Mes cheveux ondulaient contre mon visage, au creux de ma nuque, m'agaçant. Ma peau était trempée ; l'eau avait pénétré mon imperméable, glaçant mon corps. Une énorme bourrasque de vent atteignait mon visage, soufflant l'air hors de mes poumons lorsqu'une nouvelle vague glaciale tiraillait mon épiderme. J'évitais le gigantesque tronc d'arbre déraciné, slalomant entre les fourrés et flaques infestées de parasites.
L'anarchie s'était mise en place il y a moins de six mois, lors de la pénurie d'eau. Un virus avait contaminé nos sources, nos rivières, nous empêchant de rémunérer nos points en eau potable. Quelques millionnaires avaient achetés les dernières ressources saines, pendant que d'autres scientifiques se démenaient, dans l'espoir d'inventer une machine capable de filtrer nos quantités en eaux imbuvables–cela n'avait rien donné ; le chaos s'était installé durablement dans nos sociétés.
Certains avaient quitté les villes avant que le second assaut ne parvienne jusqu'à nous, dans l'espoir de découvrir de nouvelles sources potables, mais ma famille et moi étions restés. Des centres d'aide avaient été ouverts dans différents points stratégiques de Seattle, dans lesquels étaient offerts une petite quantité d'eau par personne. J'avoue que, pendant quelque temps, peut-être même des jours, j'ai cru que nous allions nous en sortir aussi facilement. Que l'eau ne viendrait jamais à réellement manquer... Mais cette eau que nous pensions encore potable ne l'était pas, plus rien n'était sain, nous étions tous contaminés.
Une épidémie sans pareille nous toucha alors, décimant familles, villes, pays. En quelques jours, un quart de la population mondiale fut fauché, aussi simplement que cela. Les programmes télévisés furent abandonnés, les réseaux sociaux désactivés, renforçant cette dérangeante sensation d'individualisme, d'égoïsme. Les hommes se battaient pour leur survie, pour l'eau, tuant lorsque les premiers symptômes d'une contamination apparaissaient. Mon père, Jean, succomba en premier. Cette mort soudaine m'arrachait de confus sentiments. Je ne la compris pas et sa brutalité me choqua, tant par la fragilité que nous contenions réellement que par la force du virus qui nous touchait.
Certaines personnes semblèrent être écartées de tout risque–je l'étais. Je continuais de boire sans tomber malade et, bientôt, d'autres personnes dans le même cas que le mien m'apprirent que mon système vital combattait avec succès. Ma mère et ma soeur n'eurent pas la même chance. Elle mourra quelques semaines après mon père et entraînait avec elle ma soeur, quelques jours plus tard. Je me sentis un moment comme une miraculée, mais cette sensation troublante fut rapidement remplacée par une seconde–je n'étais pas une miraculée, j'étais condamné à pleurer la mort de ma famille, sans pouvoir les rejoindre. J'étais livrée à moi-même, moi et les quelques personnes restantes sur terre, sans moyen de survivre proprement.
J'étais abandonnée.
Le premier jour avait été très singulier–rien, bien sûr, ne nous prévenait de ce qui allait nous arriver, mais je me rappelle avec beaucoup de précision de son inusité. Je m'étais rendue en forêt, en vélo, la majeure partie de la journée. La semaine avait été pluvieuse, mais ce jour-là était radieux, même étouffant. J'avais noué un imperméable autour de ma taille, au-dessus d'un short épais et d'un t-shirt disproportionné et confortable. Un vent chaud soufflait entre les arbres, plaquant mes cheveux contre mon front, dans une des flaques de sueur formées par la chaleur.
Des groupes de corbeaux sombres volaient près de moi, déchaînés et bruyants. L'armée d'oiseaux impétueux filaient brusquement à travers les arbres, au fil du vent ardent. Jamais je n'avais vu d'animaux se comporter de la même façon, quoi qu'il arrive. Ils semblaient désorientés et tellement agressifs, même si hésitants. Certains des volatiles se rentraient dedans ou fonçaient dans des troncs d'arbre, dévalant ensuite jusqu'au tapis de végétaux à mes pieds. J'observais avec attention l'une des bêtes convulsantes, mais une seconde chose attirait mon regard. Il s'agissait d'une myriade d'insectes morts, entassés entre la mousse et les racines noueuses des arbres centenaires. Je m'accroupissais près de ceux-ci, estomaquée par le spectacle dressé face à moi–il étaient des milliers, peut-être plus, pressés étroitement et mort, roulant et s'entrelaçant au rythme du vent.
