« Thank God for gravity. »
Au lycée, j'ai l'habitude d'être seule. D'ailleurs, je crois que ce n'est pas seulement au lycée, je devrais plutôt généraliser. Je ne sais pas si c'est parce que je refuse de m'intégrer ou si c'est parce que j'ai la fâcheuse tendance de repousser les gens qui s'approchent d'un peu trop près de mon cocon, par peur de trop m'attacher pour souffrir par la suite, mais, je suis toute seule. J'ai toujours été seule, et, en quelque sorte, je crois que le silence de la solitude me va plutôt bien.
Je me suis installée sur un banc, mon banc. Il n'est pas véritablement mien mais je n'ai jamais vu personne d'autre que moi dessus, alors j'ai décidé de me l'approprier, un jour comme ça, quand je n'avais rien d'autre à faire. Dans ma tête, c'est mon banc, et j'imagine que c'est aussi ce que les gens ont fini par se dire. Le banc où je passe tout mon temps lorsque je n'ai pas cours, où je réfléchis, où je m'ennuie, où j'écoute de la musique, où je m'égare, rien qu'un instant, entre deux cours de philosophie.
Casque sur les oreilles, j'enclenche ma playlist favorite, celle qui regroupe une centaine de musiques de films et de séries. Celle qui passe actuellement est l'un des morceaux les plus célèbres de Hans Zimmer. Cet artiste est un prodige et sa musique est mon opium. Un simple assemblage de notes et d'instruments qui résonne à mes oreilles comme la plus douce et la plus belle mélodie qui soit. Je ne me lasserai jamais d'écouter ce qu'il fait. Parce que, vous savez, c'est le genre de musique qui vous plonge dans un autre monde, qui vous permet d'être quelqu'un d'autre pendant quelques instants. C'est le genre de musiques qui stimule l'imagination et les émotions. Le genre qui peut vous faire sourire, ou bien pleurer en une fraction de seconde. Le genre qui fait défiler un film dans votre tête lorsque vous regardez par la fenêtre du bus, le soir.
Le pouvoir de la musique. Existe t-il quelque chose de plus fort et de plus puissant que ça ?
Parce que je ne l'ai pas encore trouvé pour l'instant.
Ma dernière visite remonte à quelques jours. Paris, France. Chicago, Etats-Unis. En une semaine seulement, j'avais voyagé plus qu'en dix-huit ans. Je n'ai pas encore réellement pris le temps de réfléchir à ce qui m'arrive. Je sais simplement que, d'une façon ou d'une autre, je suis en train de vivre quelque chose d'extraordinaire. Mais je ne peux pas m'empêcher de me poser des questions. Je veux dire, scientifiquement parlant ce qui est en train de se passer n'est pas possible. Enfin, si, ça l'est, mais seulement dans les films. Je me demande ce que ce que je peux faire d'autre, avec cette faculté. Je me demande si je peux la contrôler, si je peux en être le maître. Car si mes expériences n'ont pour l'instant été que bénéfiques, je doute que toutes le soient. Devrais-je avoir peur ? Devrais-je être plus prudente ?
Le refrain commence et je clos mes paupières pour en apprécier la musique, soudainement plongée dans un état de transe indescriptible. Le bruit des gens dans la cour à côté s'amenuise à mesure que j'augmente le volume de mon téléphone, tandis que je suis attaquée par une vague d'émotions et de pensées. D'images, aussi.
Quand j'ouvre les yeux, c'est la réalité qui s'amenuise. Elle disparaît lentement, plus doucement que d'habitude, remplacée avec un endroit sombre et froid, bordé par des murs métalliques. Je me retourne brusquement avant de comprendre où je suis, et, je ne peux pas empêcher un petit cri de s'échapper de mes entrailles. Un cri d'émerveillement, parce que je suis dans un vaisseau. Dans les étoiles.
Je me rue vers l'immense hublot qui s'ouvre sur la salle dans laquelle je suis cloîtrée, posant mes mains contre celui-ci avant de regarder à gauche et à droite. Mais un bruit résonne derrière moi, un murmure. Je me tourne pour faire face à un homme, les traits tirés et les sourcils froncés.
- Mais t'es qui bordel ?
Il me regarde comme si j'étais l'ennemi, quelqu'un à abattre, et je reste silencieuse, ne sachant pas quoi dire. Il se lève du lit dans lequel il était allongé, retirant ses écouteurs pour me faire face, tandis que je recule de quelques pas, un peu brusquée par la noirceur et le chaos qui se reflètent dans ses yeux. L'animosité qui s'en dégage me terrifie.
- Putain, est-ce que je deviens cinglé ?
Il passe ses mains dans ses cheveux avant de regarder partout dans la salle. Puis il repose son attention sur moi et s'avance, un peu trop vite, m'obligeant à reculer d'encore quelques pas.
- Hey, je ne te ferais aucun mal.
Il s'approche un peu plus près de moi et je décide de ne plus bouger, le laissant s'installer à seulement un mètre, là, juste à côté.
- Es-tu réelle ?
Il me demande ça d'une façon si spontanée que je doute de ma propre existence.
- Je ne sais pas, dis-je doucement.
Nos regards se croisent et j'ai subitement l'impression qu'un éclair traverse au milieu, illuminant nos esprits d'une idée similaire. Il avance sa main, j'avance la mienne, et, très vite, elles se rejoignent pour se toucher du bout des doigts. Le contact avec sa peau me fait frissonner, mais c'est loin d'être un frisson désagréable, il est plutôt de ceux qui embrasent. Bientôt, ce sont nos paumes se touchent, formant une symétrie parfaitement imparfaite, un miroir brisé, fissuré, cassé en son centre. Je ne le quitte pas des yeux - lui non plus -, je m'égare, me perds dans ses prunelles. Mais le silence est tellement pesant que je finis par vaciller, me détacher. Je tressaille, à la fois gênée et terrifiée.
- Tu l'es, souffle t-il.
Je détourne le regard, me sentant bien trop faible et vulnérable quand il est plongé dans le sien. Puis je valse de nouveau en direction du hublot pour contempler l'espace, l'infini, le néant.
- Comment c'est ? Là dehors ? Je demande, les yeux scintillants comme si un millier d'étoiles étaient enfermées à l'intérieur.
- C'est magique.
Il tourne la tête vers le hublot avant d'ajouter :
- Mieux que tout ce que tu peux imaginer.
- J'en ai tellement rêvé.
Je souris bêtement avant de me perdre dans les méandres du vide, dans la douceur des objets célestes qui flottent dans l'espace et dans la nébuleuse violette, non loin de nous, qui semble m'appeler.
- Tu pourras venir avec moi à l'extérieur si tu veux, un de ces quatre.
- Vraiment ? Je veux dire, une vraie sortie dans l'espace hors de la fusée ?
- Oui, une vraie sortie.
- Promets-le moi, alors.
- Promis, souffle t-il.
Son visage s'incline dans ma direction avant qu'il n'ajoute d'une voix suave, différente de celle de tout à l'heure :
- Mais seulement si tu reviens.
J'ai envie de lui dire que je crois que ce ne sera pas possible, que je ne contrôle rien. Mais j'ai aussi envie d'y croire, de croire qu'un jour j'irai dans l'espace, que je pourrai enfin réaliser mon rêve; celui de nager dans étoiles, alors je me tais. Quand la musique réapparaît dans mes oreilles, je devine que tout est bientôt fini.
- Je ne sais pas comment ça marche, tout ça. Mais je crois que je vais bientôt partir.
- Attends, dis-moi ton nom avant.
- Alexa.
Un petit sourire se dessine sur ses lèvres, creusant légèrement ses joues.
- Moi c'est William. Will.
Il me tend sa main mais je n'ai pas le temps de l'attraper. Will, le vaisseau et l'espace disparaissent dans un flash noir tandis que je m'immerge de nouveau dans ma réalité.
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Limbic Resonance (FR)
Science Fiction« Tu n'es plus juste toi Alexa. Tu es le monde entier, un mélange de couleurs, de sons, d'histoires à demi-susurrées. Tu ressentiras des choses étranges, des choses inexplicables, parfois agréables, parfois insoutenables. Tu ressentiras la colère, l...