Virtuel

144 16 36
                                    

Challenge 4 : autodafé

Dans une dystopie futuriste, le héros travaille pour le compte d'un système autoritaire et doit détruire toutes les œuvres d'art non conformes. Cependant, au cours d'une intervention, il découvre quelque chose qui le touche au plus profond de son âme et remet en cause toutes ses croyances et certitudes. Va-t-il être conquis par la beauté de l'Art ou accomplir son devoir ? 


Nous avons banni la possession. Rejeté l'agressivité née des traitements injustes. Oublié le chaos d'un monde d'incessants changements. Nous ne sommes plus à l'époque de la compétitivité où tout le monde se bat contre tout le monde. Nous ne sommes plus à l'époque de la coopération où il faut suivre les règles arbitraires de la masse. Nous sommes à l'époque Administrative. Une place pour chacun et chacun à sa place. Un monde en ordre.

Ma place est de veiller à maintenir cet ordre en éliminant le superflu et autre création séditieuse.


J'avançais à pas lents dans les rues du quartier des affaires. Ce jour là, c'était inspection surprise, et personne, pas même moi, ne savait à l'avance dans quel luxueux building j'allais entrer.
Je guettai ma montre. A 9h00, j'entrai dans le premier immeuble sur ma droite. Devant ma carte d'inspecteur les vigiles me laissèrent passer sans faire de commentaire.
Une fois dans l'ascenseur, j'appuyai sur un bouton au hasard. Quatrième étage, comptabilité. Parfait.
J'arrivai devant une centaine de bureaux alignés. Les comptables étaient concentrés et silencieux, comme il se devait.
Le bruit de fond qu'on entendait était le résultat du crépitement de milliers de touches et de centaine de souffles entremêlés, ce qui étrangement me faisait penser aux vagues et à la mer. Comme une respiration.
J'allai jusqu'au premier poste de travail et pris délicatement la place d'une jeune femme. Elle resta debout à mes côtés, attendant docilement la fin de mon inspection.
Dans son ordinateur, je ne trouvai rien qui soit superflu. Je me connectai alors au réseau de l'étage. C'est souvent là que ça se cachait. Les malfiles.
Dans les programmes, des lignes de codes inutiles. Ouvrant, lorsqu'on savait y accéder, sur des fichiers inutiles. Contenant des textes inutiles. Des images inutiles. Des jeux inutiles. Des créatures virtuelles réclamant à manger, des pièges déclenchant des ricanements de troll, des langues inventées, des conversations absurdes. Des choses qui ne devraient pas exister. Une fois que je les avais trouvées, je veillais à ce qu'elles retournent au néant.


Je ne m'occupe pas des punitions. Je ne me soucie pas de savoir si les fichiers détruits ne sont pas recréés immédiatement. Chacun a un travail à effectuer et le mien est d'assurer la salubrité de l'espace virtuel commun des entreprises.
Pas besoin d'ouvrir ces fichiers pour les détruire. Heureusement. Non pas que j'ai peur d'être détourné de ma tâche. Mais simplement, ça me ferait perdre mon temps et mon efficacité. Jour d'inspection surprise, huit services doivent être examinés et désinfectés, une tâche qui doit être achevée à 18h00. Je n'ai pas le temps de savoir ce que j'efface.
Un point cependant affecte ma concentration depuis quelques mois. Il me semble bien être moins efficace. J'ai d'abord crains d'avoir vieilli et perdu de mon efficience cognitive. Un rapide chek-up m'a prouvé qu'il n'en était rien. J'ai donc vérifié mes rapports. Et j'ai dû me rendre à l'évidence : le nombre de malfiles ne fait que croître.
J'ai signalé le fait aux instances en charge. Sans réponse jusqu'à présent, j'hésite à creuser le mystère moi-même. Car enfin, qu'y trouve-t-on, dans ces malfiles, qui soit si passionnant ? Pourquoi perdre son temps ainsi ? Nous ne travaillons pas jusqu'à épuisement, nous jouissons de notre repos, nous nous épanouissons dans nos familles et nos liens sociaux nous assurent une stimulation enrichissante. Pourquoi gaspiller ainsi son énergie et sa concentration ? Les malfiles ne servent à rien, c'est leur définition première. Ils sont stériles. Et pourtant, avec acharnement, on continue à les créer.

Rêves d'androïdes et challenges SFOù les histoires vivent. Découvrez maintenant