Chapitre Dix-Sept.
Louis ne se montra pas au Tableau One.
D'une certaine façon, je lui en fus reconnaissant parce que je ne voulais pas que Brock s'imagine que j'avais programmé l'interruption. Mis à part son entêtement à renouer avec moi, il avait beaucoup compté pour moi par le passé et je tenais à ce que nous restions amis - dans la mesure du possible.
J'étais cependant préoccupé, car je ne cessais de me demander ce que pensait et ce que ressentait Louis.
L'appétit coupé, je ne fis que picorer. Quand Antonio Ricci passa nous saluer, très beau et très élégant dans sa veste de chef cuisiner, je fus gêné d'avoir laissé autant de nourriture dans mon assiette.
Antonio Ricci jouissait d'une grande notoriété et comptait parmi les amis personnels de Louis. Et c'était parce que Louis possédait des parts dans l'établissement que j'avais choisi de dîner ce soir-là au Tableau One. Si Louis avait le moindre doute quant à la façon dont s'était passée la soirée, il pourrait interroger des gens en qui il avait toute confiance.
Bien entendu, j'espérais qu'il me faisait suffisamment confiance pour croire en moi, mais je savais que notre relation avait des points faibles, notre possessivité mutuelle était l'un d'eux.
-Ça me fait plaisir de vous revoir, Harry, déclara Antonio avec son adorable accent italien.
Il me serra la main, puis tira une chaise et la main de Brock.
-Antonio est fan des Six-Ninths, expliquai-je. Il était avec nous le soir où on est venus voir ton concert avec Louis.
-Content de vous rencontrer, dit Brock en serrant la main d'Antonio, un sourire contrit aux lèvres. Vous avez assisté aux deux spectacles ?
Antonio comprit qu'il faisait allusion à la bagarre entre Louis et lui après le concert.
-Aux deux, oui, répondit-il. Harry compte beaucoup pour Louis.
-Il compte aussi beaucoup pour moi, répondit Brock en portant sa chope de bière Nastro Azzuro à ses lèvres.
-Dans ce cas, fit Antonio en souriant, Che vinca il migliore - Que le meilleur gagne.
-Je ne suis pas un lot qu'on remporte, m'insurgeai-je. Et je ne suis pas un cadeau, par-dessus le marché !
Antonio me coula un regard en coin et ne me contredit pas. Je ne pouvais pas le lui reprocher : il savait que j'avais embrassé Brock et avait vu le résultat sur Louis.
-Ton plat ne t'a pas plu, Harry ? s'inquiéta-t-il en s'apercevant que mon assiette était encore à demi pleine.
-C'était très copieux, fit remarquer Brock.
-Et Harry a un bon coup de fourchette.
-C'est vrai ? s'étonna Brock.
Je haussai les épaules. Commençait-il à réaliser que nous savions bien peu de choses l'un de l'autre ?
-C'est l'un de mes nombreux défauts.
-À mes yeux, c'est une qualité, intervint Antonio. Le lancement de la vidéo s'est bien passé ? ajouta-t-il à l'adresse de Brock.
-Je crois, oui, répondit celui-ci sans me quitter des yeux.
Je me contentai d'acquiescer car je ne voulais pas gâcher ce qui était censé être une consécration pour le groupe. Le mal était fait, de toute façon. Et je ne pouvais reprocher à Brock ses intentions - seulement son exécution.