XI. Chloé: La pollution du coeur.

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Chloé était assise là, sur son lit, la tête dans le vide de sa chambre. Elle se sentait bien seule, tout à coup. C'était comme si Noëlle avait laissé un vide derrière elle, et que rien ne pouvait plus l'égayer. Elle n'avait pourtant passé qu'une journée avec elle.

La jeune aveugle écoutait un peu de musique, cela faisait des jours qu'elle avait arrêté d'en écouter. Elle voulait simplement se vider toute entière, ça avait été la première fois qu'elle préférait le silence. Chloé en avait marre de la vie. Chloé voulait mourir. Chloé était nue sur son bateau, tanguant entre la détresse et le chaos.

Et puis, Chloé voulait vivre. Elle voulait sentir le parfum de Noëlle et sa chaleur, l'entendre chanter. Chloé voulait de la musique, de l'inspiration à en imploser, de l'histoire à en tout connaître. Elle voulait se sentir vivante, bordel. Se sentir vivante. Et cela la rendait plus triste encore. Car elle savait que ça lui manquait. Et ça creusait davantage encore le vide qui gisait en elle.
À l'aide, disait Chloé. Mais personne ne l'entendait. Si seulement elle avait le courage de parler d'une autre manière que dans ses pensées. Si seulement on la voyait sans même qu'elle n'ait besoin d'être visible. Chloé voulait être aidée et ne voulait pas être aidée. Chloé voulait être faible, pour une fois, et rester forte. Chloé voulait pleurer silencieusement. Chloé voulait hurler.
Elle se sentait perdue et abandonnée, et plus désespérée que jamais. Elle se disait que si les moments comme ceux qu'elle avait passés avec Noëlle devait la casser en petits morceaux, si même la tendresse de ses bras et de sa voix devait la hisser pour la faire tomber de plus haut, alors rien ne pouvait la sauver. Si même le plus beau enlaidissait sa vie, alors que faire de celle-ci ? Qu'est-ce qui pourrait seulement la faire exister ?
Les hurlements de ses parents retentissaient dans son crâne, les bleus de son enfance resurgissaient sur sa peau, la douleur ancienne se muait en brûlure le long de ses cicatrices et les insultes fusaient et ricochaient sur elle.
À l'aide, disait Chloé. Mais personne ne l'entendait. Si seulement elle n'avait eu qu'à se taire pour être écoutée.

Ainsi, la corde se resserrait un peu plus autour de son cou. Chloé se frotta la nuque, comme si le cordage imaginaire lui irritait la peau. Elle posa sa tête contre le mur. Elle passa les mains sur les courbes de son corps. Elle sentait les os de ses hanches qui commençaient à saillir, elle maigrissait. La nourriture qu'elle ne pensait pas à ingérer, qui la dégoûtait, faisait parfois chemin inverse dans l'œsophage de Chloé. C'était quand elle touchait son corps de cette manière, et qu'elle se haïssait. Du plus profond d'elle, c'en était violent à un point qu'elle sentait la haine presque physiquement lui échauffer le crâne. Alors elle se griffait avec ses ongles, elle faisait du mal à ce corps que tout le monde avait haï jusque là à sa place. Elle voulait juste reprendre le contrôle, avoir des droits sur cette chair qui était la sienne. Elle voulait être la seule à avoir le droit de se détester, la seule à avoir le droit de se blesser. Maintenant, elle était le maître d'elle-même, et elle voulait se le prouver. Maintenant, c'était elle qui se dominait et personne d'autre. Juste prouver sa toute puissance sur elle-même, quitte a se nourrir davantage de solitude que des autres. Juste assez des autres pour se maintenir en vie. C'était presque de l'anorexie sociale.

Parfois, la voix de Noëlle surgissait dans ses pensées. Sa voix douce qui lui disait qu'elle était belle, si belle. Elle sentait ses mains qui n'étaient pas dégoûtés d'elle, les coups se muaient en caresses. Mais dans l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait, la sincérité dans la voix de son amie se transformait alors en mensonge, les frémissements de Noëlle quand elle la touchait et dont Chloé se rappelait, en frissons de dégoûts. Il lui semblait alors que Noëlle la détestait autant qu'elle, et cela lui brisait le coeur.
Et Chloé avait peur. Elle avait peur de l'effet que cette nouvelle amie avait sur elle. Elle avait peur de perdre le contrôle, d'être la plus faible d'elles deux et de devenir celle qui perdrait à la fin. Encore une fois. Elle avait envie de se braquer quand sa tante venait lui tendre le téléphone en annonçant que c'était Noëlle. Elle voulait résister à la tentation de l'appeler. Mais cela était plus fort qu'elle.
Sauve-moi Noëlle, disait-elle. Ou frappe-moi. Mais Noëlle ne l'entendait pas. Si seulement il y avait eu assez de conviction dans sa voix.


Elle transparaissait de son propre corps comme le froid les fils de ses vêtements. Chloé se disait, je suis une bête, un couteau, un coup de matraque dans la tête . Une angoissée névrosée, un peu cassée, alcoolisée. J'ai le moral au bout des pieds. Elle avait l'impression de vouloir vomir sans arrêt, d'avoir la tête qui jouait au tourniquet et elle était là, étendue maintenant, faible et en sueurs, fatiguée, si fatiguée. Chloé voulait fermer les yeux et ne plus jamais les rouvrir. Elle était malade du coeur, mais ça n'avait rien de cardiaque.

Il est des gens qui meurent tous les soirs. Sans qu'on les voie, parfois. Des morts invisibles qui déambulent entre les hommes. Et elle était de ceux-là.

À l'aide, disait Chloé.


Le soleil sous la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant