Nous croisâmes plusieurs cadavres de survivants, dans les jours qui suivirent. La plupart étaient égorgés, très sérieusement blessés ou amassés en petites communautés ; ils s'étaient entretués ou avaient étés tués. La mort les avait rattrapés, l'épidémie les avait rattrapés. Le destin de l'espèce humaine les avait rattrapés. Les avaient tués.
Nous venions de trouver la deuxième dépouille de la journée, probablement blessée à mort, le reste de femme que nous avions découvert avait été laissé au pied d'un arbre centenaire. Un animal ou un hybride l'avait probablement assassinée. Toute humanité avait été extraite de cette personne, son visage avait été réduit à une bouillie grouillante de mouche, sa peau avait été lacérée, mangée. Harry n'avait rien dit. Il m'avait poussée à continuer à avancer et avait détourner mon visage de l'image qui s'imposait à moi.
Nous n'avions jamais parlé de ce qui était arrivé il y a quelques jours–je ne voulais pas en parler. Il comprenait, je crois. Il ressentait les même choses, mais les exprimait différemment. Nous partagions le même enfer, mais brûlions de façon opposée.
*
Le sol était ferme sous mon corps, inconfortable et froid. La tente ne nous protégeait que partiellement du vent glacial, mon corps était transit, je ne pouvais pas dormir. J'espérais au plus profond de moi-même que nous trouverions bientôt de quoi nous revêtir, tant mon odeur était insupportable. La fatigue pesait sur ma raison, le reste d'équilibre que j'avais conservé. Je devais tenir, mais je n'étais pas certaine d'en avoir la force.
Harry réajustait sa position, près de moi, encore éveillé. Nous tentions de nous réchauffer, mais rien ne semblait être efficace. Les premières semaines ensemble avaient semblé presque idéales, mais la vérité m'avait rattrapée. Nous ne vivions pas dans un monde idéal. Nous avions la vie idéale dans un monde détruit–nos familles avaient étés décimées, notre espèce fauchée. Rien n'était idéal. Il resserrait son bras autour de moi.
— Tu dois dormir, Riley.
Il ne dit plus rien, je fermais les yeux et mise à écouter le sifflement du vent contre la tente, entre les feuilles. Les gémissements des animaux nocturnes, la respiration du garçon près de moi. Les battements de mon coeur au creux de mes veines, dans mon poignet, contre mon visage. Je devais survivre, pour ceux qui n'avaient pas eu ma chance.
*
La carte était étalée entre nous, au sol, retenue de grosses pierres que nous avions recueillies près de la tente. Harry avait marqué nos arrêts chaque jour, notre avancée, de manière à ce que nous ne nous perdions pas. Nous nous trouvions à la frontière entre l'Oregon et le Nevada, dans un endroit que ni lui ni moi ne connaissions.
— Quel est notre but ? Ai-je demandé après quelques instants encore, brisant sa réflexion.
Il m'observait un moment, comme hésitant, puis reposait ses yeux sur la carte. Je repoussais mes cheveux hors de mon visage, regrettant de n'avoir rien emmené pour les attacher–les couper serait probablement favorable. Ils me gênaient lorsque nous effectuions des tâches sportives intenses, ou même pendant les journées venteuses, comme hier.
— Atteindre la Rio Grande National Forest, dans le Colorado. Ce serait un point stratégique pour se cacher et vivre en paix, a-t-il dit, son visage déformé d'un léger froncement de sourcils. Je le pense parce que... La première étude et seule fiable étant sortie depuis le début des transformations, lorsque la radio marchait encore, était que... Les monstres n'avaient pas les mêmes capacités respiratoires que nous. Ils ont des insuffisances respiratoires certaines, ce qui rend leur progression dans les hauteurs difficiles. Le plus haut point de cette forêt est à plus de quatorze mille mètres au-dessus du niveau de la mer... Si nous atteignons déjà environs cinq mille à dix mille mètres, nous serons plus en sécurité qu'ici, sur un plateau. Je ne pense pas que d'autres survivants aient étés aussi réfléchis, étant donné que l'étude n'a pas trop fait parler d'elle. Nous serons isolés, le temps que les choses s'apaisent et pourront réellement nous installer là-haut, dans une maison abandonnée, ou quoi que ce soit. Ces endroits étaient reclus du monde auparavant, ce qui évitera la concentration d'hybrides. C'est la meilleure stratégie, mais elle a un inconvénient... Notre destination se trouve à plus de mille cinq cents kilomètres d'ici...
— On ne pourra pas parcourir tout cela a pied, ai-je dit, observant la carte attentivement. Mais... On a croisé plus d'une voiture depuis le début, peut-être qu'on pourrait essayer d'en voler une ?
Il acquiesçait, tout en avalant une bouchée de pâtes. Nous venions d'épuiser l'une de nos derniers paquets de la denrée et j'étais loin de me réjouir du fait que nous allions devoir nous nourrir uniquement de produits trouvés ou chassés.
— Oui, on devrait essayer. Seulement cela risquerait d'attirer ces choses vers nous...
— De toute manière, nous les attirerons, si nous parcourrons tout ce chemin sur des plateaux... Nous serons vulnérables, durant environs deux semaines, si nous décidons d'y aller à pied.
— Ils risquent de nous suivre, si nous nous déplaçons en voiture, a-t-il articulé, comme inquiet.
— Nous pourrions la laisser à plusieurs kilomètres de notre but ? Une trentaine, peut-être ? Et terminer notre chemin à pied...
Il ne semblait pas convaincu, mais hochait la tête malgré tout. Et ce fut la première fois que l'espoir me revint.
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Zugzwang | H.S
FanfictionZugzwang - lorsque le meilleur mouvement, est de ne pas bouger. L'Humain avait infesté la planète terre plusieurs milliers d'années durant, lorsque, finalement, notre ôte décidait de se débarrasser de son virus.