Oregon, hot springs Umpqua, september 29th, 04:17 am

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Je laissais mes vêtements sales sur le rivage, plongeant avec appréhension un de mes pieds dans l'eau tiède.

— Sérieusement, fais-moi confiance, a-t-il dit, un peu plus loin, de l'eau jusqu'à la taille.

Il se trouvait dos à moi, ayant accepté d'entrer dans la source avant que je le fasse, pour pallier à ma crainte. Il pouvait se trouver n'importe quoi, dans l'eau, voilà ce qui me faisait peur. J'avais enfin réussi à accepter l'idée de vivre plus longtemps et ce n'était certainement pas pour mourir aujourd'hui.

— Si une des choses que nous avons vu le premier soir se trouve là-dedans, que fera-t-on ? Ai-je demandé, submergé jusqu'aux genoux.

Il se retournait lentement, verrouillant ses yeux aux miens, bleus dans verts. J'avais conservé mes sous-vêtements et il avait fait de même, de manière à ce que nous puissions nous baigner ensemble, économiser du temps et être protégés. Cela avait été gênant et étrange, au départ, mais lorsqu'il avait failli se noyer la troisième fois, emporté par le courant, et que j'avais réussi à le sortir de l'eau, à le sauver, nous avions été convaincus que cela était la meilleure manière de faire. De toute manière, nos corps étaient détériorés par la vie sauvage. Je n'avais jamais été belle et cette vie de dérive n'avait fait qu'empirer ce fait. Ma peau autrefois lisse était rêche et imprégnée de crasse, de plaies. Son corps à lui n'était pas mieux, sale, aride. Pour le moment, nous ne manquions pas trop de nourriture, mais je savais que cela arriverait à un moment ou à un autre. Nous allions perdre en masse musculaire et avoir plus de difficultés à progresser.

Il avançait jusqu'à être près de moi et tendais une de ses mains, que j'observais un instant–j'y joignais la mienne. 

— On a survécu jusqu'ici, je ne te laisserais pas mourir si une de ces choses nous attaques, a-t-il articulé sérieusement. Tu me fais confiance ?

J'inspirais profondément, puis acquiesçais doucement. Il nous fit avancer lentement, jusqu'à ce que l'eau nous arrive à la taille. Là, sans me lâcher, il s'accroupit de manière à être complètement couvert du liquide ; je fis de même. La chaleur réchauffait mon corps grelottant, sans pour autant laver les impuretés–plus jamais nous n'aurons accès à un réel bain, relaxant et décrassant.

Un bruit au loin attirait mon attention, je vérifiais avec rapidité les alentours et fus sur le point de me lever, lorsque Harry tira sur ma main.

— Eh, ce n'est rien, juste un oiseau, là-bas, a-t-il dit, pointant la source du bruit.

J'étudiais avec attention le corbeau sur la rive, près de nos vêtements. Il avançait curieusement sur les rochers, à quelques mètres des arbres desquels il venait certainement de s'extraire. Il était énorme et effrayant et, comme moi, étudiait comme avec inquiétude son habitat–nous nous trouvions tous dans la même situation, apparemment. Peut-être avait-il était chargé par un hybride, ou peu importe ce que ces monstres humanoïdes étaient.

— Tu ne m'as rien raconté sur toi, a dit le garçon en face de moi, alors que je continuais de scruter les environs. Sur ta famille, tes passions...

— Ca n'a plus réellement d'intérêt, ai-je soufflé, mais il m'encourageait à en dire plus. Mon père, Jean, a été le premier à mourir de la famille. Il était déjà malade, avait des problèmes de coeur et un système immunitaire affaiblis. Je crois que c'est pour cela qu'il est mort aussi vite... En moins d'une semaine. Cela a commencé comme pour la plupart des autres, je crois. Saignements inexpliqués, maux de ventre et puis vomissements, fatigue. Il est mort dans son sommeil, trois jours après le début de ses symptômes. Avec ma mère, nous avons trouvé un moyen de placer son corps à l'extérieur, dans un coin du jardin, étant donné que nous ne pouvions pas l'enterrer... Et puis, deux semaines plus tard environs ma petite sœur à commencé à se fatiguer plus vite et à vomir. Nous l'avons laissée au lit et avons essayé de la soigner de différentes façons mais rien n'a marché. Elle est morte une semaine plus tard, alors que ma mère était également tombée malade. Ma mère s'est éteinte un jour plus tard. Pourtant, j'ai essayé de les soigner, réellement, ai-je dit d'une voix étranglée, espérant le convaincre. Je m'occupais de la maison, essayais n'importe quel remède miracle énoncé sur internet, mais rien n'a marché. Quand elles sont mortes, j'ai décidé de quitter la maison. J'ai laissé leurs corps à l'intérieur et me suis en aller avec des affaires que je pensais utiles à ma survie...

— C'était au moment où ils se réunissaient en ville ? Les survivants, je veux dire ?

— Oui, mais je ne voulais pas les rejoindre, ai-je murmuré. La communauté m'effraye, parfois. Etre noyée dans une marée humaine de personnes, marchant à la loi du plus fort, ça ne m'intéresse pas. Alors je me suis en allée, avec mon pick-up, puis dans à pied, dans la forêt...

Il m'écoutait attentivement, assit en face de moi. Seulement, je me tus et me mise à observer ses yeux, d'un vert profond. Il souriait. Les légères vaguelettes dues au vent embarquaient mes cheveux, qui créèrent une masse informe dans l'eau autour de moi, frappant ma peau à chaque assaut de l'eau remuante. Je ne semblais pas contrôler mes poumons, alors que les souvenirs me submergeaient. Je prêtais pourtant une grande attention à inspirer, puis expirer, seulement cela semblait impossible.

— Est-ce que tu regrettes ? A-t-il demandé finalement, mes mains dans les siennes.

Je mis un moment à répondre, confuse. Est-ce que je regrettais ? L'eau chaude brûlait ma peau, soudain, irriguant mes sens trop amplement, phénomène que j'avais repoussé depuis ma fuite. Je ne voulais pas me souvenir. Mes yeux restèrent ancrés dans les siens pendant ma réflexion, à laquelle je mis un terme.

— Je ne regrette pas de m'être enfuis, ou même d'avoir survécue....  Je regrette de ne pas m'être débarrassé des corps des membres de ma famille, et... S'ils sont devenus l'un de ses monstres et ont tué des êtres vivants... Je m'en voudrais certainement toute ma vie. J'aurais dû... J'aurais dû les... Je–

— Respire, Riley, a-t-il dit en agrippant mon bras.

Mes mains tremblaient dans l'eau chaude, serrées en d'étroits poings, presque douloureux. Sa main se resserrait sur ma peau tel un étau, me blessant ; je le repoussais. Toutes ces émotions étaient trop brutales, trop soudaines, répugnantes. Elles devaient s'évaporer d'une manière ou d'une autre, mais les larmes ne vinrent pas, les cris ne vinrent pas. Je me redressais, me levais, me battais pour sortir de l'eau, contrais les courants et l'air gelé. Je devais respirer, je devais respirer, je devais écarter tous ces sentiments–cette colère étouffante ; respirer, je devais respirer. Courir, m'éloigner, respirer...

ce fut notre première conversation.


*


L'épidémie s'était répandue comme une traînée de poudre, avait tué nos familles, les avaient usées à son avantage, et j'eus cru un moment qu'elle s'était arrêté là. Qu'aucun autre dommage ne fut causé, que la planète avait été épargnée, que j'avais était épargnée. Elle n'avait pas pris ma vie, ne m'avait pas transformée, ne m'avait pas rattrapée encore. J'en étais convaincue. J'allais être touchée par ses créations, ses monstres créés à partir de nos proches, de nos amis, mais pas par elle.

J'avais évité les maux, la destruction, la dégradation même qu'elle créait. J'avais repoussé l'épidémie et ce qu'elle avait causé, je m'en étais extirpée ; elle m'avait effleurée, mais rien n'en était resté.

Je me trompais. Elle avait pénétré tous les pores de ma peau, avait ruiné ma vie, avait ruiné ma famille, ma ville, mon espèce. Elle m'avait ruiné moi, m'avait traumatisée à un tel point, d'une telle force, avait soufflée l'envie même de vivre de mon esprit, m'avait débarrassé de ma raison et de mes désirs.

Je suffoquais, j'étais en train d'agoniser, seulement de façon plus douloureuse que mes semblables.

Zugzwang  |  H.SOù les histoires vivent. Découvrez maintenant