pas le temps de dire un mot que Noëlle se précipitait à l'intérieur. Elle courut dans les escaliers et ouvrit la porte de Chloé. Vide. Aussi vite que la tête de Noëlle qui peinait à réfléchir, elle ouvrit une à une les pièces de la maison. Léna était montée dans les escaliers suivie de son fils, qui la regardaient.

- Où est Chloé ?
- Elle n'est pas dans sa chambre ? demanda-t-elle en commençant sérieusement à s'inquiéter.

Noëlle ne répondit pas et virevolta sur elle-même. Elle se dirigea instinctivement vers la dernière porte, au bout du couloir. Elle poussa la poignée mais la porte ne s'ouvrit pas.

- Chloé ! hurla Noëlle, et elle donna un grand coup dans la porte. Chloé, ouvre-moi !

Le silence seul lui répondit, son coeur ne suivait plus rien. Noëlle avait peur, elle était si effrayée. Elle revoyait le pont de la ville et Chloé sur le rebord, vide comme un coquillage mort. Elle revoyait le vide en dessous d'elle, et puis le grand fleuve qui s'écoulait vers la mer. Noëlle martela la porte de toute ses forces avant de s'effondrer contre elle. Léna, ébahie, fixait Noëlle avec des yeux apeurés.

- Je t'en supplie, murmura Noëlle.

La porte s'ouvrit, et elle manqua de tomber en arrière car elle y était adossée. Elle se releva précipitamment et fit face à son amie qui la cherchait avec ses mains.

- Noëlle ? murmura-t-elle d'une voix tremblante.

Elle restait la regarder, ne sachant que répondre. La jeune aveugle était trempée, mais elle avait toujours ses vêtements. Son visage torturé lui faisait une immense peine et ses yeux rougis regardaient le vide à côté de Noëlle. Cette dernière lui attrapa les mains et les posa sur son propre visage.

- Noëlle, c'est toi ?
- Oui, c'est moi, répondis-t-elle avec la gorge serrée.
- Tu pleures ?
- Non, mais j'aurais pu.

Noëlle l'attrapa et la serra fort contre elle, comme si sa vie en dépendait, comme si Chloé était son oxygène. Elle respirait enfin, et elle respirait son parfum. Prise au dépourvu, Chloé marqua un temps avant de lui rendre son étreinte, elle enfoui son visage dans le cou de Noëlle. Les deux jeunes femmes avaient oublié la tante et le cousin de Chloé, elles avaient oublié ce couloir où elles se trouvaient. La jeune étudiante s'effondra en sanglots dans les bras de Noëlle.

- Jamais... hoqueta-t-elle. Jamais personne n'a fait ça pour moi. Comment tu as... comment tu as pu faire une telle chose ? Venir ici en une... en une fraction de secondes, après que je t'aie appelée à l'aide. Et te voilà qui... qui hurle à ma porte en me cherchant, en ayant peur. Qui a peur que je me noie, sinon toi ?

Noëlle passait sa main sur son dos en essayant de calmer les spasmes de son amie. Elle l'incita à regagner sa chambre et referma la porte derrière elle. Noëlle conduisit son amie jusqu'à son lit et elles se couchèrent, l'une dans les bras de l'autre.

Alors Chloé se vida.
Elle vida tout ce qui restait d'elle.
Elle raconta ses parents, sa petite chambre de petite fille, la ceinture, ce garçon qui voulait la violer. Elle raconta sa cécité, le harcèlement, les moqueries des enfants et la solitude constante. Chloé raconta l'absence de larmes et leur abondance, la vie, la mort et les coups dans les murs. Elle disait ça comme ça, d'un trait, sans bégayer, sans hésiter, comme si elle avait pensé chaque phrase de sa vie pendant des heures en espérant qu'elles se prononceraient d'elles-mêmes un jour.
Et Noëlle lui caressait les cheveux avec des gestes lents, comme on fait à un enfant qui a peur du noir. Elle écoutait en silence et prenait sur ses épaules un peu du lourd fardeau de Chloé. Enfin, celle-ci se tu. Elle resta immobile, même ses pupilles ne bougeaient plus, on l'aurait cru morte.

- Je t'entends, Chloé. murmura-t-elle.

Cette dernière se mordit la lèvre et baissa les paupières. Noëlle posa tendrement une main sur sa joue. Sans rouvrir les yeux, la jeune aveugle posa sa main sur la sienne, puis sur la joue de Noëlle, sur ses cheveux, ses paupières, son nez. Noëlle se laissa faire, devinant que son amie cherchait à se faire une image mentale d'elle. Les doigts de Chloé atteignirent ses lèvres. Celle-ci se figea, elle restèrent là, comme deux statues, allongées sur le côté, face à face et la main de Noëlle sur la joue de Chloé, les doigts de Chloé sur la bouche de Noëlle. Cette dernière la lui prit et approcha lentement son visage de celui de son amie. Elle s'arrêta, elle voulait que Chloé perçoive son souffle et sentir son accord. Alors la jeune aveugle entrouvrit les lèvres. Le coeur de Noëlle rata un battement, intimant au cerveau de réagir en urgence. Il réagit. Noëlle colla sa bouche contre celle de Chloé.

Celle-ci lui rendit son baiser, un torrent d'émotion et de chaleur se propagea dans le corps de Noëlle. Elle mit la main sur la taille de la jeune historienne et l'attira un peu plus contre elle. Chloé répondit en enroulant sa jambe autour de sa cuisse et en glissant sa main dans son cou. Noëlle frissonna. Elles rompirent le baiser en reprenant leur souffle.
Chloé semblait désemparée, Noëlle perdue dans un rêve. Le visage de Chloé s'éclaira en réalisant tout ce qui tenait lieu dans son coeur.

Le visage de Noëlle s'assombrit en pensant à ses parents.

Le soleil sous la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant