F É V R I E R

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« Comment décrirais-tu ta situation ? »
Le Dr. Red me transperçe du regard, assise de l'autre côté du bureau. Elle prends des notes dans un carnet gris perle, qu'elle sors d'ailleurs avec moi de plus en plus régulièrement.
Mon cas s'aggrave au fil des mois, et elle, elle est perdue.
« Là? Tout de suite? Tellement, tellement de colère.»
« La semaine dernière, tu parlais de tristesse.»
« Oui. »
« Tu prends tes médicaments? »
« Oui. »
« Non. Tu ne les prends pas. Pas vrai? »
Je reste silencieux, fixant mes pieds. L'horloge accrochée à ma droite émets un tic-tac régulier, elle dicte mes battements de coeur.
« Pourquoi ?» Enchaine-t-elle. « Tu n'iras jamais mieux si tu refuses tout traitement. Si tu mens à tes médecins. »
« Ils ne marchaient pas. » M'excusais-je vaguement, sans trop de conviction.

Elle soupire longuement, laissant un silence s'installer avant de changer de sujet.

« Tu t'es fait des amis, à la thérapie de Mademoiselle Weil? » Demande-t-elle, pleine d' entrain.
« Un. »

+++

Je n'avais pas mis les pieds au lycée depuis la rentrée des vacances de Noël.
J'avais touché le fond, encore. Et ce malgré mes efforts acharnés pour ne pas basculer dans le néant, ma lutte était vaine, perdue d'avance. J'étais incapable de me lever, manger, ou même parler. Je ne supportais pas de voir quiconque, tout me faisait paniquer. C'était moi et ma musique & occasionnellement quelques messages. J'écrivais, des lignes et des lignes, des chansons, des poèmes, des pensées sans ordre logique. J'écrivais jusqu'à ce que mon poignet soit incapable de saisir un stylo. Jusqu'à ce que mes doigts semblent en saigner. Et puis, éventuellement, l'inquiétude de mes parents croissait de façon exponentielle, et je me forçais à les soulager.

C'est un matin banal. Quelques fins flocons de neige étaient tombés sur mon chemin, mais ça n'avait pas duré plus que quelques minutes. Tout n'était qu'éphémère par ici.
Les pavés de la cour centrale de ce lycée me donnent comme une envie de me passer la corde cou, ou de sauter du haut du toit. Le bâtiment, dans son ensemble, est élégant : murs blancs nacré anciens, sols en parquet. Tout est parfait, trop parfait pour moi. Les gosses de riches se pressent vers les portes à la seconde où la sonnerie retentit, jetant leurs cigarettes mentholées dans les platebandes. Le code vestimentaire semble être les manteaux de couturiers, accompagnés de chaussures en cuir fin. Je fais tache, moi et mes basquettes usées par la marche.

Je reste planté devant les grilles quelques minutes, cherchant à trouver une quelconque volonté de me diriger en cours, mais un visage bien trop familier attire mon regard. Ce n'est pas Charlie ni une quiconque autre personne de ma classe. Il s'agit d'Oryne, l'insomniaque de la thérapie. Elle est entourée de quelques jolies filles, qui elles aussi, attirent mon regard. Ses yeux se verrouillent aux miens de longues secondes, et pendant un instant, je crois qu'elle viendrais me parler, qu'elle oserait faire un commentaire. Et en toute franchise, cette possibilité me thérifie. Je commence à peine à accepter la thérapie : la distanciation entre cette dernière et le reste de ma vie doit être nette.

Je presse le pas en direction de ma salle de classe, seulement pour m'en faire sortir quelques minutes plus tard par une surveillante. Le conseiller d'orientation avait demandé à me voir, encore.

Le bureau de Mr. Le Scraigne n'est autre qu'une petite pièce ovale, annexée au bâtiment administratif du lycée. Si petite qu'elle semble avoir été oublié lors de la structuration des bâtiments, rajoutée au dernier moment, telle une indésirable. Il y a à peine la place d'y placer une étagère, trois chaises, et un bureau. De nombreuses affiches sont placardées sur les murs, traitant de l'admission post-bac, des maladies sexuellement transmissibles et des dangers du tabac, sans compter de celles sur la sécurité routière que j'évite précautionneusement d'examiner. J'ai toujours eu l'impression que cet homme de la trentaine et pourtant déjà grisonnant c'était fait pour mission personnelle de nous trouver une place acceptable dans la société. Chaque élève de terminale était selon lui une pièce d'un puzzle à compléter, comme celui qui traînait depuis des mois sur son bureau. Il était presque achevé, mais une pièce ne semblait aller nulle part. Elle était sans doute l'allégorie de ma personne.

ORIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant