Chapitre 8

2.7K 214 203
                                    

♫ « Karma Police » - Radiohead ♫


△▲△
Joy
_

- Tu as bientôt terminé ?

Ava m'interpelle depuis le salon en tapant délicatement contre la porte de la salle de bains. Je ne me suis pas rendu compte que cela fait plusieurs minutes que je suis figée face au miroir, à me demander comment je vais parvenir à me rationner en Paxil d'ici ma prochaine consultation avec Koebbel. Et pour faire court, je suis dans la merde. Cela me fait à peine une gélule par jour. Pas de quoi tenir. Mais je me suis mise dans cette situation malgré moi en refusant de me pointer aux deux derniers rendez-vous chez mon cher psychiatre attitré. Et il refuse de m'avancer la moindre ordonnance sans une consultation entre quatre yeux. Avec bien entendu, un gros chèque à la clé. J'avais totalement délaissé cette addiction maladive, au point de ne plus du tout me soucier d'avoir ou non un stock suffisant à portée de main. Mais depuis peu, la nécessité d'en reprendre s'est fait sentir. Non pas à cause d'une recrudescence de mes angoisses, mais plutôt pour un état de fatigue évident. J'avoue que je les utilise au même titre que quelqu'un qui prend tous les jours des vitamines pour se rebooster. Car au-delà de leur effet premier, elles m'aident à tenir physiquement. La triple dose que je tiens au creux de ma main risque de nettement faire baisser mon quota, mais qu'importe. J'ai une tête affreuse.

- J'arrive dans une minute !

J'entends Ava s'éloigner de la porte et prends l'initiative de les avaler sans attendre. Voilà. Au moins avec ça, je suis sûre d'être de bonne compagnie pour mon amie. Je ressors de la pièce, apprêtée d'une tenue qui n'a pas vu le jour depuis bien longtemps, car ce soir, j'ai la ferme intention de me réconcilier avec le verbe « s'amuser ».

- Bonsoir, beauté fatale.

Je me tiens dans l'encadrement de la porte, telle une star sortant d'un essayage, et attends qu'Ava réplique. Mais au lieu de cela, un rire gras et sonore lui échappe. Mon dieu, elle a de la chance d'être mignonne, parce que bonjour l'horreur qui lui sort de la bouche quand elle explose ainsi.

- Allez, en piste Miller ! Ça va donner !

- Ce n'est pas censé être juste un pub ? Me demande-t-elle, en enfilant une légère veste jaune contrastant parfaitement avec sa tenue bleue marine.

D'ailleurs quand je la regarde, toute rayonnante et apprêtée, je réalise que j'ai vraiment créé un monstre. Et j'en suis fière.

- Ok... madame fait la fine bouche. Quatre mois que je la traîne dans les endroits les plus branchés et maintenant qu'on ne va que dans un « pub », ça ne lui convient pas ?

J'avoue que sur ce point, j'ai accédé à bien plus de boîtes en vogue grâce à elle et Louis que par moi-même en dix ans d'essais acharnés.

- Je ne fais pas la fine bouche, je dis juste que l'on ne va que boire un verre. Rétorque-t-elle en riant.

- C'est sous-estimer ma capacité à mettre le feu partout où je vais.

J'ouvre la porte d'entrée et la laisse sortir la première. Je ne jette qu'un furtif coup d'œil à mon allure dans le miroir avant de partir, sachant pertinemment que ces jours-ci, je suis incapable d'être totalement conquise par mon reflet.

Il est vingt-trois heures. Paddington se couvre doucement de pénombre sous un ciel légèrement rosé par le coucher de soleil. Une fois les grilles de notre immeuble franchies, je me surprends à avoir ce réflexe de laisser bifurquer mon regard vers la gauche, comme si mes pieds allaient me guider directement vers St. Mary. Ava remarque mon hésitation et d'un geste de la tête, m'incite pour une fois à emprunter le chemin inverse. Bras dessus, bras dessous, nous entamons notre marche en direction du pub le Dickens, qui est à moins de cinq minutes à pied. Guidée par mon amie, je prends le temps de taper un petit message en vitesse à celui qui est enfermé entre quatre murs à quelques pas d'ici.

YOURS. // Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant