Le sang cognait contre ses tempes douloureuses, des points blancs dansaient devant ses paupières closes, son cerveau luttait pour la garder éveillée. Mais le major Samantha Carter voulait tout sauf rester consciente, le verre de rouge à moitié vide dans sa main et les cadavres de bouteilles qui jonchaient le sol dans un dessin complexe autour d'elle en étaient la preuve. Elle enfonça sa tête dans le coussin le plus proche. La lumière était trop puissante à son goût, elle était tentée de se traîner jusqu'à l'interrupteur; mais le pie vert qui s'acharnait à marteler son front lui rappelait son état précaire. Sans parler de la voix de son salop de supérieure qui trottait inlassablement dans sa cervelle, rectification la voix de son salop d'ex supérieure, les mots " je voulais m'amuser" se répétant sans cesse... Dieu, à cet instant elle avait voulu l'étrangler, le démembrer, lui arracher les yeux et beaucoup d'autres idées qui lui étaient passées par l'esprit mais beaucoup trop sanglantes pour y repenser avec son taux actuel d'alcool dans le sang, sans avoir envie irrépressible de vomir.
Elle se rappelait encore le test Zatarc d'il y a quelques semaines, et son magnifique petit discours "Je ne suis pas parti parce que je préférais mourir plutôt que de perdre Carter. Parce que je tiens à elle, beaucoup plus que je ne suis censé le faire." De belles paroles ouais, mais surtout de belles conneries. Comment avait elle pu tomber dans cet écran de fumé ? Comment elle, Samantha Carter, astrophysicienne de renommée intergalactique et membre d'une des unités d'élite la plus top secrète au monde, avait-elle pu tomber dans le panneau? Un éclat de rire hystérique s'échappa de sa gorge, elle était pathétique. Mais cet éclat ne tarda pas à se transformer en sanglots. Ses yeux la brûlaient, et ce foutu pie vert n'arrangeait en rien la migraine qui l'avait saisie quelques bouteilles plutôt. Sam se souleva tant bien que mal dans l'optique de se trouver une aspirine.
Elle tâtonna, la lumière était bien trop aveuglante, mais indispensable à son avancer, la Terre tournait beaucoup trop vite d'un coup. Tiens, il pleuvait dehors. Même la météo avait décidé de devenir le reflet de son humeur. Massacrante en l'occurrence, son humeur, vraiment massacrante.
Il ne partirait pas tant qu'il n'aurait pas vu Carter, foi d'O'Neill. C'était sa veine, il avait commencé à pleuvoir quelque temps plutôt, et maintenant la foudre et les éclairs s'étaient ramenés pour ce qui semblait être la fête du siècle. Si la situation avait permis ne serait-ce qu'une once d'humour, Jack aurait sûrement sorti, pour lui seul, une remarque bien sentie sur le moment très cliché qu'il vivait à l'instant précis. La lumière de la cuisine s'alluma, et Jack vit apparaître une Sam Carter aux yeux bouffis et aux mains tremblantes, le corps secouait de spasmes, s'avançait d'un pas chancelant vers le placard. Ses lèvres tremblaient elles aussi, et ses dents claquaient, menaçant d'entailler la chair tendre de ses lèvres. Elle se retenait tant bien que mal d'éclater en sanglots. Elle ne put d'ailleurs faire aucun n'autre mouvement que celui de se laisser glisser sur le sol, dos au meuble de la cuisine. L'odeur de l'herbe mouillée flottait dans l'air, la nuit était d'un noir d'encre surprenant.
Il aurait dû être à la base, pas ici, pas en train de contempler sa Carter gisante sur le carrelage froid de sa cuisine. Il n'aurait pas dû être là, à observer l'impact de ses paroles sur la femme qu'il chérissait le plus. Il n'aurait pas dû se sentir coupable, il n'aurait pas dû avoir envie de s'arracher le coeur de la poitrine pour essayer de soulager sa propre peine. Il n'aurait pas dû embrasser son major, il n'aurait pas dû aimer Carter. Et pourtant, il était bien là, impuissant face à la douleur sourde de Sam, impuissant face à la culpabilité qui l'envahissait un peu plus à mesure que les gouttes d'eau s'écrasaient sur les plantes du jardin.
Elle gisait là, étendu à même le sol de sa cuisine, roulé en boule, à pleurer l'homme de sa vie. A implorer le ciel de lui rendre sa dignité, sa vie. Elle ne voulait plus aimer, elle ne voulait plus l'aimer lui; l'homme qui lui avait ravi son coeur, l'homme qui décuplait ses sens par sa simple présence près d'elle, l'homme qui la faisait tant souffrir. Son coeur se noyait dans la douleur. Une douleur sourde et incessante, comme un poignard que l'on plongeait au plus profond de son âme, et qu'on retirait juste pour mieux l'y remettre. Elle devait se relever, se battre contre tous ses sentiments qui l'engloutissaient. Elle devait survivre, sauver ce qui lui restait d'honneur et de dignité. Qui voulait elle tromper, il ne lui restait plus rien. Son monde tournait autour de Jack O'Neill. Son monde venait de se briser. Mais elle se relèverait, c'était une Carter, les Carter s'en sortaient toujours.
Mais pas ce soir, ce soir, elle serait seulement Samantha. Elle avait besoin de prendre l'air. Tout d'un coup elle se sentit oppressée, et le besoin de sortir à l'air libre se fit urgent. Peu importe la pluie, elle devait respirer, et sortir. La pluie lui remettrait les idées en place. Oui c'était ça, sortir, la terrasse ferait l'affaire.
Un étau se resserrait progressivement autour de ce qui devait s'appeler un coeur, son coeur. L'odeur de la pluie était toujours là, le bruit du tonnerre assourdissant. Il brûlait de l'intérieur, condamné à la souffrance plus psychologique que physique, pour avoir détruit la femme qu'il aimait. Il la vit se relever, elle ne tenait debout que par l'intervention du saint esprit. Si Dieu existait vraiment, il priait pour qu'il empêche cette femme de se faire plus de mal qu'elle ne l'avait déjà fait. La petite voix de sa conscience résonna dans son esprit, tranchante comme la lame d'un couteau. « C'est toi qui lui as fait ça. C'est de ta faute. Tu l'as brisé et tu le sais. Comment va-tu faire pour vivre avec ça sur la conscience maintenant ? » Il rit, cela pouvait paraître stupide pour quelques observateurs extérieurs. Mais après tout, sa conscience ne venait elle pas de se référer à elle-même dans son petit discours ? Sa conscience qui lui demandait comment il ferait pour vivre avec ça sur sa conscience. C'était joli vraiment. Il devenait complètement barjo et il n'avait pas encore vu Carter. Cela promettait de donner.
En parlant de Sam, où était passé sa belle blonde ? Il reporta son attention sur le petit salon. Elle était là, en train d'essayer de déverrouiller la porte-fenêtre qui menait à sa terrasse, derrière la maison. C'était sa chance. Il reprit contenance, et partit affronter son destin...
Elle titubait, tanguait, chancelait, bref elle ne marchait vraiment pas droit et n'était pas du tout stable. Elle sourit face à cette remarque ô combien utile et spirituelle. Personne ne tiendrait debout avec autant d'alcool dans le sang, personne sauf peut être Jack ou Teal'c. Ah ! On ne pense surtout pas à Jack se rabroua-t-elle. La porte s'ouvrit enfin, et elle respira à plein poumon l'air plein d'humidité et les senteurs des plantes avoisinantes. Ses yeux se relevèrent par automatisme vers le ciel. Il était noir, menaçant, aucune étoile ne perçait à travers cette épaisse couche de nuages. La pluie redoubla d'intensité quand elle se laissa tomber sur les marches de la petite terrasse de bois.
Les pieds sur la marche inférieure, elle prit appui sur ses bras et offrit son visage à la voûte céleste. La pluie diluvienne rinça bien vite ses larmes, et elle soupira d'aise, rafraîchie par l'eau et enfin un peu en paix. Le bruit assourdissant du tonnerre la fit sursauter. Elle ouvrit les yeux. Et elle le vit. Il avançait depuis l'obscurité vers la lumière du salon. Il fondait à travers la pluie, les éclairs éclairant son visage fermé. On entendit le tonnerre encore une fois, la pluie tomba avec encore plus de frénésies, et un énième éclair illumina son visage. Si son masque de marbre était posé, il n'avait guère réussi à faire taire ses yeux. Elle les croisa, et quelques millièmes de seconde lui suffire pour savoir. Il avait mal. Peut-être plus qu'elle. Mais pour l'instant elle n'en avait cure...
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Une histoire sans fin ou presque
FanfictionSam et jack, et l'épisode de la boucle temporelle? C'est par ici !