Mes sanglots se dissipent au fur et à mesure que le temps passe. Je finis par lâcher Ahren, qui fait de même de son côté.
J'essuie du revers de la main les restes de larmes sur mes joues.-Parle-moi Mayda.
J'aimerai moi aussi qu'il me parle. Qu'il me dise pourquoi il s'excusait et surtout, de quoi s'excusait-il. Il a tellement de choses à se faire pardonner.
Tellement de choses impardonnables
Mais au lieu de ça, nous restons là, silencieux, à nous dévisager comme si l'événement d'il y a à peine quelques secondes n'avait jamais existé.
-Je t'en prie.
Sa voix est presque implorante. Je lève la tête pour croiser son regard, plus doux que la dernière fois que je l'ai vu.
Il y a trop de choses à dire, et il n'a pas assez de temps et de patience pour écouter.
Je me retourne et va m'asseoir sur un des sièges des tables formant un arc, puis je tire un second fauteuil juste à côté de moi pour l'inviter à s'asseoir. J'espère que sa posture sur une chaise sera moins intimidante.
-Je t'écoute, déclare-t-il pour m'inviter à parler.
Je me concentre sur les cernes bleutées qui cerclent son regard azur. Il est affaibli lui aussi, affecté par je ne sais quoi qui m'importe peu. J'essaie juste de me convaincre que ce détail physique prouve son humanité.
-J'ai une question, chuchoté-je, mais je suis certaine qu'elle ne va pas te plaire. Je ne sais même pas si tu es en mesure de me répondre.
Ahren, dont l'attitude était jusqu'à présent bienveillante, se raidit. Il se redresse et me toise de toute sa hauteur.
-Pose-la et j'aviserai.
J'oublie madame Resinska, j'oublie les innombrables arrestations depuis la mort de son père, j'oublie même ma captivité. Je ferme les yeux et ne porte mon attention que sur le son de ma voix et la question qui me ronge l'esprit depuis un long moment.
Je prends une longue inspiration pour me donner du courage et prononce, d'une voix que je veux la plus douce possible:-Je ne pense qu'à ce moment, lors de l'arrestation de... je vais l'appeler la femme de notre défunt roi.
Je poursuis aussitôt:
-Tu m'as avoué qu'elle n'était pas ta mère.
-Et c'est exacte, me confirme-t-il comme si cette idée le répugnait.
-Dans ce cas, qui est ta véritable mère ?
Un silence pesant s'installe entre nous. Je me prépare à n'importe laquelle de ses réactions impulsives.
J'entends alors la chaise partir en arrière.-Tu as raison, dit-il en se levant, je ne te répondrai pas. Pas à cette question.
Mes poings se ferment et je laisse la frustration emplir mon esprit. Je veux savoir, je crois que j'ai besoin de savoir parce qu'il est évident qu'il me cache quelque chose d'important, cruciale.
-Comment veux-tu que je sois ta femme si tu me caches des choses aussi essentielles ?
Le ton est dur. Je le regrette aussitôt.
Ahren se retourne. Je me lève précipitamment, prête à prendre la fuite en cas de tempête.-Ne m'oblige pas à te faire pleurer une seconde fois, me menace-t-il avec le regard glacial qui le caractérise.
Je suis fascinée par la facilité qu'il a à toucher le point sensible d'un individu, et a appuyé dessus jusqu'à ce que ce dernier lâche prise.
Je me lève à mon tour avec le même entrain et croise les bras juste devant lui. Je ne suis pas en position de force mais je sais que je n'ai jamais été aussi proche de la vérité.
-Pourquoi de telles menaces ? Est ce encore un secret inavouable ?
-Pourquoi tant de questions ? répond-il aussitôt, est-il vraiment nécessaire que j'y réponde à chacune d'entre elles ?
-À celle-ci, oui.
Il soupire, excédé. Son pied trépigne de nervosité.
-Pourquoi cette question en particulier ? Que pourrait-elle bien t'apporter ?
-Comment peux tu me demander cela !m'exclamé-je. Tu ne peux pas me reprocher de vouloir savoir qui sont tes parents ?
Son poing se referme en entendant ce dernier mot.
Mais qu'a-t-il donc à cacher d'aussi sensible ?
-Je ne veux plus en parler, articule-t-il froidement.
Son visage s'assombrit et sa mâchoire se contracte si fort que je crains qu'elle ne se brise sous la pression. Je comprends sur le champs qu'il ne faut pas que je retourne sur ce terrain glissant d'ici quelques temps.
Je sais aussi qu'il ne faut plus que je le contrarie à moins de vouloir déclencher une nouvelle colère. Je laisse donc honteusement tomber le cas Mme Resinska.
Je me sens coupable de n'avoir voulu nourrir que ma curiosité alors que la cause de ma venue était beaucoup plus louable.-Je vais partir quelques temps, déclare Ahren.
Je tire la tête de mes pensées pour l'observer de nouveau. Son visage est resté aussi tendu que lorsque nous avions abordé le cas de ses parents.
-Cela risque de se compter en nombre de jours. Je vais voyager à travers tout le pays pour me présenter au peuple.
Il se gratte furtivement le derrière de la tête.
-Et aussi pour achever mon apprentissage royal.
Son père ne lui a donc pas tout enseigné avant de rendre son dernier souffle ?
-Qui va te former ? Il n'y a plus de Roi...
-Les conseils de mon père, me coupe-t-il sèchement.
Du moins, ceux que tu n'as pas exécuté.
Je hoche la tête, songeuse.
J'ai du mal à croire qu'Ahren, arrogant comme il est, accepte de suivre ne serait-ce que des conseils sur sa manière de gouverner. Je plains ma situation mais elle me paraît moins pénible que les personnes qui vont tenter de le faire devenir un roi à part entière.
Ils ne savent probablement pas qu'ils vont continuellement danser en équilibre sur la lame d'un rasoir.Chaque mot pourrait déclencher un drame mondiale.
-Je charge le duc de Siracias de diriger le palais en mon absence. C'est un ami, je lui fais confiance.
Ces derniers mots sont particulièrement appuyés. Est-ce qu'il essaie de se convaincre lui-même ? Où vient-il de réaliser qu'il n'a finalement que très peu d'amis ?
Je ne pensais pas un jour entendre ce mot sortir de sa bouche.-Promets-moi de ne pas lui causer de trouble.
Je le fusille du regard. Il sait très bien que je déteste par dessus tout lorsqu'il emploi ce ton paternaliste avec moi.
-Est-ce normal que je ne le connaisse pas ?
Mon ton suspicieux ne lui plait pas, mais je m'en moque.
-Il ne faisait pas partie de la cour jusqu'à maintenant. Il était chargé de veiller sur le royaume du Nord.
Je faillis m'esclaffer de rire. Le terme « veiller » est très mal choisi. Le royaume du Nord est essentiellement composé de camps de prisonniers politiques qui meurent de froid et de faim pour extraire de précieux minerais. A part de la glace et du sang, il n'y a rien là-bas.
Je réalise alors l'atrocité qu'il vient de m'annoncer:
Il vient de nommer gouverneur de ce château un seigneur sanguinaire qu'il considère de surcroît comme étant son ami.
Je vais devoir me plier aux ordres d'un nouveau bourreau, peut-être pire que le précédent.Mais entre la peste ou le choléra y-a-t-il vraiment une différence ?
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Dark Beauty
RomansaEn 3050, l'Europe et l'Asie ont complètement disparu pour former un seul et unique royaume gouverné par une famille royale tyrannique: l'Anéla est née. Une seule règle est fondamentale: la race arienne est maitre, vénérée de tous. Quand au reste du...