Le soir-même, lorsque je me rendis chez moi, les informations nous apprirent qu'une épidémie avait frappé l'Afrique et se répandait lentement. Les scientifiques n'avaient pas encore découvert quelle était la cause de cette infection, mais des centaines de personnes avaient déjà péris–d'autres étaient placées en quarantaine. Le Brésil fut le premier pays américain à être touché, quelques jours plus tard. Puis ce que nous assumions être un virus se répandit avec une rapidité incroyable, dans ma patrie, puis mon Etat et finalement ma ville.
La mort des membres de ma famille fut incroyablement soudaine : mon père résista à l'infection trois jours, avant d'y succomber. Nous étions incapables de le sauver–ni la douleur, ni l'agonie, ni la mort ne furent empêchés. Quelques heures après son décès, nous fument prévenus que tout cela n'émanait pas d'un virus, mais de notre source de vie même : l'eau. Les sources avaient étés infectées par un microbe répandu dans l'air, qui, au contact de la molécule d'eau, se disséminait et devenait toxique à l'homme. Nous ne pouvions rien faire contre celui-ci, ni l'éradiquer ni empêcher son expansion...
J'avais souvent, auparavant, pensé à la façon dont notre espèce disparaîtrait, cependant, jamais je n'aurais cru que je me trouverais confrontée à cette extinction. L'humanité se trouvait pour la première fois face à un problème qu'elle ne pouvait résoudre assez rapidement ou assez efficacement. Les personnes les plus âgées semblaient être touchées par l'infection le plus rapidement, ainsi que les nouveau-nés. Tout le monde, si l'intoxication tuait les humains, allait mourir–voilà à quoi nous devions faire face. Nous avions bu de l'eau infectée et étions tous placés dans le même sac.
En moins de deux semaines, un quart de la population mondiale fut décimé ; un triste constat qui ne fit qu'augmenter le sentiment commun–plus personne n'était un allié, nous étions tous les uns faces aux autres dans une survie impossible. Les personnes mourraient les unes après les autres, sans que nous ne puissions même atténuer leur douleur. La race humaine agonisait, la vie même agonisait. Certaines autres espèces succombèrent également au virus ; beaucoup de primates moururent, ainsi qu'une variété de mammifères. D'autres types de bêtes furent seulement désorientés par l'intoxication, ou alors frappés d'une autre manière singulière. Chaque être vivant semblait s'adapter d'une façon différente à cette soudaine apocalypse.
Les végétaux semblèrent les moins touchés. Certaines classes ne réussirent pas à filtrer l'infection, mais la plupart le furent avec succès–je les enviaient presque. Pendant quelques semaines, je ne pensais qu'à vivre, survivre, continuer de me battre aux côtés de ma mère, ma sœur. Mais elles moururent, et l'espoir avec elles. A ce moment précis, j'aurais tué pour survivre, pour m'assurer une place dans ce monde dévasté, simplement pour vivre...
Les semaines passèrent, puis les mois... Et je vis. Je ne montrais aucun signe d'infection, moi et les quelques personnes encore en bonne santé dans le monde. Nous combattions. Notre système immunitaire était parvenu à vaincre l'épidémie, pour je ne sais quelles raisons. Nous étions jeunes ; des enfants généralement nés dans une marge de vingt ans, et quelques miraculés encore. Nous étions peu et affaiblis, incapables de nous recomposer, incapables de nous allier encore tant la peur nous dévoraient. Les personnes s'agglutinèrent vers les villes, formant des foyers pulsants au coeur de cités gigantesque, des dédales grouillants de survivants affamés, terrorisés et vulnérables–ce fut leur seconde erreur.
J'avais quitté la ville, à ce moment-ci. Je m'étais dirigée vers la Tiger Mountain, après avoir empaqueté des affaires nécessaires à la survie–la collectivité m'effrayait, elle était trop associé à l'hypocrisie et la peur. Je comptais un sac plein de nourriture, deux armes à feu, que mon père avait possédées, des vêtements, une tente et d'autres affaires que mes parents avaient précautionneusement choisies, au moment où les choses avaient commencés à dégénérées. Je m'étais rendue dans la forêt en voiture, dans le vieux pick-up offert par mes parents il y a quelques mois, jusqu'à ce que la route ne soit plus praticable. Là, j'avais laissé le véhicule au milieu de la voie et avait continué à pied, dans l'espoir de trouver un endroit favorable à ma propre survie.
Dans les hauteurs, j'avais aménagé une grotte inhabitée, à proximité d'une source d'eau. Ce fut le premier site dont j'usais pour vivre. Je pensais pouvoir rester ici longtemps, proche de l'eau et installée dans un endroit habitable et plutôt agréable pour un site naturel, mais la race humaine n'avait pas fini d'agoniser.
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Zugzwang | H.S
FanfictionZugzwang - lorsque le meilleur mouvement, est de ne pas bouger. L'Humain avait infesté la planète terre plusieurs milliers d'années durant, lorsque, finalement, notre ôte décidait de se débarrasser de son virus.