Chapitre 2

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-Je m'appelle Marie Onkola, désolée de ne m'être pas présentée.

-Ne vous excusez donc pas, je suis Alain Du-bosquet. Que faites-vous donc en cette fin de matinée dans un café?

-J'avais besoin de sortir aujourd'hui. C'est un jour spécial pour moi.

-Une journée spéciale ?

-Oui, que faites vous dans la vie monsieur ?

- Je suis retraité du journalisme.

-Intéressant. Je trouve que le journalisme est un métier un peu ambigu. On doit vous croire sans vraiment vous croire.

-Et pourquoi cela?

-Parce que vu la politique menée aujourd'hui dans notre pays et les secrets que nul ne veut dévoiler, on se pose des questions sur la véracité des journaux.

-Vous n'avez pas totalement tort. Mais je ne vais pas me statuer dessus.

-Que le mystère plane donc cher monsieur.

Elle paraissait ne pas vouloir me laisser percer le mystère que ses yeux posaient devant les miens. Elle me fixait avec une arrogance sans démesure mais plein de tendresse. Je ne savais plus quoi lui dire à cet instant précis à part lui demander ce qu'elle faisait dans la vie. Elle répondit de manière nonchalante "je suis médecin psychiatre."

-La psychiatrie, vous n'avez certainement pas l'air d'une psychiatre. C'est un métier assez complexe selon moi. Cela demande beaucoup de patience car je pense que le but de la psychiatrie n'est pas encore de guérir. Vous essayez d'accompagner les patients au mieux mais la triste réalité est que vous ne savez pas encore comment guérir.

-Vous avez déjà vu un psychiatre, n'est ce pas? Un homme je dirais. Pourquoi?

-J'ai perdu ma femme il y a deux ans de cela. J'ai perdu ma raison de vivre. »

En me présentant ses condoléances, je remarquais que l'expression de ses yeux était dépitée, soudain son visage s'assombrit. D'une main gracieuse elle retirait de son visage une partie de sa chevelure encombrante et me regardait droit dans les yeux. Je voyais sa bouche s'ouvrir doucement et inspirer de manière discrète comme si elle était prête à prononcer un serment mais elle serra les lèvres net au moment où elle prenait conscience du fait que je la regardais avec une attention aiguë.

-J'ai besoin de parler et d'écouter. J'écouterai votre histoire ici à cette table et le fardeau que vous portez restera avec moi éternellement. Le fardeau que je vais vous confier, gardez le pour vous.

Je fronçais les sourcils me demandant pourquoi une jeune femme de son âge voudrait exposer sa vie à un inconnu en me demandant si cela était une technique de drague ou un jeu sans humour "Pourquoi ferais-je cela?".

-Parce que vous avez besoin autant que moi de partager cette histoire. Car après tout, quelles sont les chances de nous revoir dans cette immensité industrielle?

Ce qu'elle disait avait un sens. Tout de même raconter mon enfance à une parfaite inconnue dont je pouvais être le père me paraissait un peu farfelu. Néanmoins je me suis mis à lui conter ma vie.

Je suis Alain Pierre Du-bosquet, né dans un petit village de Normandie dans le Nord de la France le dix-neuf janvier mille neuf cent cinquante six. L'époque de l'après guerre était encore difficile, les traces du débarquement étaient toujours vives et présentes dans le quotidien des enfants comme des adultes. J'étais né dans une famille qui comptait déjà deux enfants, l'aîné Jean suivie de Sophie de trois ans mon aînée. Mon père était instituteur à l'école primaire et j'ai eu une mère au foyer, elle s'occupait de nous avec tout l'amour que l'on pouvait recevoir d'une mère. Étant le dernier, j'étais celui dont mes parents s'occupaient le plus, ce qui créait parfois des tensions dans la famille mais rien de bien grave.

Nous vivions une vie paisible jusqu'au vingt-neuf décembre mille neuf cent soixante-sept. L'esprit de Noël était toujours présent dans notre petit village. Plus tôt dans la journée, nous étions allez voir mon oncle Henry, du coté de mon père. J'ai joué avec Philippe, le plus jeune de ses enfants d'un an mon cadet. C'était un petit garçon aux cheveux blonds qui ne ressemblait pas vraiment à son père. Il se faisait souvent taquiner à l'école à cause de cela, apparemment le facteur, monsieur Dubois était aussi blond. Il se pouvait que ce soit son vrai père. Seule sa mère pouvait résoudre le mystère mais elle avait succombé à une tuberculose. Mon oncle n'a jamais traité Philippe différemment de ses autres enfants, il l'aimait tout autant mais il avait parfois le regard triste quand il posait ses yeux sur cet enfant qu'il savait de quelqu'un d'autre. Philippe avait ce gentil sourire d'un enfant naïf, des yeux verts que je n'avais jamais vu à l'époque. Nous nous sommes beaucoup amusés ce jour là, et le soir tombé nous devions rentrer. Le frère de mon père a insisté pour que nous restions un peu plus longtemps mais mon père a dit qu'il avait du travail. Si nous n'étions pas rentrés ce soir là, peut-être que ma famille serait encore en vie. Sur le chemin du retour, Jean semblait bizarre, il était beaucoup trop calme, peut-être avait-il un mauvais pressentiment? Quelque chose d'autre qui le tracassait? Je ne le saurais jamais. J'aurais aimé rester jouer plus longtemps avec Philippe mais j'étais content d'être rentré dans ma chambre. Nous avions la chance d'avoir chacun une chambre ce qui faisait la joie de Jean qui à cet âge de l'adolescence avait beaucoup de secrets. Il faut également noter que ma chambre était la seule chambre dont la fenêtre donnait sur un terrain de blé lointain. C'est cette fenêtre qui m'avait sauvé la vie, sans sa position à cet endroit, je serais enterré depuis longtemps sous terre sans un souffle, sans une histoire à raconter ni à laisser. La fin de soirée se passa normalement, mon père comme d'habitude entrain de lire son livre dans son fauteuil et ma mère s'effarait dans la cuisine à tout mettre au propre. J'aurais aimé les serrer tous très fort dans mes bras avant l'incident malheureux qui allait suivre.


Le Revers d'un Rêve.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant