Avant~4

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-Alors, racontez moi
Et voilà. Je suis encore assis devant cette femme pour subir son interrogatoire. Pourtant lorsqu'elle est venue me chercher dans ma chambre, je lui ai répété que je n'ai plus besoin d'elle, que mes souvenirs me sont revenus. J'aurais peut-être dû me taire. Elle m'a alors tiré dans son bureau pour savoir ce dont je me souvenais. Je lui ai répondu: tout. Mais elle insiste encore. Elle dit qu'elle voudrait savoir ce qui a bloqué ma mémoire pour mon dossier, pour ses recherches, bla-bla-bla... Ces souvenirs m'appartiennent et je ne veux pas les lui donner. Elle peut reposer sa question dix fois, cent fois, mille fois, une infinité de fois, je ne répondrai pas.
-Tu ne veux pas me répondre ?
-Non
-Pourtant pour ton dossier...
-Je sais, je la coupe
Elle soupire.
-Très bien, après tout, c'est ton choix
Je la regarde suspicieux. Elle a vraiment abandonné? C'est plutôt inhabituel.
-Je peux partir ?
-Oui, bien sûr
Je me lève sans la quitter des yeux. J'ouvre la porte et sors doucement. Si j'ai l'air trop pressé de m'enfuir, c'est sûr qu'elle va changer d'avis. Une fois dehors, je ferme la porte et m'éloigne en courant de cette salle infernale.
Lorsque je décide qu'il y assez de distance entre cette vieille folle et moi, je m'arrête. Ouf! Je n'ai plus besoin d'y retourner, jamais.
Une fois dans ma chambre, je m'assois sur mon lit. Je souffle un bon coup. La vieille folle ne m'a même pas laissé le temps de d'assimiler mes souvenirs. Devant elle, je me suis efforcé de ne pas trop y penser, mais maintenant, je prends conscience que ma vie a changée pour toujours. Une autre vie sans ma mère où je suis un rebelle clandestin recherché par les autorités. Une vie où je vais contribuer à la descente aux enfers des Aïatola.
-Ça va?
Je sursaute. Valentine se tient devant moi avec ses longs cheveux blonds qui tombent dans son dos. Comment est-elle entrée dans ma chambre? Je ne l'ai même pas entendue arriver.
-Comment es-tu entrée? je grommelle
-Par la porte! Quelle question !
Ok. Il faudra que j'apprenne à la fermer à clé.
-Qu'est-ce que tu veux?
-Savoir comment tu vas? Ce n'est pas très agréable de perdre sa mère une deuxième fois, dit-elle sincèrement.
-Elle n'est morte qu'une seule fois, je réplique abruptement
-Oui mais tu dois faire ton deuil une deuxième fois
-Je l'ai déjà fait, parlons d'autre chose
Elle me regarde tristement. Elle sait que je mens mais elle ne réplique pas. Moi, je sens la douleur de la perte qui refait son apparition. J'essaie de la chasser, de l'oublier. Une femme est morte, il y a longtemps. Une femme qui m'avait mis au monde. Je dois mettre de la distance avec le passé. Le temps des larmes n'est pas encore venu.
-Cela doit être pire pour toi, je demande pour changer de sujet
Son sourire de fige. Elle soupire.
-Je ne suis pas comme lui, comme Charles.
-Je n'ai pas dit ça
-Changeons de sujet
Je souris.
-J'ai l'impression que la famille n'est pas vraiment le thème idéal d'une conversation.
-Non, en effet, sourit elle
-Bon, et si tu m'expliquais ce que je vais faire maintenant.
-Tu vas être transformé en agent rebelle. Entraînement physique puis études des techniques d'espionnage, de combat et...
Elle s'arrête un instant et me regarde amusée.
-Et quoi?
-...Du Français, des maths, de l'histoire etc.
-Je vais vraiment devoir apprendre tout ça ? je demande
-On ne cherche pas à faire de vous des ignorants ici, rit elle, au contraire
-Je ne vais jamais survivre
-Bien sûr que si puisque tu es.. euh... spécial.
-Je n'ai absolument rien de spécial
-Je ne peux rien te dire, désolé. En fait, je suis aussi venue pour te dire que Chri... Le chef, se reprend-elle, souhaite te voir et t'attend dans son bureau.
Je soupire. Je savais bien qu'elle ne venait pas que pour mon sourire.
Je me lève et je m'apprête à partir lorsque Valentine m'arrête:
-Attends, je viens avec toi
Je hausse les sourcils:
-Pourquoi?
-Pour être ton guide après la réunion.
Je sors de la chambre suivi par Valentine. Euh... C'est où déjà le bureau?
Je vois alors une chevelure dorée me passer devant et disparaître dans un couloir. Je la suis jusqu'au bureau du chef.
Elle s'arrête devant une porte en bois dans un couloir.
-C'est ici. Je n'entre pas, ajoute-t-elle devant mon hésitation.
Je frappe à la porte puis j'entre.
-Bonjour Solfian, dit l'homme en costume qui est assis en face de moi.
Ses cheveux gris foncé tombent sur son front en désordre. Ses yeux marron me sondent. Il a pleins de petites rides qui semblent faire de son visage le delta d'un grand fleuve. Comme ma mère. Il a des rides de sourire et des rides de l'homme qui vieillit avant son heure. Les rides d'un homme qui a connu plus d'épreuves et de difficultés dans une vie que trois hommes réunis.
Il me sourit avec bienveillance mais je crois voir une certaine tristesse accrochée à ses yeux, comme une perle du regard fixée à ses paupières.
-Bonjour...
-Chef, répond-t-il a ma place, assieds-toi
Il me désigne une chaise en cuir en face de son bureau en bois clair. Il est assis sur une chaise identique à la mienne en face de moi.
-Alors Solfian, tu es la nouvelle recrue. Tu dois certainement avoir pleins de questions mais je te demande d'attendre que j'ai fini avant de les poser.
Je hoche la tête. Ok.
-Bien, sourit-il. Tu l'ignores peut-être mais les Aïatola n'ont pas toujours gouverné ce monde.
Il y a longtemps, bien avant Charles Aïatola, un homme prétendait détenir la clé pour faire de ce monde un monde parfait. Sans problèmes. Il disait qu'il pouvait mettre un terme à tous les problèmes de la société de l'époque. L'écologie, la pauvreté, le vol, à tout. Mais quand on apprit son plan, tout le monde se révolta. C'était impensable, inadmissible. Personne n'accepta. Il ne fallait pas seulement sacrifier son confort ou ses idéaux, non, il fallait sacrifier sa liberté et celles de ses proches. Il a essayé de trouver des compromis mais les gens ont rapidement vu les dérives de ses projets. Malheureusement, il y arriva quand même. Il fut nommé président.
Alors, il commença, ou plutôt continua, son sombre manège et il fut réélu une fois, deux fois...
Il transmit son savoir à son fils puis à son petit-fils. Ils appelaient ça la "Neuévolution". Son fils fut le pire de tous après Charles. Il a eu un comportement violent mais dès que son fils fut au pouvoir, tout était oublié. C'est ainsi que le France tomba dans une dictature.
Ainsi se succédèrent les générations d'Aïatola. Le père ou le grand-père de Charles décida d'appliquer sa Neuévolution au monde entier et ses descendants finirent le travail et finirent de façonner ce monde en celui que tu connais. Un monde de peur et de répression.

Je regarde le chef. Je ne comprends pas bien l'intérêt de me raconter. Je déteste déjà les Aïatola.

-Et? je demande
-Tu ne voulais pas savoir?
-Ça ne change rien que je le sache ou pas. Je déteste les Aïatola et je sais pourquoi. Non, en fait, je déteste juste Charles et ses pantins.
-Parce qu'ils ont tué ta mère
-Parce qu'ils ont détruit des familles, des amitiés, parce qu'ils ont détruit l'amour.
Le chef me regarde avec amusement.
-Je constate que vous avez une bonne détermination agent La Nuit. J'espère que vous vous dépêcherez de devenir un rebelle opérationnel.
-euh...merci
-Donc maintenant je vais t'expliquer la faille du système, leur problème, pourquoi des enfants disparaissent, pourquoi certains échouent aux tests et d'autres pas.
-Et moi? Je fais partis de ces gens, vrai?
-Oui. Vous êtes différent. Votre pensée est différente. Votre raisonnement n'est pas celui de tout le monde. Vous êtes plus intelligents, plus sensible, vous voyez des chemins là où il n'y en a pas pour nous. Ils n'arrivent pas à vous contrôler.
-Moi?
-Oui, toi.
-Et Valentine aussi?
-Oui et beaucoup de gens qui sont ici. Mais pas tous. Certains sont là parce qu'ils veulent juste se battre pour retrouver leur liberté.
-Et que font ces gens?
-Ils créent...des problèmes.
-Mais ce n'est pas dangereux?
-Si, beaucoup sont mort. Comme ton père par exemple.
... Mon père ?!

...Mais tes yeux ont disparu...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant