« In a second, everything will be gone. »
Quand je me réveille, j'ai froid. J'ai si froid que j'en tremble de tous mes membres. Mais quelque chose cloche parce que je suis dans mon lit, sous mon drap censé m'apporter chaleur et réconfort. Pourtant j'ai tellement froid qu'un frisson glacial électrifie tout mon corps, il l'engourdit, l'atrophie, m'obligeant à sortir de ma couette avec une seule pensée en tête ; celle de boire un long café bien chaud.
Je descends pieds nus les escaliers qui me paraissent d'une infinité inouïe. Ma vision se trouble j'ai subitement l'impression de marcher dans la neige. J'ai les pieds dans la neige. Ça allait recommencer, pas vrai ? Le flash disparaît aussitôt, ne me laissant ni le temps d'y réfléchir ni l'envie d'avoir raison. La réalité reprend totalement forme et je me dirige vers la cuisine où mes parents sont déjà là. Ils m'adressent un bref regard avant de poursuivre dans leur domaine d'excellence : m'ignorer. Je soupire et une fumée blanchâtre s'échappe de mes lèvres, disparaissant l'instant qui suit au contact de l'air environnant. Finalement, je bois mon café d'une traite, sous les yeux pesants de mes parents pourtant absents.
Je me prépare en vitesse, je ne veux pas rester dans cette maison une minute de plus et claque la porte en sortant avant de me diriger vers l'arrêt de bus. Dehors, il fait simplement frais. J'en oublie parfois qu'on est en hiver, tant le temps est clément avec l'Angleterre en ce moment.
Et soudain, un flocon. Il s'écrase sur mon front et je lève les yeux au ciel, qui, contre toute attente, rayonne d'une couleur bleu azur déconcertante. Quand je baisse la tête, mes pieds sont de nouveau dans la neige et en quelques secondes, le paysage de mon petit village disparaît pour laisser place à celui d'une ruelle sombre et glauque, seulement éclairée par un lampadaire dont l'ampoule résiste avec peine. Je suis d'abord dans le corps de cette fille, blonde, le visage blême, un sac accroché derrière son dos. On dirait moi, et puis je me dédouble, je ne suis plus elle, je marche à ses côtés, imitant ses mouvements. Elle me remarque et sursaute lorsque nos regards se croisent. Se stoppant dans sa marche, elle me lâche, un soupçon d'amertume dans le creux de sa voix :
- Est-ce que tu me suis ?
Je secoue la tête pour dire non aussitôt, ne comprenant pas encore trop bien ce qui m'arrive.
- Oh, non, non, pas du tout.
Elle me regarde sans dire un mot et, pendant un bref moment, je crois me voir à sa place.
- Désolée, je voulais pas te faire peur, dis-je doucement.
- Ça va. T'as pas vraiment l'air d'une psychopathe, donc je pense que ça devrait aller.
Elle se met à rire, brisant la sévérité de ses traits de visage, un rire qui reste tout de même un peu nerveux et timide, mais un rire quand même. Et je ne peux pas m'empêcher de sourire en la regardant. Je m'efforce d'entamer la conversation pour ne pas faire durer la gêne du moment.
- Tu vas à l'école ? Je demande, les yeux rivés vers son sac de cours.
- Bien vu Sherlock. Toi aussi ? Je ne t'ai jamais vue à Gustave.
Je devine qu'il s'agit du nom de son école. Je brûle d'envie de savoir où je suis, de connaître sa nationalité, de pouvoir enfin me situer, mais toutes mes questions s'écroulent lorsque j'aperçois la Tour Eiffel. Ma bouche s'agrandit et je reste immobile devant sa beauté, sa grandeur et sa puissance. Elle est en parfaite osmose avec le lever de soleil juste derrière, qui donne au ciel des teintes orangées et rosées, contrastant à merveille avec la partie grise juste au dessus de moi d'où s'écroulent quelques flocons. La France, alors. La France dont j'avais tant rêvé, se trouvait là, juste en face de moi, à portée de main. Je m'avance un peu et manque de tomber en m'enfonçant dans la poudreuse. La fille me regarde, les sourcils froncés. Elle doit se dire que je suis folle, mais je m'en fiche, je reste obnubilée.
- T'es sûre que t'es normale ? Me demande t-elle, s'approchant légèrement.
- Et toi, t'es sûre que tu l'es ? Comment tu peux passer devant la Tour Eiffel et ne même pas la regarder ?
Elle hausse les épaules et je ressens son cruel manque de réceptivité.
- Ce n'est qu'une tour.
Je murmure qu'elle est folle. Mais je crois qu'elle m'entend. Mes prunelles valsent de nouveau vers la tour, encore illuminée par quelques lampes parce que le jour n'est pas complètement levé. Je n'ai qu'une envie, c'est de courir et de l'escalader pour observer l'immensité de Paris. Paris la ville lumière, la ville de l'amour, centre du monde. Mais je sais, je sais que ce ne sera pas possible et ça me brise le cœur. Ce n'est que ma seconde visite mais je commence déjà à comprendre. C'est éphémère, ça peut s'arrêter à tout moment. Tout ce que je peux faire c'est profiter, et prier pour que ça ne s'arrête pas. Prier pour que la réalité ne se re-matérialise pas sous mes yeux.
- Paris, je souffle, tournant sur moi même pour voir tout ce qui m'entoure.
- Tu es définitivement la personne la plus étrange que j'ai rencontré.
- Alexa.
Elle s'avance pour se planter en face de moi et m'offre un large sourire, dévoilant des dents blanches soigneusement alignées et un visage bien plus avenant qu'il n'en paraissait.
- Alice.
Elle me tend sa main et je l'attrape vivement avant que l'on ne s'égare toutes les deux dans un fou-rire sincère et spontané. Je ne sais pas pourquoi on rigole - elle non plus - mais ça fait du bien. Tellement de bien. Quand le calme revient je ne peux pas retenir mon souffle :
- Tu as tellement de chance.
- Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que tu vis à Paris. En France. Tout semble tellement plus simple ici.
Alice secoue la tête et ses paupières tombent vers le sol.
- Crois-moi, ça ne l'est pas.
Nous croisons les bras en rythme, et je vois la silhouette d'Alice se tourner lentement vers la Tour Eiffel. On la regarde pendant quelques secondes, dans le silence le plus absolu avant que son visage s'incline dans ma direction et qu'elle ne s'exclame, légèrement affolée :
- Alexa ?
Mais c'est trop tard, je me sens déjà partir, être aspirée dans mon monde. La France disparaît, Paris disparaît, et la dernière image que je garde est celle de la tour mais elle s'évapore, elle aussi, dans la seconde qui suit. Quand l'allée terne de mon village réapparaît totalement dans mon champ de vision, je ne cache pas mon désarroi. Mon visage se ferme encore plus et je n'ai qu'une envie c'est d'y retourner. Retourner là-bas, à Paris. Rien qu'un instant. Je l'implore dans ma tête, mais rien ne se passe.
Tout ce qui arrive, c'est le bus, tandis que mon dernier espoir s'envole dans un soupir agacé, encore un tout petit peu émerveillé.
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Limbic Resonance (FR)
Science Fiction« Tu n'es plus juste toi Alexa. Tu es le monde entier, un mélange de couleurs, de sons, d'histoires à demi-susurrées. Tu ressentiras des choses étranges, des choses inexplicables, parfois agréables, parfois insoutenables. Tu ressentiras la colère, l...