Terre~1

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Il se tait. Encore et toujours. Tous les matins, tous les soirs, à chaque interrogatoire. Il reste définitivement la bouche close. Rien ne peut le faire parler. Personne ne peut lui arracher son terrible secret. Il est toujours muré dans son silence. Pourtant, il n'est ni sourd, ni muet. Peut-être est-il traumatisé par son expérience ? C'est ce qu'ils se disent. Je peux presque entendre leurs pensées. Ils me disent qu'ils vont m'aider mais je sais très bien que c'est faux. Quand bien même se serai vrai, je ne leur dirais jamais. Je ne veux pas. Jamais. Jamais je ne leur dirais. Jamais je n'y retournerai même si cela mettait fin à toute cette folie. Ils trouveront un autre moyen. Jamais je ne remontrai dans cette fusée.
Alors pendant qu'ils essaient en vain de me faire parler, je me tais et attend les mots qui me délivreront.
-Très bien, tu peux y aller, soupire ce brave gars en costume noir
Tous les jours, il essaie de me faire parler mais jamais je ne sors un mot. Je suis une véritable tombe comme ils disent. Personne n'a la moindre idée de ce que je sais, de ce que j'ai vu. J'étais le meilleur gars de leurs rangs. Prêt à tout pour les aider. Le seul qui n'avait pas disparu dans cette quête ou qui ne soit pas revenu bredouille. C'est même moi qui avais absolument insisté pour y aller. J'allais y arriver, disais-je. J'avais raison, J'ai réussi. Sauf que je ne veux pas raconter. Quand je suis revenu ce soir-là, tout le monde a couru vers moi. J'avais les yeux cernés et vide. J'étais sale. Mon corps était recouvert de terre. Tout le monde m'a bombardé de questions. Ils avaient désespéré de me revoir un jour mais je suis revenu. La première parole que j'ai dite et la dernière est: "J'ai faim. Pourrais-je avoir à manger s'il vous plaît? Merci "
Et voilà. C'en était fini de ma voix au timbre grave. Depuis tout le monde essaie de savoir mais personne n'a réussi. Il manque une personne. Leur dernier espoir de me faire parler mais elle n'est pas encore revenue de sa mission.
Je sors de la salle. Je comprends leurs efforts. Je sais que je suis le premier à revenir avec cette information si cruciale mais je ne dirais rien. Même si j'ai fait une promesse, je n'y retournerais jamais. Je ne veux pas. Je ne leur donnerai pas le dossier caché sous mon lit qui prend la poussière. À chaque fois que je ferme les yeux, j'entends les rats qui se dévorent entre eux, les gouttes aux drôles d'odeurs tombées du plafond noir. Je revois le noir d'encre dans ce grand hangar froid et surtout, je sens les vibrations des pas de ces hommes aux blouses blanches, ces scientifiques, ces policiers. Je revoie encore toutes ces soirées derrière cette porte en métal, caché dans le noir. Quand ils ont demandé à ces personnes terrorisées aux grands yeux de s'assoir sur leurs fauteuils en cuir, les sangles se sont refermées sur eux et alors, a commencé leurs longs et interminables concerts de cris. Toute cette souffrance, pendant si longtemps, jusqu'à ce qu'ils s'effondrent sur le carrelage blanc du sang partout et leurs cheveux en bataille. Je me rappelle bien les hommes qui ont trainé, dégoûtés mais satisfaits, leurs victimes et ont demandé à une pauvre fille vide, de nettoyer pour redonner au carrelage son blanc pur.
Le pire, c'est que je me souviens le jour où les sangles se sont enroulées autours de mes bras. Je sens encore leur rudesse. Ce jour où j'ai crié à m'arracher la gorge, où j'aurais préféré mourir que de subir toute cette douleur.
Un frisson me parcours le dos. Ne pas penser à ça. Ne pas penser à ce qui s'est passé là-bas. C'est pour ça que je ne veux pas tenir ma promesse, que je ne veux pas y retourner parce que si je leur dis, c'est moi qui devrais y retourner. Moi seul connais les lieux et moi seul à la capacité d'y aller. Les adultes ne peuvent pas car il faut être un enfant et les autres enfants ne sont pas assez préparés. De plus, personne à part moi, ne connaît les lieux. Sauf que je ne veux plus jamais finir sur cette chaise, je ne veux pas retourner dans cette école qui pue la prison et la souffrance jusque sur la Terre. Même si j'ai fait une promesse. Je frisonne encore. Je m'en veux aussi de ne pas la tenir. Elle m'a tellement aidé. Je sais qu'elle a risqué pire que la mort pour m'aider à me sauver, pour récupérer ce dossier sous mon matelas. Mais je suis désolé, je ne veux pas. C'est trop dur. Alors tant pis, elle peut me détester autant qu'elle veut, me maudire, m'attendre. Jamais je ne retournerais la chercher.
Attention, j'étais sincère quand j'ai prononcé cette promesse. Même dans la fusée, je me la suis répétée en regardant l'internat, mais une fois sur la terre, caché dans les buissons, mon courage s'est envolé laissant place à une terreur sans nom. J'ai regardé la lune et j'ai su que plus jamais plus je ne voulais y retourner.

...Mais tes yeux ont disparu...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant