Chapitre 1

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- Treize ans ! J'ai treize ans maman ! Je ne te demande pas la lune !

Je retourne dans ma chambre en claquant la porte. Je ne lui demande que d'aller au cinéma ! Je prends mon portable et compose le numéro d'Arina. Ça sonne. Une fois, deux fois, puis trois, puis quatre. Je raccroche. Elle est visiblement occupée. Je décide d'appeler Méliane.

- Oui, je sais. Bon, d'accord ! À demain alors ! On se retrouve à l'entrée !

Méliane a de la chance ! Sa mère n'en fait pas tout un plat ... Donc, rendez-vous avec elle demain, jeudi. Il ne me reste plus qu'à joindre Arina. Je me dirige vers mon bureau, bien décidée à finir ces maudits devoirs.

3/4 + 2/3. Hmmm. Le ppmc de 3 et 4 est égal à 12. Donc, forcément ce sera sur 12. Mmmm. Voyons. Reste 3 et 2. Qu'est-ce que j'en fais maintenant ? Ah ! J'aurais dû écouter la prof hier !

- Aurélieeennn ! Viens m'aider s'il-te-plaîîîîîîtttt !

- Julie ! Ch'ui occupé !

Ah ! Comme ça mon frère est occupé ? Ça c'est une première ! À part écouter de la musique et jouer à des jeux vidéos toute la journée il ne fait pas grand-chose... Je ne vois vraiment pas comment il pourrait être occupé !

Bon. Je fais donc un gribouillis qui ressemble à s'y méprendre à une réponse valide, puis je passe à l'allemand. Facile ! J'adore l'allemand, ce qui n'est pas vraiment le cas pour mes camarades de classes... Prenons par exemple Méliane ; elle ne sais même pas comment on dit « bonjour » ! Résultat : c'est à moi qu'elle colle ses devoirs à la récré ! Je devrais me révolter contre ça un jour ! Mais ce n'est pas le moment. Ma mère m'appelle pour le souper.

Nous mangeons des lasagnes. Spécialité papa ! Il ne tolérerait jamais que maman les fasse : elle n'est pas italienne.

À la maison c'est presque toujours lui qui cuisine, contrairement à chez Méliane. Il a hérité le don de cuisinier de ma grand-mère Marta. D'ailleurs, il aurait bien fait cuisinier de métier s'il n'avait pas fait des études en droit, pour devenir ce qu'il est aujourd'hui : avocat. Avocat. À chaque fois que ce mot est prononcé, j'ai faim. Non, je ne plaisante pas, j'ai vraiment faim ! Je sens le goût d'un avocat dans ma bouche, écrasé entre ma langue, digne de celle d'une vache, et mon palais.

Ma lasagne m'écœure. Je la pousse au fond de mon assiette et entame ma salade de tomates. Mes tomates sont rouges sang. Si rouges, que je me demande si elles sont bio ou badigeonnées de colorants... Je ne sais pas si cela est possible, je le demande donc à mon père qui me répond :

- Voyons Julie ! As-tu déjà vu des pastèques bleues ?!

Surprise par cette question je renverse mon verre de lait sur la nappe. Ma mère va vite prendre une pâte à vaisselle et entreprend de nettoyer. Pendant ce temps, j'essaie de faire le rapprochement entre une pastèque bleue et une tomate sans trouver la réponse.

Je me surprends encore à méditer dessus alors que je dessine, dans ma chambre. Il faudrait vraiment que je pose la question à mon prof de biologie !
Je décide de me coucher et comprend que je suis trop fatiguée pour réfléchir normalement quand j'entends que le cheval que je dessine me dit :

- Julie, mon cou est beaucoup trop long. Mes oreilles trop pointues. Elles ressemblent à celles d'un elfe ! Arrange-moi tout ça, avant de me ranger dans un traditionnel classeur à dessin pour ne plus jamais m'améliorer !

Mes parents viennent tour à tour me border puis je plonge dans cette immense mer qu'est le sommeil, vingt minutes plus tard...

Δ

Durant le cours de français, le lendemain matin, je repense à un des rêves que j'ai fait la nuit. Ce rêve était très étrange. C'était presque un cauchemar.

Je m'étais transformée en cygne. Pendant toute la durée du rêve , des voix me parlaient, me disaient de rejoindre « Le Maître » sur Adécrallia, un nom bizarre, qui semblait tout droit sorti d'un film. Un monde surréaliste s'est matérialisé dans ma tête, rempli de cascades, d'arbres, de verdure. On se serait cru dans la jungle !
Jusque là le rêve pourrait paraître tout à fait normal. Mais ensuite un homme a commencé à me parler dans une langue inconnue, je n'y comprenais rien. Les voix du débuts continuaient à me harceler, puis m'ont demandé de me soumettre aux « Trois Pouvoirs », sans quoi on allait me décapiter.
J'ai réussi à me persuader que ce n'était qu'un rêve puis je me suis réveillée en sueur.

- Là, voyez-vous, il s'agit d'une didascalie. Une didascalie est une ou plusieurs phrases qui...

Le reste de la phrase de la prof de français, Mme Halis est noyé par la cloche annonçant la pause de vingt minutes. Je range précipitamment mon livre, ma trousse et mon classeur de français dans mon sac puis je me précipite hors de la classe.

Je déniche Arina aux toilettes, en train de boire. Elle sort toujours en premier de la classe, ce qui explique que je doive la chercher à chaque récré.
- Ça te va le cinéma ce soir ? lui demandé-je.
- Non, désolée mais j'ai mon cours de violon. J'ai dû annuler celui de mardi.
- Ah.

Je la laisse continuer à boire et pars à la recherche de Méliane. Je la retrouve sur son banc habituel, en face du cycle. Je lui explique la situation, que nous devrons faire notre « soirée entre BFF* » juste les deux. Elle hausse les épaules, mais n'émet aucun commentaire. J'y suis habituée avec elle, c'est génétique. Je ne l'ai jamais vue, ni elle ni ses frères et sœurs perdre leur sang-froid. Je crois que ça vient aussi de son origine (la Côte-d'Ivoire, en Afrique). Bref, nous décidons d'aller quand même au cinéma.

* en anglais : Best Friends For ever ( meilleur(e)s ami(e)s )

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