M A R S

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Je fixe ma réflection dans le miroir de la salle de bain de longues minutes, critiquant chacun de mes traits, impitoyablement.
Mon teint pâle me révulse un peu plus chaque jour et la thérapie n'aide pas. Les injections de médicaments n'aident pas, et je suis prêt à tout. Prêt à tout pour arrêter la cadence de ma souffrance.
C'est si facile de s'enfuir.
Je vide la tablette dans ma main droite, il y a dix cachets. Deux gorgées suffiraient.
Bipolaire. Hurle ma conscience.
Je balançe légèrement la tête en arrière, ouvrant la bouche. Deux gorgées suffisent.

Je m'écrase sur mon lit, ferme les yeux. Je n'ai qu'une seule pensée à l'esprit, qu'une seule phrase qui tourne en boucle, comme un mantra que je martèle à voix basse : Bientôt, je serais libre de cette peine. C'est facile.
Je crois percevoir la pulsation de mon sang à travers les veines de mes bras. Je savoure le son de ma respiration. Car bientôt, il n'y aura plus rien. Rien d'autre que du silence.
C'est ironique, non ? La fragilité de l'être ?
Une machine si bien rodée, magistralement assemblée dans le seul but de vous garder en vie pour que vous puissiez poursuivre vos vies insignifiantes. Une machine divine et pourtant si facile à briser.
Le calme me berce et je sombre petit à petit dans ses bras pour un long voyage. Peut-être que c'était ce calme qu'elle avait ressenti. Cette aise. Et peut-être que quand tout s'arrête, quand la mort viens à vous, il n'y a rien d'autre que ce sentiment de plénitude, tel un profond sommeil. Je l'espère.

Seul le grésillement lointain de la télévision me parviens.

J'ouvre les yeux. Le sourire d'Olympe est toujours collé au plafond. Ses yeux ciels. Mes parents à ses côtés. Et soudainement, la culpabilité s'empare de moi. Retournement strict de la conjoncture. Je ne mérite pas de mourir. Je ne mérite pas de m'enfuir. Je dois souffrir, entièrement, pleinement.
Mon esprit se trouve dans l'œil du cyclone, en pleine tempête, mes pensées se mélangent, se chevauchent, encore et encore à une vitesse folle. Soudainement, il choisit de se battre. Contre l'autre, contre moi.
L'air se fait rare.
J'étouffe. Je me bats en vain pour une bouffée d'air que mes poumons me refusent. Je tousse, encore et encore.
Je me lève, je cours, mais penché au dessus de la cuvette, à bout de souffle, je ne parviens pas à recracher la tablette. Je n'arrive pas à me faire vomir.
La maison est vide. Vide, ce mot sonne creux. C'est étrange, comme tout me semble dénué de sens, subitement.

Titubant, je me traîne jusqu'au téléphone fixe, m'accrochant à la dernière once de réalité que je retiens avant de m'écraser au sol. Je n'ai plus de force. Plus d'air. Je compose le numéro de l'hôpital à l'aveugle.

«Bonsoir, qu'elle est votre urgence ?»
Mes derniers mots furent : « 112 rue Félix Faure. J'ai avalé une tablette de Dépronal. Je ne vomis pas. Faites sortir ces cachets.»

+++

J'ouvre lentement les yeux, clignant de nombreuses fois des paupières. La lumière des néons m'assaille. Je suis dans chambre d'hôpital aux murs tintés de jaune, et les meubles oranges produisent un contraste douteux.

Ma tête me fait atrocement mal, mais ce n'est rien comparé à la douleur fulgurante qui me martèle l'estomac. Je me répète que la douleur n'est qu'une preuve que je suis là. Une preuve que je suis encore en vie. Et pourtant, je me sens vide.

Une infirmière m'observe d'un œil insistant.

« Je ne voulais pas mourir. » Soupirais-je tandis qu'elle s'assoit sur le fauteuil à ma droite, ses pensées se lisent sur son visage.
« J'ai besoin de votre nom, prénom et âge. Ainsi que du nom d'une personne de confiance pour votre sortie. Prenez votre temps. »

Je tousse, une once d'angoisse me serrant les tripes. Mes parents ne doivent pas être au courant, je n'ai pas le droit de leurs faire ça. Mes idées se mélangent encore, et je dois fermer les yeux pour ne pas perdre pied.

ORIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant