Chapitre 13 : William Blake (Fusée AM322, Espace)

602 84 8
                                    


« Then tell me who's gonna save us if we fall tonight ? »

C'est étrange, cette frustration que je ressens après mes voyages. C'est la même que celle qui me tiraille quand je ne connais pas la fin d'une histoire, ou d'une chapitre. Lorsque je suis dans un coin isolé de mon école, tournant les pages du livre qui m'intrigue, et puis que, tout d'un coup, alors que le suspens est à son comble, le bruit de la sonnerie se mette à retentir. Mais cette fois-ci, c'est encore pire. Parce que j'ai la sensation que quelque chose me manque, qu'ils ont tous laissé une empreinte en moi, mais que ces empreintes s'effacent, lentement, chaque jour un peu plus. Je les sens encore, tous, sans exception.

Ils sont là, à l'intérieur de moi, invisibles et silencieux, mais pourtant bien là.

Ils sont là, juste à côté, mais il m'est impossible de les atteindre.

Tout me semble inachevé, qu'adviendra t-il ensuite ? L'épilogue est-il déjà rédigé ? Ce sont des chapitres dispersés, des feuilles volantes dont la grande majorité finira par être disparue. Des feuilles déchirées, coupant une phrase clé en son milieu, de façon à ce que tout s'embrouille, que tout se mélange dans ma tête; voilà comment je décrirais ce qu'il m'arrive. Une suite d'évènements dont on a décidé de me supprimer brutalement le dénouement. Et c'est frustrant, tellement frustrant de ne pas savoir. De rencontrer de nouvelles personnes, d'être pleinement elles pendant quelques minutes, d'avoir accès à la partie la plus reculée de leur mémoire, d'être dans leur tête, d'attirer tous leurs souvenirs dans la mienne. De leur parler, de les découvrir. De les aimer, pour la plupart. De me rendre compte que ma réalité est minuscule, que des humains logés à l'autre bout du monde sont plus fascinants que ceux déjà à mes côtés.

Puis de disparaître, comme ça, aussi vite que j'étais apparue. Comme un éclair.

Les éclairs, ils peuvent revenir, pas vrai ?

Car je ne sais pas comment je vais tenir. Comment je peux rester debout si on ne m'en donne pas les moyens. Mes jambes craquent. À chaque rencontre, je m'écroule. Et là, je suis au bord du précipice, à deux doigts de déraper. Tout près d'un gouffre qui m'attire comme un aimant. Je lutte, vraiment, je lutte contre moi-même pour ne pas me laisser absorber à l'intérieur. Parce que je suis consciente que c'est un aller-simple, il n'y aura pas de retour possible. Alors je lutte.

Mais je suis à bout de forces.

Ma tête me fait mal, pourtant je persiste à mimer l'accalmie. Je résiste. Mais il y a quelque chose qui cogne à l'intérieur. Des voix qui résonnent. Des murmures qui me parviennent dans un écho, qui ricochent le long de mon âme. Des centaines d'émotions qui collapsent comme des objets célestes. Des sons et des couleurs qui fulminent dans une symphonie de violence.

Qui se doute que je renferme tout ça ?

Tout le monde me perçoit comme étant l'ataraxie;

Qui me croirait si je disais que j'étais en fait la frénésie ?

Personne, j'imagine.

Alexa.

Mon prénom.

Il y tant de voix qui le prononcent. Rauques comme aiguës. Lointaines comme adjacentes.

J'augmente le volume de ma musique, je l'augmente à m'en faire exploser les tympans, car c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour faire taire le vacarme indéniable qui se déchaine dans tout mon être. Un vacarme si intense, si intense qu'il m'est impossible de rester concentrée ne serait-ce que l'ombre d'un instant.

Limbic Resonance (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant