J A N V I E R

5.1K 534 140
                                    

«Comment-vas-tu, Orion?»

« Bien, merci. Et vous ?»

De mon point de vue, il n'y a qu'une réponse à cette question. Car peu importe à quel point la personne face à vous feigne de s'intéresser à votre journée ou de manière plus générale à votre personne : c'est un mensonge.

« Je vais bien. Mais parlons plutôt de toi. Je veux savoir comment tu te sens aujourd'hui. »

La voix du Dr.Red est douce mais ferme. Ses traits légers mais visiblement âgés prématurément de par le souci qu'elle se fait pour chacun de ses patients. En même temps, je suppose que l'ont fait moins éprouvant, comme métier.

« Je vais bien. »

Elle fronçait légèrement les sourcils à chaque fois que je prononçais ces mots : ils sonnaient faux. Je le savais. Elle le savait. Mais nous choisissions tous deux de l'ignorer.

Ces rendez-vous étaient obligatoires, tous les mercredis, dix-neuf heures trente, depuis maintenant plus d'un an. Tous les lycéens de mon âge avaient des activités parascolaires : football, volley, équitation, golf... Et moi ? J'avais psychologue. C'était ma sortie de la semaine.

« Comment dors-tu ? Les médicaments t'aident-ils ? »

« Bien. Oui. »

Je dormais bien. Dormir n'avait jamais été le problème, au contraire : Je ne rêvais plus depuis des mois, dormir était devenu mon échappatoire. Chaque seconde d'éveil ? C'était ça, l'enfer, le vrai. Tout tambourinait tellement vite, en permanence. Mes sens, mes pensées, mes envies.

« As-tu des pensées négatives, ces derniers temps?»
« Non.  »

Par pensées négatives elle sous-entendait suicidaires. Mais ça non plus, ça n'avait jamais été le problème. Pour que j'aie pu avoir des pensées suicidaires plus poussées que la simple idée de sauter qui m'effleurait l'espace d'un instant lorsque je longeais les ponts sur le chemin du lycée les mauvais jours, il aurait fallu que je croies mériter le repos qu'aurait pu m'offrir la mort.
Et tout comme je ne juge pas mériter le suicide, je ne mérite pas non plus le soulagement que pourrais m'apporter les médicaments. Le docteur avait l'habitude de me décrire par le mot "Malade" ou encore "En progrès", mais je n'étais pas malade. Encore moins en progrès.

« Trouves-tu reprendre goût à la vie ?  »
« La vie, c'est la punition des hommes qui ont la chance de la vivre.»
« Tu te sens puni, Orion? »
« Non. » Est-ce que je crois mériter une punition bien plus importante que son absence ? Oui.
« Et te crois-tu responsable pour ce qu'il est arrivé?»
« C'est une question piège? »
« Crois-tu que te piéger est mon but? »
« Oui.»
Elle soupire. « Es-tu remonté dans une voiture ? »
« Non.  »

Je ne sais pas si c'était à cause de mes réponses monosyllabiques, de leur fausseté, de ma lenteur ou de mon regard vide, mais elle semble épuisée. Comme si elle avait bien trop essayé et choisissait ce jour-là pour abandonner, lâcher la bombe qu'était les mots qu'elle se préparait depuis des semaines à prononcer. Elle avait sûrement préparer son sourire rassurant pendant des heures. « Je crois que cette thérapie de groupe te fera vraiment du bien. Voir du monde, te faire des amis. Une fois ne suffit pas. Le Dr. Weil prescrit un an, au minimum. »

Le monde s'écroulait.

Je restes muet quelques instants, réfrénant les tourbillons de mots qui assaillent mon esprit.  Tentant de calmer mon pied qui tapote le parquet au rythme des battements de mon cœur qui s'emballe incontrôlablement.

« Non ! Enfin, je veux dire. Non. Des gens ? Des amis ? Je ne peux pas me faire d'Am- et comment je me rendrais là-bas ? Je ne veux pas monter en voie- Non. Je vais Bien. Voyez ?»
« Du calme, Orion. Tu dois apprendre à.. »

ORIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant