Des coups me réveillèrent. Je me rendis compte que je m'étais assoupie sur le petit canapé tout usé. Je n'étais pas sortie de ma torpeur que les martèlements se produisirent à nouveau. Je réalisai avec lenteur que l'on frappait à la porte.
Je me mis debout brusquement, et j'avais encore la tête qui tournait quand j'arrivai à l'entrée, armée d'un couteau trouvé dans la cuisine. De ma main gauche, je sortis la clé de ma poche et je déverrouillai la maison. Sur mes gardes, j'ouvris la porte.
Quand Jey me vit, je descellai plusieurs émotions sur son visage : d'abord l'étonnement, en me voyant, puis l'étonnement encore en voyant le couteau... ensuite le regret, la peur, puis la colère. J'observai ses doux cheveux châtains, ses yeux sombres et vifs, sa peau pâle, ses lèvres pleines et son nez droit : pas de doute, c'était bien mon sauveur. Je baissai l'arme et je m'immisçai à l'intérieur sans dire un mot.
Je l'entendis fermer la porte. Il se dévêtit de son manteau, enleva ses chaussures et posa la clé sur le buffet. (Avec tout le bazar autour de nous, je doutais qu'il la retrouvât facilement.) Il s'assit sur "mon" fauteuil usé, soupira, puis enfin planta ses yeux dans les miens. Ils brûlaient de ce même air effaré que lorsqu'il m'avait sauvée. Même si j'avais un peu de mal, je soutins son regard. Je ne me voyais surtout pas détourner les yeux.
Ce fut à ce moment que je remarquai les multiples hématomes et coupures sur ses bras nus. Il ne les avait pas la dernière fois que je l'avais vu, j'en étais certaine. Quand il remarqua mon insistance sur ses blessures, il m'assura :
- Ce n'est rien. Dis-moi plutôt pourquoi je prends le risque de t'aider. Pourquoi j'ai épargné la vie d'une criminelle telle que toi, hum ?
- À vous de me le dire, ronchonnai-je.
- Comment est-ce déjà ? Ah oui : Hélène. Tu n'as pas l'air d'une criminelle. Je l'ai vu dans tes yeux au moment de t'abattre. Et j'ai moi-même mes raisons de ne pas faire confiance à l'Armée. Alors dis-moi ! Pourquoi tout le monde te traque, pourquoi une fille à l'aspect si innocent a tué tant de personnes sur un coup de tête...
- Je n'ai rien fait, répondis-je calmement.
- Tu vas me dire que tout cela est un complot monté contre toi ? s'esclaffa-t-il froidement.
- Tout à fait.
Je voyais sa mâchoire se contracter, se desserrer, se contracter à nouveau... j'étais comme hypnotisée par ce mouvement. En fin de compte, il se leva brusquement et quitta la pièce pour aller s'enfermer dans ce qui semblait être sa chambre. La proie avait énervé le traqueur... et elle était en mauvaise posture.
Après quelques temps, je frappai à sa porte. J'attendis un peu, mais comme personne ne me répondit, je l'ouvris.
Au milieu de sa chambre désordonnée, je retrouvai Jey, assis sur son lit. Torse nu, il était en train de désinfecter ses plaies.
- En principe, on attend qu'on nous dise oui pour entrer, fit-il remarquer.
- Je voulais juste te prévenir que je partais.
Je lui tournais déjà le dos. Au moment où j'atteignis sa porte, il m'attrapa et me retourna.
- Pas si vite ! Je n'ai pas pris tous ces risques pour que tu t'en ailles maintenant.
- Je t'ai déjà fait assez de mal comme ça, dis-je.
Voyant son expression, j'ajoutai :
- Arrête de faire comme si tu ne comprenais pas, je ne suis pas une imbécile. Toutes ces blessures ne sont pas là par hasard. (Je me retins de cracher ces mots :) Il t'a torturé, hein ?
Il baissa les yeux.
- Qu'est-ce que ça change ?
- Que tu aurais dû me tuer.
- Mais tu dis être innocente...
- Je le suis, mais pour une raison qui m'est inconnue, tous les gens qui s'approchent de moi finissent mal. Alors tu as intérêt à me laisser partir ! m'exclamai-je en dégageant mon bras.
- Si tu pars, ce sera pire.
- Ah oui ? fis-je, incrédule.
- Oui.
- Et on peut savoir pourquoi ?
- Si je ne t'ai pas dénoncée, c'est dans ton intérêt, mais dans le mien aussi, m'expliqua-t-il avec un calme à glacer le sang. S'ils t'avaient découverte ici, ça aurait été pire pour moi. Je leur ai donné une fausse piste, mais ils doutent de sa véracité. La seule raison pour qu'ils ne viennent pas fouiller chez moi, c'est que ça paraîtrait totalement débile. Te loger là, c'est... c'est la pire des infractions. Des crimes, même. Ils te chercheront partout dans la ville. Ici c'est l'endroit le plus sûr, crois-moi. Mais s'ils te trouvent ailleurs que sur la piste que j'ai indiquée, tu auras des chances de t'enfuir, mais pour moi, pour moi s'en sera fini.
- Je...
- Reste.
Je soupirai. La situation était devenue beaucoup plus compliquée en quelques secondes. J'avais pris l'habitude de prendre les jambes à mon cou quand les problèmes pointaient le bout de leur nez. C'était tellement plus simple. Mais je ne pouvais pas faire ça, je ne pouvais pas laisser tomber ce jeune homme, alors qu'il m'avait sauvé la vie... N'est-ce pas ?
Tout compte fait, je laissai glisser mon sac au sol et je me logeai à nouveau dans le canapé. J'avais le regard perdu dans le vide, mais je devinai sans mal le sourire en coin de Jey. Il repartit dans sa chambre. Sûrement pour finir de désinfecter ses plaies.
Les plaies que je lui avais causées.
Je fermai les yeux quand des images de lui, torturé par ma faute, surgirent de mon imagination. Une larme rebelle coula le long de ma joue. Je l'essuyai rageusement et me levai. Je me mis à ranger. Quitte à faire tout ça pour rien, il fallait que je m'occupe l'esprit.
Jey me vit faire le ménage mais ne me dit rien. Il parut comprendre. Quand je croisai son regard, je réalisai qu'il avait mille questions à me poser, mais qu'il se retenait, pour l'instant.
Je savais hélas qu'à un moment ou un autre je serais forcée d'y répondre. S'il n'avait pas confiance en moi et changeait d'avis pour me protéger, il pourrait tout simplement me livrer à eux.
Me livrer à lui.
Alors au bout de quelques temps, je lui proposai un marché :
- Une question. Tu as le droit de me poser une question. Mais si j'y réponds, tu répondras à la mienne aussi, c'est d'accord ?
Il acquiesça.
Je pensais qu'il prendrait quelques temps de réflexion, mais au contraire, il semblait déjà avoir bien réfléchi à ce qu'il comptait me demander.- On ne voit presque jamais le commandant. Du moins, pas en tant que soldat. Il a toujours des choses importantes à faire. Pourtant, lors de mon interrogatoire, il était là. D'ailleurs, tu le savais. Voici ma question, chuchota-t-il de sa voix grave, tout en se penchant légèrement vers moi : qu'as-tu fait pour lui insuffler une haine pareille ?
- J'ai refusé ses avances.
Il cligna des yeux.
- Hein ? fit-il, sidéré.
- Tu as très bien compris. À mon tour : où est la personne qui habite cette pièce ? demandai-je en pointant du doigt la chambre de la petite fille.
- Tu as fouillé ?
Je ne dis rien. Il me répondit tout de même, l'expression définitivement sombre :
- Morte.
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Hélène
ParanormalIl me faut fuir. Encore et toujours plus loin, car mon secret m'y oblige. Mais quand Jey, un soldat séduisant, désobéit aux ordres au lieu de me tuer, tout devient alors INFINIMENT plus compliqué... Hélène n'a que 19 ans, pourtant, elle est recherch...