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La vision attendrissante d'Isis, debout de l'autre côté de la paroi de douche, en train de gratter la vitre de ses petites pattes tout en pleurant tandis que je me lave, me fait presque oublier mon estomac en vrac. Et cette fatigue intense qui me poursuit depuis quelques temps, apparemment pas décidée à me lâcher.

Quand je quitte la cabine, je me demande comment je vais seulement parvenir à travailler aujourd'hui. Isis m'accueille avec effusion sur le tapis de bain et se met à lécher les gouttes d'eau qui dégoulinent le long de mes mollets de sa langue râpeuse. Adorable.

Une fois habillée, je gagne la cuisine où je trouve Mélanie et Julien en train de s'embrasser langoureusement. Ils s'interrompent pour me dire bonjour, gênés de ne pas m'avoir entendue arriver. Pourtant, ils peuvent bien se bécoter tant qu'ils veulent.

Je m'installe avec eux devant mon petit-déjeuner. Julien quitte la table pour faire je ne sais quoi, et je me retrouve seule avec Mélanie. Ma fatigue est telle que j'en oublie vite sa présence.

— Je suis désolée... me déclare-t-elle au bout d'un long silence.

— Pourquoi ?

— Tu n'as peut-être pas envie de me voir régulièrement ici...

— Je n'ai aucun problème avec ça.

— Tu peux me le dire tu sais, je vois bien que tu es contrariée...

— Non, pas du tout. Je suis juste crevée et je me sens nauséeuse. Peut-être que je n'ai pas bien digéré le repas d'hier. Ma famille est bourguignonne, je te laisse imaginer le nombre de plats...

— Tu devrais peut-être aller chez le médecin ?

— Je vais déjà boire mon café en priant pour qu'il fasse effet et je verrai plus tard.

Laëtitia entre alors dans la cuisine, se sert une tasse puis s'installe entre Mélanie et moi, en lui marmonnant un : « salut » à peine audible. Immédiatement, l'atmosphère s'alourdit et un silence pesant s'installe. Mélanie semble très gênée par la froideur de ma meilleure amie, elle replace plusieurs fois sa mèche de cheveux derrière son oreille, joue nerveusement avec sa petite cuillère et évite de la regarder.

Laëti l'ignore superbement, lui tournant le dos, et ne s'adresse qu'à moi. Ne tenant pas à être mêlée d'une quelconque façon à leurs histoires, je trouve vite un prétexte pour quitter la pièce, les abandonnant toutes les deux à leur animosité.

En retournant dans la salle de bains, je découvre Julien, assis sur le rebord de la baignoire, l'air abattu.

— Qu'est-ce que tu as ? lui demandé-je.

— J'en sais trop rien. Tout me saoule. J'en ai marre de vivre en ville, les tensions entre Mél et Laëti me gavent... Bref. C'est juste un coup de mou, ça va passer.

Je lui caresse doucement l'épaule pour le réconforter avant de lui apprendre que justement, Mélanie et Laëtitia sont toutes les deux dans la cuisine.

— Je ferais mieux de ne pas les laisser seules trop longtemps, je ne tiens pas à atterrir sur une scène de crime, soupire Julien.

J'acquiesce avec un rire puis jette un œil à l'écran de mon téléphone.

— Et moi, il faut que j'y aille.

— À plus tard, me lance mon ami.

— À plus tard.

*

À treize heures, je suis plus que soulagée de quitter la librairie. Marissa m'a bien proposé plusieurs fois de rentrer, mais je ne voulais pas manquer le travail à cause d'un coup de fatigue, d'autant plus qu'elle m'a annoncé la fermeture de la boutique du mercredi au samedi inclus la semaine du Nouvel An. Je me reposerai à ce moment-là.

Je me rends lentement jusqu'à l'appartement, quand une élégante voiture noire ralentit près de moi. Une voiture que je commence à bien connaître.

— Ça va, Jade ? s'enquiert Léo, penché vers la vitre abaissée côté passager.

— Oui, ça va ! Je vais finir par croire que tu me suis !

Il rit.

— Non, mais je t'ai reconnue à ta cape rouge ! Tu as l'air fatiguée toi, tu as une petite mine.

— Ça se voit tant que ça ?

— Un peu... Allez monte, je te ramène.

Quelques minutes plus tard, nous sommes tous les deux dans l'appartement, attablés devant un café.

— Je doute que ça me mette un coup de fouet, dis-je en désignant la tasse du menton. Ça n'a déjà pas fonctionné ce matin.

— Ça fait longtemps que tu es épuisée ?

— Oui, un moment déjà, je ne saurais pas te dire. C'est sûrement psychologique.

Léo me contemple d'un air navré avant de poser sa main sur la mienne. Il me caresse tendrement la peau puis murmure :

— Tu... tu devrais peut-être faire, tu sais... un test de grossesse...

Je lève les yeux vers lui puis hausse un sourcil circonspect.

— Je prends la pilule, me protège et mon cycle est toujours le même. Donc aucun risque.

— OK... Je te disais simplement ça parce que ma sœur était vraiment crevée quand elle était enceinte. Et il me semble que mon ex disait la même chose, mais comme elle m'a quittée dans la foulée, je n'ai pas vraiment eu le temps de m'en rendre compte...

Nous discutons encore un moment, puis Léo prend congé pour retourner au bureau. Je mange sans grand appétit et m'aperçois qu'inconsciemment, les paroles de mon ami me restent en tête.

Une partie de moi est effrayée par cette hypothèse, même si elle est invraisemblable. Sûrement mon côté parano, comme n'a pas manqué de me le rappeler dernièrement Laëti. Mais encore une fois, mon cycle est inchangé, j'ai eu mes règles dans le mois. Donc ce n'est pas possible... Sans compter que je me suis toujours protégée depuis ma dernière fois avec toi et que je prends la pilule...

— C'est ridicule, murmuré-je pour moi-même.

Alors pourquoi ai-je envie de me prouver que Léo se trompe ? Je devrais me contenter de ne plus y penser.

Pourtant, l'envie de vérifier ne quitte pas mon esprit.

*

Je rentre à l'appartement, trempée comme une soupe – il pleut des cordes dehors et j'ai eu la bonne idée de me rendre à la pharmacie à pied, sans parapluie, évidemment.

Il faut que je me dépêche de faire ce test avant que Laëtitia ne rentre du restaurant et qu'elle se pose des questions, il est bientôt quinze heures. Isis dans les jambes, je me débarrasse de mes affaires, attrape la boîte et m'installe sur mon lit pour lire la notice. Lorsque c'est chose faite, j'abandonne le papier et me dirige vers les toilettes.

Le test effectué, il ne me reste plus qu'à patienter.

Trois minutes.

Je fais des allers-retours dans le couloir. Mais pourquoi je me mets dans cet état alors qu'il est tout à fait impossible que je sois enceinte ?

Le temps enfin écoulé, je jette un œil au test, me préparant déjà à rire de mon comportement excessif.

Ma vision est un peu trouble, ça doit être cette satanée fatigue.

Je cligne des yeux.

Ou peut-être que c'est autre chose.

Je secoue le petit appareil dans tous les sens, il a très certainement un défaut ou il est cassé. Oui, parce que cet idiot ne m'annonce pas le bon résultat.

Et soudain je ne suis plus du tout d'humeur à rire.

Ce stupide test se paie ma tête.

Bon sang, pourquoi m'affiche-t-il que je suis enceinte ?

Quand le ciel descend sur la Terre (romance)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant