chapitre 2 "souffrance"

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Comme tous les matins, pour aller travailler, je me levais une heure avant les premiers rayons du soleil. Depuis un certain temps, je dormais affreusement mal à cause de mon matelas tout bossu et si peu épais, qui me donnait toujours mal au dos au moment de me redresser.

Une fois habillée de mon vieux jupon rapiécé, de ma chemise et de mon pull troué, j'enfilais les bottines de ma mère et partais travailler.

Ne possédant pas de miroir, je m'arrêtais souvent, sur la route, pour voir mon reflet dans une flaque d'eau de la dernière pluie. Mes longs cheveux coiffés d'un chignon, ma mine sale et fatiguée, mes cernes noires et mes vieux vêtements me donnaient une allure des plus déplorables .
Mais je m'en moquais. C'était une normalité pour les impures comme nous de faire pitié.

Les autres ouvrières étaient  dans le même état que moi, voire pire. Certaines avaient un bras, une jambe, au mieux un doigt en moins à cause de maladies ou tout simplement  du froid, car elles n'avaient pas la chance d'avoir un logement. Il y avait trop de SDF dans les rues.

Mon amie Amy et moi, étions les rares ouvrières possédant la totalité de nos membres. Avec ses cheveux sombres, son teint mat et ses fossettes, Amy était le contraire de cette race presque divine. D'ailleurs elle ne cessait de me répéter la chance que j'avais d'avoir cette apparence, elle qui savait très bien que son avenir était voué à pourrir dans cette usine.

Ici, nous n'avions guère le loisir de bavarder, nos employeurs nous faisaient travailler à un rythme d'enfer. Penchées toute la journée sur notre machine à coudre avec ces aiguilles susceptibles de nous piquer, mais aussi les locaux qui risquaient un jour de nous tomber sur la tête, nous ressemblions plus à des esclaves qu'à des ouvrières. Lorsque la personne chargée de nous surveiller s'éloigna, Amy se pencha vers moi et chuchota:

-Tu es au courant pour la détection ?  
                         
Je la regardais avec incompréhension:                         

-La quoi ?

-La détection, répétait-elle, une sorte de concours où le prince doit choisir sa future épouse parmi les prétendantes!  Il a fait le tour du pays pour trouver sa bien aimée sans succès ! Il organise donc un dernier rassemblement à Sarkaya! Tu t'imagines?! C'est à seulement quelques kilomètres de chez nous !

Je haussais les épaules,                                                                                               
-Et en quoi cela nous concerne ?

-Et bien, si tu arrives à la deuxième et dernière étape de sélection, on te donne un chèque pour avoir aider la couronne! Pourquoi ne t'inscris tu pas ?

Je faillis me planter le doigt avec l'aiguille de la machine à coudre, tant sa remarque suscitait mon indignation. Je ne pus m'empêcher de répondre sèchement:

-Tu es tombée sur la tête! Déjà je n'ai aucune chance ne serait-ce même que d'entrer dans la salle et tu me crois capable d'accéder aux prolongations ?dis-je sarcastiquement.

Je me rapprochai d'elle et lui chuchotai le plus discrètement possible:

-En  plus, il est hors de question que j'aide en quoi que ce soit cet espèce de tyran!

****

Une fois ma journée terminée, je ne perdais pas de temps pour rentrer. La nuit était tombée et je ne voulais pas faire de mauvaises rencontres. Mais le spectacle à la maison n'était pas plus rassurant: ma mère pleurait sur la table avec une lettre en main.

-Maman que se passe-t-il ?

Son visage était plein de larmes et sa voix brisée.

-Ils augmentent les impôts, nous devons payer nos dettes sinon on nous jettera dehors.

Je ne pus retenir de m'exclamer:

-Quoi ?! Mais c'est impossible, ils les ont déjà augmenté le mois dernier !

Voyant que cette nouvelle m'affolait également, ma mère s'efforça de sourire, même si son expression ressemblait plus à une grimace.

-Ce n'est pas si grave mon trésor, je vais vendre nos alliances et si cela ne suffit pas, peut-être mes cheveux.

Je me levai brusquement, hors de moi.

-Hors de question ! Tu as déjà vendu ta robe de mariée, vos alliances sont les seules souvenirs qu'ils nous restent!

-Mais que veux-tu faire d'autre ? Nous n'avons pas le choix !

Je me rasseyais pour mieux réfléchir. Il fallait se rendre à l'évidence, je n'avais pas le choix non plus, j'étais coincée, devant une impasse. Je poussais un soupire ennuyée.

-Je vais participer à la détection.

Ma mère me lança un regard interrogateur.

-Qu'est ce que tu racontes ?

Après lui avoir expliqué brièvement ce que Amy m'avait raconté, elle réfléchit un moment. Puis déclara avec une pointe d'autorité:

-Soit, mais si cela ne fonctionne pas je ferai comme prévu.

Je tendis ma main à ma mère pour seller notre pacte.

-C'est d'accord.

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