Chapitre 10

2 0 0
                                    


La soirée s'était déroulée sans encombre. Ils avaient partagé la nourriture qui consistait en de petits morceaux de pains et une soupe à l'oignon. Marie ne trouvait pas cela spécialement bon mais elle n'avait pas le choix, il fallait continuer de survivre jusqu'à ce qu'elle puisse subvenir à ses besoins toute seule. Puis elle leur a demandé leurs histoires. Comment en sont-ils arrivés à ce stade de pauvreté. Pas seulement par curiosité mais parce que jusqu'ici, les histoires des autres l'avaient inspirée et lui aidait à se forger une personnalité. C'est Bernard qui commença.

Il était né à Paris dans une famille aisée qui avait gagné de l'argent grâce à l'agriculture. Mais il n'a jamais voulu rester dans 'entreprise familiale. Il a décidé de faire des études de commerce à Paris et a réussi brillamment. Après avoir eu son diplôme et un poste dans une grande entreprise à seulement vingt-cinq ans, il a rencontré Barbara qui allait être sa future femme. Elle était la femme parfaite à cet instant, ils se sont mariés sept mois plus tard et en mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Les débuts de mariage étaient bien comme toujours. Il croyait la connaître mais en fin de compte il a découvert une autre Barbara. Après leur premier enfant deux années plus tard, elle s'était éloignée de lui progressivement. Il avait tout essayé mais à chaque fois elle n'était pas réceptive, il se doutait qu'elle ne l'aimait pas et avait découvert qu'elle était infidèle, avec son meilleur ami Marc. Cette découverte l'avait anéanti, il n'était plus efficace au bureau et un an après il a été licencié et Barbara a demandé le divorce. Il s'est mis à boire et il a perdu la garde de sa fille. Il regrettait sa décision d'avoir épousé Barbara sans vraiment la connaître et de s'être mis à boire mais aujourd'hui il a abandonné, il s'est avoué vaincu et a été engloutit pas les souterrains de la vie.

Marie apprenait trois choses du récit de Bernard, le mariage n'était pas une mince affaire, connaître son partenaire est primordiale, l'alcool est une nuisance, et le pire ennemi de l'homme c'est lui-même.

C'était au tour de Gisèle de raconter son histoire, elle était la plus âgée d'entre nous à quarante-six ans. Elle avait été une prostitué de luxe pendant des années, sa mère lui poussait à coucher avec des hommes dès son adolescence afin de gagner de l'argent pour se nourrir. Gisèle n'avait connu que le sexe dans sa vie et n'a jamais eu le courage de dévier de ce chemin. Il y a six ans elle a découvert qu'elle était atteinte du SIDA et sa vie s'est écroulée. Son employeur l'a rejeté et elle n'avait plus de rentrée d'argent. Elle s'était mise à la drogue pour rassurer et tenir mais voilà où tout cela avait mené.

Deux choses ressortait de son récit, parfois vos parents peuvent être vos bourreaux, et les conséquences de la prostitution son dévastatrices.

Patrick quant à lui ne voulait pas raconter son histoire, il paraissait que Patrick avait tué quelqu'un à ses dix-huit ans et que depuis il a vagabondé dans la France jusqu'à l'épuisement avant de se nicher dans ce tunnel à trente-huit ans. Après ces histoires, il fallait se coucher. Elle a partagé le lit de Bernard rempli d'inquiétude pour le lendemain. Elle devait aller à Paris et ne savait pas à quoi s'y attendre.

-Voilà, vous connaissez aussi la première partie de mon histoire.

Je restais assis, impassible, en pleine réflexion sur quoi dire à cette jeune femme. Elle qui m'avait paru comme une princesse des îles venait de me raconter ses origines. J'étais rempli d'une tristesse indicible. Je sentais mes mains trembler légèrement, elle me regardait l'air de ne pas comprendre le motif de mon silence absolu. "Vous avez souffert." Lui dis-je sans réfléchir. "Ah bon?" Elle sourit. Elle paraissait avoir acquise une immunité contre sa propre histoire. Il me semblait sur le moment qu'elle racontait son histoire avec une certaine distance. On aurait dit qu'elle racontait l'histoire d'une autre Marie. Une histoire qu'elle s'était préparée à raconter depuis des années, l'aisance avec laquelle elle parlait et décrivait ce que je viens de vous narrer était remarquable. Sa réaction s'opposait à la mienne, j'étais stressé tandis qu'elle était sereine et souriante. Je transpirais beaucoup, tandis que sa beauté rayonnait au fur et à mesure que le soleil s'élevait dans le ciel.

-Cela fait deux heures que nous sommes assis ici. Voudriez-vous marcher dans le parc en continuant nos récits?

Je me levais, payais l'addition et nous nous sommes mis en route vers un parc qui était situé non loin de là. Près d'elle, je me sentais encore plus petit que d'habitude. Elle remarqua cela et me dit "ne vous inquiétez donc pas de ma taille, c'est une différence génétique. Souriez, la vie est belle". C'est vrai que je n'avais pas souris depuis ce matin-là, ni depuis deux ans d'ailleurs.

"Vous n'aimez vraiment pas sourire, c'est ça ou c'est à cause de la perte de votre femme?" -« Vous êtes psychiatre, devinez." -"J'ai donc raison. Que s'est-il passé après que vous ayez quitté votre village?

J'ai été adopté par une famille bourgeoise qui n'avait pas d'enfant et qui habitait à Bordeaux. Ils étaient très attachants et je sentais qu'ils m'aimaient beaucoup, ils ont tout essayé pour que je ne vive pas avec le fardeau que je portais dans mon cœur. J'étais gâté et choyé toutes les années où j'ai vécu avec eux. Mathilde, ma mère adoptive m'avait toujours soutenu dans mes projets de devenir journaliste. André mon père aurait préféré que je sois médecin mais il ne s'était jamais opposé à mon rêve. J'ai donc pu déménager de la maison pour faire mes études à Paris à vingt et un an.

Deux années plus tard, un mardi soir ma mère m'a appelé comme elle le faisait chaque nuit mais cette fois elle n'avait pas voix joviale comme d'habitude. Je sentais que le malheur était proche. Je connaissais ce pressentiment, cette boule dans le ventre qui vous prend quand vous savez que vous venez de perdre un être cher et que l'on est sur le point de vous l'annoncer. C'est là qu'elle me l'avait dit. André avait succombé à son cancer et m'avait légué la moitié de ses biens. Je restais sans voix. J'avais cru qu'avec tous les morts que j'avais eu à voir dans ma vie, je ne serais plus aussi surpris qu'à mes onze ans. Ce n'était pas le cas, la mort vous prend toujours au dépourvu malgré les rencontres, les larmes ne s'arrêtent pas, la douleur ne cesse pas et le deuil est très long. Nous savions qu'il allait mourir, mais la réalité est toujours plus marquante que les pressentiments. Ce soir j'ai enfin eu le courage de lire le mot qu'avait écrit ma mère avant de se suicider il y a dix ans. Avec la mort d'André, je restais dans l'incompréhension et la colère contre ma mère qui m'avait abandonné.

Je me suis assis dans mon lit, adossé au mur. J'ai pris le vieux bout de papier plié de la boute en métal dans laquelle je l'avais soigneusement préservé pendant si longtemps. J'ai déplié la feuille, pris une grande inspiration et lu doucement à voix basse :

Mon cher fils Alain,

Je t'écris cette lettre pour te dire adieu et pour m'excuser de ce que je suis sur le point de commettre-moi ta mère. Je voudrais que tu saches d'abord que je t'aime malgré l'égoïsme dont je vais faire preuve dans quelques instants. Je ne peux plus supporter de vivre chaque jour sans ton père, ta sœur et ton frère. Chaque nuit est un calvaire depuis ce jour, mes larmes ne cessent de maudire ceux qui ont brisé notre belle famille. J'espère que tu comprendras que ta mère était à bout, que tu seras plus fort qu'elle. La vie j'espère sera plus clémente avec toi mon cher enfant.

Ta mère qui t'aime.


Le Revers d'un Rêve.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant