Quand le ciel descend sur la Terre (romance)

1

Le vent glacial s'engouffre sous mes vêtements, hérisse le fin duvet de ma peau et souffle dans mes cheveux en balayant la plage. Face à moi, le ciel, Narcisse silencieux, se contemple dans le miroir de l'océan et celui-ci lui renvoie son reflet, gris et voluptueux.

Je pousse mes pieds dans le sable, les petits grains viennent se frotter contre ma peau, se faufilant sous mes ongles. Du bout des doigts, je caresse ces milliers de paillettes dorées, laissant des sillons dans la surface lisse. Mes phalanges s'enfoncent et arrachent une poignée de poudre granuleuse. Je la serre dans ma paume, mais elle m'échappe, coule comme le temps entre mes doigts.

Les goélands lézardent le ciel de leurs cris stridents en planant au-dessus des eaux, à la recherche d'une quelconque proie à attraper. Un soupir m'échappe alors que je regarde les nuages, chargés de pluie, qui lentement s'amoncellent. Les effluves salés de la marée portés par les courants d'air m'apaisent.

Au loin, le chant des vagues me berce et m'appelle. Je ferme les yeux, résiste aux sirènes. Face à moi, l'Atlantique s'étend à l'infini ; je suis minuscule devant son corps immense. Les vagues roulent et s'enroulent sur elles-mêmes avec violence. Des gouttes d'eau glacées s'écrasent sur mon visage.

Puis soudain, le ciel se fend, un éclair perce les nuages et quelques secondes plus tard, un grondement puissant annonce l'orage. Le vent se fait de plus en plus fort, les rouleaux de plus en plus gros. La pluie s'infiltre sous mes vêtements et glisse lentement sur ma peau. En un rien de temps, je suis trempée. Mes habits s'agrippent à mon corps, mes cheveux sont plaqués sur mon visage. Il pleut si dru que je ne vois pas à un mètre devant moi, le rideau de larmes célestes me dissimule l'océan qui se déchaîne.

Aujourd'hui, j'ai envie de mourir noyée, d'être emportée par les vagues, de disparaître. J'attends que les flots viennent m'attraper par les pieds pour me tirer dans le fond. Tout au fond. Mes paupières sont lourdes et mes yeux me brûlent. Le contact des gouttes froides sur ma chair m'arrache un frisson. Je crois que je tremble.

J'ignore si je serai toujours là demain, mais pour le moment mon cœur bat encore.

*

Une puissante lumière filtre à travers mes paupières ; le jour s'est levé. Je suis toujours allongée sur la plage et je pourrais me baigner dans mes vêtements tant ils sont gorgés d'eau. Lorsque je me redresse, mon cerveau tangue dangereusement d'un bout à l'autre de mon crâne ; ma tête est sur le point d'exploser.

Il faut que je parte d'ici, que je prenne une douche, et vite. Je m'empresse de traverser les rochers acérés pour retourner sur la plage principale, puis cours jusqu'à ma voiture tout en imaginant la réaction que les gens auraient si j'en croisais. J'ai passé la nuit entière sous la pluie. Ma peau est probablement rougie par les gouttes d'eau et le vent, mon mascara a dû couler sous mes yeux et ruisseler jusque sur mes joues ; mes cheveux ainsi que mes habits dégoulinent et je suis pleine de sable. Ils penseraient probablement que je suis folle. Ou en danger.

J'ouvre mon coffre et suis soulagée de voir que je n'ai pas oublié mon sac de rechange. Grelottante, je me hâte de lancer mes affaires sèches sur la banquette arrière, referme le coffre et me glisse dans la voiture. Quelques exercices de contorsion plus tard, je suis changée et mes vêtements mouillés sont roulés en boule dans un sac en plastique.

Avant de démarrer, je reste un moment à observer la plage à travers le pare-brise, pensive.

Sans toi, je me sens vide, abandonnée. Alex... Je voudrais échapper à ma vie, mais je ne sais plus où m'enfuir...

À cet instant, la seule pensée de Julien qui doit être mort d'inquiétude me ramène sur le chemin du bon sens. Il me faut rentrer.

Je démarre et prends la direction du centre-ville. Durant tout le trajet, je conduis comme un automate, l'esprit totalement ailleurs.

Il faut que je l'accepte, toi et moi, c'est terminé.

Et pour la première fois depuis des semaines, je lâche prise.