Ses yeux n'exprimaient rien à part une rage destructrice, et une douleur cuisante. Elle avait l'air d'une biche prise par surprise dans les fars d'une voiture. Ses prunelles dilatées au possible, ses épaules crispées, ou encore son dos bien droit, tout en elle traduisaient sa fureur et son mal-être. Pas de masque ce soir, pas d'hypocrisies. Rien que la vérité.
-Carter.
Le ton de Jack était froid et réprobateur. Il savait qu'il n'aurait pas dû lui parler sur ce ton, mais il lui en voulait de le laisser la détruire comme ça. C'était stupide, mais c'était vrai.
D'ailleurs il sut à l'instant même où son nom s'échappait de sa bouche, qu'elle s'attendait à ce traitement-là. Il vit alors la transformation s'opérer en elle, son visage se refermer, ses yeux s'éteindre, son dos se redresser encore un peu plus. Le militaire avait repris le dessus sur la femme. Peut-être pas une bonne idée finalement.
-Mon colonel. Que me vaut votre présence à une heure si tardive ?
Son ton était glacial et aiguisé comme un couteau, sa petite tirade le laissa un instant pantelant, ne sachant pas comment réagir. Il se rendait compte qu'il venait de donner naissance à un monstre, une copie conforme de ce qu'il avait pu être après la perte de Charlie, et avant de la rencontrer. Il l'avait détruite. Une vague de remords le prit de nouveau. Il avait tué l'âme d'une jeune femme combative, pleine de vie et aimante, pour la remplacer par celle d'un être inhumain et froid.
- Je suis venu vous parler de ce qu'il s'est passé cette après-midi à la base Carter.
Elle ne réagit même pas. Pas même un froncement de cils ou un battement de paupières.
-Il ne sait rien passer, monsieur, j'ai travaillé toute la journée sans interruption, monsieur.
Elle donnait la version de ce qu'il aurait voulu entendre en temps normal, ou du moins celle qu'un supérieur hiérarchique aurait voulu entendre. Mais il ne supportait plus les mensonges, et les non-dits qui subsistaient entre eux. Ce soir il voulait simplement être honnête, envers elle bien sûr, mais aussi envers lui. Il soupira, et se prit à regretter sa discussion avec Hammond. Que croyait donc le vieux Général ? Que lui et Sam finiraient ensemble, qu'ils vivraient heureux jusqu'à la fin de leurs jours ? La vie n'était malheureusement pas un conte de fées. Il n'était pas le chevalier servant décrit dans les histoires, et Carter n'était en rien une princesse nunuche et guimauve. C'était une femme forte, avec de l'ambition, du caractère et une féministe. Or aujourd'hui elle n'avait été que l'objet de Jack, il savait qu'elle ne lui pardonnerait pas si facilement, voire pas du tout.
-Carter pour une fois ne faites pas l'enfant...
Mauvaise idée, très mauvaise. Ses yeux lançaient maintenant des éclairs.
-Je fais l'enfant, monsieur ? De nous deux expliquez moi lequel a eu le comportement le plus enfantin aujourd'hui ? Il me semble que ce n'est pas moi qui ai sauté sur ma subordonnée « pour m'amuser », je cite ! Ce n'est pas moi qui n'ai pas eu le courage d'assumer face à Hammond ! Remettez-vous un peu en question, monsieur, ça ne peut vous faire que du bien, mon colonel.
Elle n'avait pas hurlai, sa voix était lisse. Elle avait craché son grade. Elle l'avait blessé, mais n'avait elle finalement pas raison ? N'était-il pas celui qui avait eu le comportement d'un enfant de douze ans pris en faute alors qu'il embrassait sa première petite amie ? Il ne savait pas si c'étaient des larmes ou des gouttelettes de pluie qui dévalaient sur les joues de son second. Il aurait parié sur la première des possibilités.
-J'avoue ne pas avoir été réglo sur ce coup-là Carter, mais si vous me laissiez m'expliquer...
-Vous avait deux minutes pas une de plus, et après ça je ne veux plus vous voir en dehors du cadre professionnel, monsieur.
Elle lui avait coupé la parole, mais il ne s'attarda pas sur ce fait-là, il avait deux minutes, ce serait sûrement les plus longues et en même temps les plus courtes de toute sa misérable existence. Inspire, expire, parle O'Neill. L'ordre venait de lui-même.
-Savez Carter, Sam, depuis le test Zatarc tout à changer entre nous. Ne vous défilez pas vous êtes aussi bien au courant que moi. Je veux bien me remettre en question pour ce qui est de mon attitude d'aujourd'hui, mais ne croyez-vous pas qui si nous n'avions pas enfermé tout ça il agita sa main entre eux dans cette fameuse pièce nous serions encore en bons termes. J'ai fait ce que je croyais bon pour vous Carter. Ne croyez pas que je ne souffre pas de la situation c'est faux, vraiment faux. Je veux votre bonheur, uniquement votre bonheur, et vous ne serez pas heureuse avec moi. Sérieusement, un vieux colonel comme moi, et une jeune femme brillante comme vous ? Ne voyez-vous pas comme un problème dans l'équation Carter ?
Moi si, et je ne vous parle même pas du règlement, parce que je n'en ai strictement rien à foutre de ce règlement à deux balles. Ma carrière est morte elle aussi, au contraire de là votre Carter, vous avez encore un long chemin à parcourir dans l'armée, croyez-moi. Alors oui je vous ai embrassé, pendant une des boucles, pensant que je me retrouverais devant mon bol de céréales juste après, et pas dans le bureau de Georges. Parce que je ne veux pas vous nuire Carter ou vous blesser.
Même si je me rends compte que c'est ce que j'ai fait cette après-midi. Et je m'en veux pour ça Carter, et je m'en veux de vous aimer comme ça, je vous en veux de m'aimer comme ça. Parce que je vous fais souffrir et c'est bien la dernière chose que je veux. Pardonnez moi Carter, pour tout.
Le silence entre eux était pesant. Jack attendait, guettant le moindre signe. Mais la jeune femme resta stoïque. Elle fixait un point imaginaire derrière lui, perdu dans l'obscurité de la forêt avoisinante. Seule la pluie qui avait perdu en intensité, et l'odeur de l'orage faisait vivre cette scène étrange.
-Partez mon colonel.
Il ne s'attendait sûrement pas à ça, il aurait préféré qu'elle crie et non pas ce ton froid.
-Je vous demande pardon Carter ?
Il était carrément stupéfait que son discours n'ait eu aucune répercutions sur elle.
-Vous m'avez bien compris, monsieur. Si vous croyez savoir ce qui est bien pour moi, alors, allez-vous-en. Je ne suis en rien votre jouet, je ne suis en rien responsable de mes sentiments, croyez-moi, sinon je ne tiendrai pas à vous bien plus que je ne suis censé le faire.
Elle venait de l'abattre. Elle se souvenait mot pour mot de ce qu'il avait dit. Et elle lui resservait. Elle lui faisait mal, et elle en était consciente. Là était tout le stratège de ces quelques mots, lui faire réalisait ce qu'elle avait enduré aujourd'hui. Elle se remit sur ses jambes, elle tanguait bien moins que quand elle était sortie. Il la regarda se lever, impuissant face à ce qui se passait sous ses yeux. Elle fermait la porte à ce qu'ils auraient pu être.
-Carter, je vous en prie...
Elle leva les mains en signe de dénégation. Il savait qu'il venait de perdre. Plus grave alors, il venait de la perdre définitivement, plus aucun retour en arrière n'était possible. Elle se retourna et rentra chez elle, verrouillant la porte-fenêtre, tirant les rideaux. Le tintement des bouteilles que l'on ramasse et que l'on jette à la poubelle se fit lointain à ses oreilles, comme irréel. D'ailleurs faisait-il un cauchemar, ou était-ce bien la réalité ? La lumière qui filtrait par les rideaux disparut. Etait-ce possible ? Ca ne pouvait pas être vrai, il ne venait pas de perdre la seule femme qu'il est vraiment aimé en un claquement de doigt... Si ?
Dans une nuit d'été, où une pluie diluvienne accompagnée d'éclairs s'abattait sur la ville de Colorado Springs dans le jardin d'une jeune femme brisée, un homme venait de perdre tout ce à quoi il tenait. Il expérimentait pour la seconde fois dans sa vie, le sentiment de vide profond, celui d'une seconde mort spirituel.
L'odeur du bitume mouillé et des larmes salées, le doux frou frou des étoiles inexistantes, ou encore le faible gémissement des arbres, l'avait attiré. Suivant le chemin tracé par ce diable qu'est l'amour venant encore d'embrouiller une âme, elle arrivait, muette comme une tombe, et bruyante comme une arme. La Mort. Et alors, qui viendra sauver l'âme en peine de cet énième pécheur ? Sûrement pas l'amour, sûrement pas l'amour.
VOUS LISEZ
Une histoire sans fin ou presque
FanfictieSam et jack, et l'épisode de la boucle temporelle? C'est par ici !