« What if my faith is what gives me the courage to survive ? »
Depuis mon expérience de vendredi, je ne respire plus. Je n'arrive plus à penser de manière rationnelle. Je regrette. Je m'en veux. Je me sens complètement perdue. Je me déteste. Je ne dors plus. Deux jours sans sommeil parce que j'ai peur que ça recommence, peur d'être envoyée dans le corps d'une personne horrible. Peur de souffrir et de ressentir sa souffrance. Peur de voir ce qu'il y a dans sa tête. Peur de tout. Les mêmes questions repassent en boucle, encore et encore, encore et toujours. J'ai l'impression que jamais elles ne s'arrêteront. L'impression qu'elle seront toujours là pour me tourmenter, quoi qu'il arrive. Pourquoi a t-il fallu que j'atterrisse là-bas ? Je n'ai rien demandé. Je n'ai jamais voulu être dans la peau d'un meurtrier. Est-ce que c'est censé m'apporter quelque chose ? Pendant combien de temps ces voyages vont-ils continuer ? Est-ce que ça va s'arrêter un jour ? Pourquoi moi ? Comment marche ce putain de truc ?
Respire.
Respire.
Je ferme les yeux pour essayer de ne plus penser à tout ça. Mais il est déjà trop tard. Je sens que ça recommence, que tout s'enclenche autour de moi. Et je suis terrifiée à l'idée d'ouvrir les yeux, terrifiée de découvrir qui je suis le point de visiter. Mes mains tremblent et mon cœur se crispe, je sens la différence mais je la sens à peine, car c'est dans une pièce tout autant silencieuse que celle dans laquelle je me trouvais que j'apparais.
Craintive, je laisse les rayons du soleil éclairer mes prunelles, s'insinuer doucement à l'intérieur, et aussitôt je suis attirée par une silhouette, à seulement quelques mètres de moi. C'est une jeune femme à peine plus âgée, elle est assise sur ses genoux sur un lit très bas. Elle a les yeux fermés et j'ose à peine bouger, de peur de la brusquer. Nul doute qu'il s'agit d'une indienne, la décoration de la pièce et son apparence physique atypique parlent d'eux-mêmes. J'en déduis donc que je suis en Inde et je trouve ça tellement incroyable.
Shiva. C'est ce qu'elle répète dans sa tête, avec d'autres mots, d'autres noms dont je ne comprends pas la signification. Je cherche, je creuse dans ma culture mais je n'ai jamais entendu ce nom. Pourtant elle le répète, encore. Et puis encore une autre fois.
- Qui est Shiva ?
Je suis étonnée par la résonance de ma voix dans la salle. Instantanément, elle sursaute et son regard s'ouvre sur moi. Ses pensées se taisent et elle écarquille grand les yeux. Je la sens gênée. Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire en la voyant, la douceur incontestable de son visage et la pureté, la naïveté de ses idées, elle ne semble pas du tout apeurée.
Elle me fixe d'une curieuse intensité, observant la moindre parcelle de mon visage, le plus infime détail de mes yeux avant que je n'entende sa voix - aussi légère et délicate que l'apparence de son âme.
- Qui es-tu, toi ?
Elle me pointe du doigt et utilise ses mains pour me montrer la totalité de la pièce dans laquelle je me trouve avant d'ajouter, d'un ton calme et maîtrisé :
- Et que fais-tu dans ma chambre ?
Elle me regarde. Je la regarde. Et, tout d'un coup, je suis celle qui est la plus gênée. Qu'est-ce que je suis censée répondre à ça, alors que moi-même je ne connais pas la réponse ?
- Si je te le disais, tu ne me croirais pas.
Ce n'est qu'un demi-mensonge, l'emprunt d'un passage secret, la déviation d'une question à la réponse inconnue. Je suis plutôt satisfaite d'avoir pensé à ça, car je sens que ma réponse à sa questions lui suffit amplement et qu'elle ne cherche pas à s'en poser d'autres sur le pourquoi du comment de ma venue.
Je la sens différente. Différente de mes autres rencontres. Elle semble plongée dans une sorte de mirage, un monde construit sur l'illusion, le rêve et l'accalmie. Je ne sais pas de quoi il s'agit car elle est une énigme, mais je sens que c'est quelque chose de très puissant. De très précieux.
- Tu as peur, lâche t-elle dans un souffle.
Et puis, d'un coup, elle se lève et marche dans ma direction pour se planter à un mètre de moi. Elle croise les bras et continue de me scruter.
- Pas du tout.
Je suis sur la défensive et elle le perçoit, aussi simplement que je perçois la moindre de ses pensées.
- Si. Pourquoi ?
Comment arrivait-elle à faire ça ? Je suis celle qui peut lire en elle, pas l'inverse, non ? N'est-ce pas comme ça que ça marche depuis le début ?
- Pourquoi ? Réitère t-elle. C'est moi qui te fait peur ?
Elle s'approche encore un peu tandis que je recule. Mais elle continue. Elle continue avec ses questions et je me sens encerclée dans une cage d'interrogations, de sentiments et de souvenirs.
- De quoi tu as peur ?
Je baisse les yeux quand les images ressurgissent dans ma tête. Je les revois, les femmes de l'autre nuit. Je revois l'homme attaché sur le lit, sur le point de mourir. Je peux toujours le sentir en moi, sentir ce qu'il a fait. Entendre ce qu'il a dit. Voir son dernier regard et entendre son ultime songe.
Respire.
L'indienne me regarde d'un air suppliant. Elle est si altruiste que la seule chose à laquelle elle arrive à penser en ce moment c'est à comment faire pour que j'aille mieux. Alors je souris. Un petit sourire, qui se perd presque immédiatement, qui s'égare dans mes oubliettes.
- Peur de tout.
Ses prunelles s'adoucissent et elle attrape mes deux mains, me tirant doucement vers le sol. On s'assoit toutes les deux par terre, sur un tapis coloré et pétillant, parsemé de cercles et de symboles en tout genre sur lesquels je m'attarde un bref moment. Elle rassemble ses jambes en tailleur et je comprends à son regard qu'elle attend de moi que je fasse la même chose. Je l'imite, sans un mot, ne comprenant pas vraiment où elle veut en venir, mais tant pis.
Elle se met à respirer, prendre de grandes bouffées d'air puis les expirer en longueur, dans le calme le plus déconcertant.
- Juste, respire. Ne pense à rien d'autre.
J'ai envie de lui dire « Est-ce que tu lis dans mes pensées ? » Mais je connais déjà la réponse, alors je reste silencieuse. Elle ferme les yeux et je fais pareil, tandis que le son de sa voix résonne encore dans la chambre :
- C'est ce que je fais quand j'ai peur de tout, moi aussi.
Je ne sais pas pourquoi, mais je me retrouve un peu en elle. Un moi différent, plus enfantin. Une facette que j'ai enterrée depuis longtemps. Trop longtemps. Mais je suis heureuse de la retrouver, même si ce sera de courte durée.
Et pendant quelques minutes, elle et moi on ne dit rien. On se contente de respirer, de faire ce qu'on est supposé faire en premier lieu. Sans penser à ce qu'il y a autour, sans penser à quoi que ce soit. Sans se dire que la réalité nous rappèlera, à un moment ou un autre.
Quand je rouvre les yeux, j'ai déjà quitté l'Inde.
J'ai quitté l'Inde, plus apaisée.
VOUS LISEZ
Limbic Resonance (FR)
Science Fiction« Tu n'es plus juste toi Alexa. Tu es le monde entier, un mélange de couleurs, de sons, d'histoires à demi-susurrées. Tu ressentiras des choses étranges, des choses inexplicables, parfois agréables, parfois insoutenables. Tu ressentiras la colère, l...