Chapitre 4 : Tobias Liverston (San Quentin, Etats-Unis)

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"There are worse things than dying."

Je rêvais.

Mais mon rêve s'est soudainement transformé en cauchemar.

Je suis réveillée par une sensation étrange au niveau du cœur, un picotement, mêlé à un noeud de stress et d'angoisse au creux de ma poitrine. J'ai l'impression d'étouffer, d'agoniser. Et je ne peux pas retenir le hurlement strident qui martèle mon corps et mes entrailles.

Je l'entends résonner, est-ce réellement moi qui l'ait provoqué ?

Mon front est en sueur et je gigote dans tous les sens. Je ne suis dorénavant plus maître de mes mouvements, qui semblent animés par une fureur hors du commun, par une surdose d'adrénaline, par une folie immatérielle qui me semble pourtant si réelle.

Je suis d'abord rage.

Après, je deviens peur.

Et puis, c'est la colère.

- LÀCHEZ MOI !

Je hurle de toutes mes forces. Ça résonne dans ma tête, si fort. Mais ce n'est pas ma voix, c'est celle d'un homme. Elle est rauque, puissante, mais également brisée et affolée.

- LAISSEZ MOI PARTIR !

Des larmes roulent sur mes joues et des flashs blancs et noirs furtifs jaillissent dans ma tête. Tout résonne, tout fait mal. Tout me heurte d'un coup, sans crier gare, sans savoir ni comment ni pourquoi. Je ne contrôle rien, je n'arrive pas à arrêter les bruits qui s'abattent brutalement contre mes tempes, ni même la douleur dans mes muscles, dans ma tête, dans mon coeur. Le goût âcre et métallique du sang ne tarde pas à se glisser dans ma bouche, parce qu'à force de hurler, de crier à en perdre la voix, je mords mes gencives et mes lèvres jusqu'au rouge.

- LAISSEZ MOI !

Je hurle, une dernière fois.

Et, puis, tout s'arrête, comme ça.

Je suis à présent dans une salle extrêmement lumineuse, semblable à un bloc opératoire, mais où il manque les ustensiles et le personnel. Je suis moi, simplement moi, et les battements de mon coeur s'en trouvent tout de suite plus réguliers et plus détendus. C'est une toute petite salle, dans laquelle résonnent des murmures, de simples chuchotements, et les cris atroces d'une âme dévastée et torturée. Je me tourne brusquement dans sa direction, et fait instantanément face à un homme brun, la quarantaine, ainsi qu'à d'autres personnes qui s'activent autour de lui. Il est attaché par des sangles sur un lit d'hôpital et se tortille dans tous les sens pour tenter de s'échapper.

Et, un regard suffit pour que je comprenne.

Pour que je comprenne que l'âme à priori dévastée en a dévasté des centaines.

Il me suffit d'une seule et unique seconde pour comprendre que l'homme qui se tient devant moi est un assassin, un tueur en série sanguinaire et cruel, et qu'il est sur le point de recevoir la peine qu'il mérite.

Il me regarde un instant. Je l'entends se demander qui je suis. Mais il me dégoûte et je détourne les yeux, essayant tant bien que mal de disparaître de cet endroit.

Il faut que je m'en aille, et vite. J'ai besoin de partir.

J'ai besoin de partir.

Il faut que je parte.

Mais il continue de hurler, je l'entends.

Et moi, je ne disparais pas.

Pourquoi faut-il que je parte brusquement quand je ne le veux pas ?

Pourquoi faut-il que j'assiste à une scène comme celle-là ?

Je bouche mes oreilles à l'aide de mes mains, masquant les cris insupportables du criminel juste à côté. Il me répugne. Ce que je vois dans ma tête me répugne. Des corps inertes, recouverts d'hématomes, baignant dans leur propre marre de sang. Des corps sans vie, des femmes qui ne demandaient qu'à vivre mais à qui - cet homme, cette ordure - a décidé d'ôter la vie.

J'ai envie de vomir. Je suis sur le point de vomir.

Mais il n'arrête pas de hurler et je deviens folle, je deviens cinglée.

Je peux voir tous les crimes dans sa tête, toute la souffrance qu'il a infligé, toutes les personnes qu'il a tué.

Mais je peux aussi voir la terreur dans ses yeux.

La peur de mourir dans ses prunelles à l'apparence si noirâtres.

Ma tête m'en défend, mais mon cœur m'en supplie.

Malgré moi, je m'avance.

Et je glisse ma main dans la sienne.

Aussitôt je m'en veux tellement.

Il plonge ses yeux dans les miens, me remerciant intérieurement, avant de refermer sa main sur la mienne et de la serrer très fort. Si fort que j'ai l'impression que je suis sur le point d'être sa dernière proie, son ultime victime. Et ça me terrifie. Les battements de son coeur ralentissent, s'impregnant du rythme des miens et il se met à respirer lentement pour se calmer. Ses yeux humides se ferment, tandis qu'il me susurre un mot, si simple, si doux d'ordinaire, mais qui résonne comme une insulte à mes oreilles :

- Merci, dit-il doucement.

Je ne comprends pas. Comment ose t-il ? Comment ose t-il me remercier ?

- Je ne le fais pas pour toi.

Ma voix tremble, pourtant mes mots sont durs et froids.

- Tu es un meurtrier.

Ils s'élèvent dans le silence des lieux comme comme un dernier avertissement.

- Et les monstres comme toi ne méritent rien.

Je ne suis peut-ête pas celle qui lui injecte la substance sur le point de l'endormir à jamais, mais ce n'est pas grave. Car mes mots le tuent tout autant. Ils font ressortir en lui les pires pêchés. Je le sais. Je le sens. Je vois les images défiler dans ses yeux, je le vois être envahi par ses propres regrets, ses propres choix, ses propres actes. Et je le vois vaciller lorsque l'ultime seringue se plante dans sa peau.

Son corps se détend, la pression qu'il exerçait sur ma main également.

Son regard s'éteint, lentement, ses yeux deviennent vides et ses pupilles minimes.

Tandis que je retrouve mon lit, me redressant brusquement pour tenter de calmer mon souffle saccadé et mon cœur qui s'emballe à la minute où tout est enfin terminé. Je passe machinalement mes doigts dans mes cheveux, basculant mon coccyx sur mon matelas.

Mais c'est trop.

Trop d'un coup.

Et, l'instant d'après, sans prévenir et sans même le sentir, je fonds en larmes.

Limbic Resonance (FR)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant