Chapitre 3

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Après avoir fait cavalier seul pendant si longtemps, vivre avec quelqu'un était un peu troublant.

Mais pas désagréable.

J'admettais que depuis un moment, la solitude commençait à me ronger doucement. Jey était en congé, et pas vraiment opérationnel. Je le voyais, même s'il faisait des efforts pour le cacher. La plupart du temps, ses mouvements étaient très lents et saccadés, son visage, crispé. Et mon cœur se serrait, à chaque fois, parce que je savais que j'étais à l'origine de ses souffrances.

Il m'avait avoué avoir pris un congé maintenant car il n'aurait jamais pu poursuivre l'entraînement militaire dans cet état. J'avais fixé le sol sans répondre.

C'était mon troisième jour chez lui, et pour une raison qui m'échappait, je ne cessais de me demander qui pouvait bien être la petite fille qui avait habité la chambre. Mais lui poser une question revenait à lui laisser m'en poser une, ce qui était exclu. Jey en savait déjà assez sur moi. Et toute information donnée sur mon compte nous devenait nuisible - à l'un comme à l'autre.

Il était dix heures, quand quelqu'un frappa à la porte. Je me tendis.

- Cache-toi ! m'intima aussitôt Jey.

Je scrutai la maison.

- Mais... où ça ?

Il fit comme moi, regarda partout.

- Va dans la chambre de ma sœur.

- C'était ta...

- Vite ! rugit-il.

Il me poussa dedans, m'y enferma, et je l'entendis courir ouvrir la porte. En reprenant mes esprits, je collai mon oreille à celle de la chambre pour ne pas perdre une miette de la conversation. J'ouïs une voix étrangère et implorante :

-... s'il te plait, juste une fois.

- Je ne peux pas, fit la voix dure de Jey.

- Écoute mon pote c'est juste pour une fois. Ça te coûtera quoi ?

- Rien, j'ai juste pas envie.

- T'as juste pas env...

Un silence.

- Ça te ressemble pas ça... Tu n'es pas seul, hein ?

Je me raidis.

- Si.

- Alors pourquoi je ne peux pas entrer ?

- Tu le sais.

- J'espère que tu n'abrites pas de personne euhm... je dirais compromettante pour ta vie ?

- Non.

Le ton de l'homme se fit plus pressant.

- Rien qu'une heure.

Derechef, il ne me parvint plus que le silence, puis la porte se claquant. J'hésitai à sortir. Je ne savais pas si Jey l'avait fait entrer. Je m'apprêtais à le faire quand je m'aperçus que le dialogue se poursuivait :

- Tu vas m'expliquer ce que tu fais là et très vite.

- Parle sur autre ton mon pote, si je suis là c'est pour toi.

Jey eut un rire cynique.

-Je ne rigole pas. Regarde.

Encore un silence.

- Comment...?

- Je l'ai volé. C'est d'ailleurs pour ça que je suis poursuivi.

Puis :

- Cadeau.

Je m'impatientai dans la chambre. Je brûlais d'envie de savoir de quoi ils parlaient.

- Tu m'aides, déclara alors Jey.

- Qu... quoi ? Non j'ai fait ma part du travail !

- Tu sais bien que non.

Le jeune homme soupira.

- Sûrement. Je vais chercher un de ses vêtements.

- Non ! dit Jey un peu trop vite. Je veux dire... non, laisse je m'en occupe.

- Jey...

- Mmmh ?

- Qu'y a-t-il dans sa chambre ?

J'entendis des pas pressés se diriger vers moi. Soudainement, la porte s'ouvrit sur la tête d'un inconnu. J'étais prise au dépourvu.

- Salut, toi, fit-il en regardant son ami en biais.

Il me tendit sa main que je serrai, gênée. Il la secoua vivement.

- Connaissant l'incroyable chance de mon pote ici présent, tu dois être Hélène. Moi c'est Léo. Viens par ici joli cœur, tu dois être à l'étroit là-dedans.

J'étais partagée entre l'envie de rigoler et celle de le gifler, mais je tranchai pour le rire quand je croisai le regard exaspéré de Jey.

Léo lui adressa un sourire trop large pour être sincère.

- Tu peux me dire ce qu'elle fait là ? T'avais une petite envie de suicide ?

- Elle est innocente, et de toute façon ce ne sont pas tes affaires. Tu es venu ici pour quelque chose non ? Va prendre un de ses vêtements et on verra bien si ton foutu engin fonctionne.

Léo ouvrit plusieurs fois la bouche, ahuri, puis, ne trouvant sûrement rien à contester, fila dans la chambre.

- Je ne comprends rien à ce qui se passe, avouai-je à Jey.

Léo, ce blond aux yeux noirs profonds, revint avec ce qui semblait être un bandeau vert. Jey le lui prit et l'appliqua sur la face d'un engin très étrange. C'était un petit objet circulaire, métallique, possédant sur l'une de ses faces une espèce de scan, et sur l'autre, un écran affichant des relevés. Nous attendîmes une ou deux minutes dans un silence hébété, quand l'engin émit un bip. Je ne compris pas plus ce qui se passait, mais le regard des deux garçons s'illumina alors instantanément.

- Ça... c'est indiqué l'endroit précis, déclara Jey, en tendant l'objet à son ami.

- Héhé ! J'avais raison ! Je l'ai enfin trouvé !

Jey le lui arracha des mains et plaça son T-shirt dessous. Je fus éberluée de constater que l'écran affichait une carte, avec notre emplacement exact. Je fus tout à coup horrifiée qu'il se retrouve en la possession de la mauvaise personne.

Comme j'en avais marre de leur silence accompagné de leurs sourires idiots, je demandai aux garçons de m'expliquer. Ce fut Jey qui me répondit, le regard brillant :

- Je vais peut-être enfin pouvoir retrouver ma sœur.

- Comment ça, elle n'est pas morte ? Tu m'as menti ! grondai-je.

Tout à coup, mon idée de "une question/une réponse" me parut moins ingénieuse.

- Non, parce que jusqu'à maintenant j'en étais persuadé.

- Et là ?

- On part demain.

- Cool, fit Léo.

- "On" ? demandai-je alors.

- Tu as cru que j'allais te laisser là ? Hors de question.

En se retournant, il ajouta dans un murmure :

- Tu me dois bien ça.

HélèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant