Lorsque je m'arrêtai enfin, j'étais en plein milieu de nulle part, toujours dans la forêt. C'est dingue comme on peut se perdre facilement dans les bois. C'est tellement rapide, en plus ! Je fis un tour sur moi-même. Personne n'était là pour m'observer. Lentement, je repris ma respiration. Je me laissai tomber par terre, épuisée. L'adrénaline était redescendue. J'étais toujours effrayée, mais beaucoup plus calme. Peu à peu, je sentis la douleur martyriser certaines parties de mon corps. Je baissai les yeux sur mes mains et mes avant-bras et découvris que j'étais à nouveau couverte de sang. C'était bien le mien, cette fois-ci. Des bouts de verre étaient plantés çà et là dans mes bras. C'était répugnant. Je les arrachai un à un, hurlant de douleur. La blessure à l'arrière de ma tête avait cessé de saigner, mais elle me faisait souffrir. Je serrai les dents et me relevai en étouffant un gémissement. Mon mollet droit était lui aussi bien amoché. Du liquide rouge avait tâché mes converses bleues. Il me fallait trouver un plan d'eau pour nettoyer tout ça.
Je ramassai mon sac plus lourd que jamais et marchai dans une direction inconnue. Mon instinct me dictait de partir sur le droite. J'avais vu juste. Après dix minutes de marche, je tombai nez à nez avec un faon qui se désaltérait dans une rivière. Quand son regard affolé croisa le mien, il déguerpit aussi sec. Inconsciemment, je m'étais reculée de trois bons mètres, craignant de lui faire du mal.
La température avait augmenté de quelques degrés. Je n'eus donc pas trop de mal à entrer dans l'eau. Je nettoyai d'abord mes bras et mes mains. L'eau commença à se teinter d'un rouge très pâle. Au fur et à mesure que ma peau retrouvait sa pâleur, je découvris que quelques morceaux de verre étaient restés coincés dans ma peau. Mes mains étaient profondément coupées et elles aussi jonchées d'échardes de verre. Je me rapprochai de la rive et fouillai dans la poche avant de mon sac à dos à la recherche d'un couteau suisse. Je sortis la lame du bois avec mes ongles et commençai à creuser dans ma chair pour extraire les morceaux de verre. La première fois, je ne pus m'empêcher de pousser un hurlement qui fit s'envoler les oiseaux. Le seconde fois, je serrai les dents et gémis. Pour les trois dernières entailles, je restai stoïque. Il ne fallait pas que je me fasse repérer. Une fois terminé, j'observai les tâches rouges s'évaporer avec le courant de l'eau. J'essuyai de nouvelles larmes sur mes joues et frottai mes mollets. Je remontai sur la rive et ouvris mon sac du bout des doigts. Mes mains saignaient toujours, je ne voulais pas le tâcher. Je sortis délicatement la serviette de bain de ma sacoche et me rapprochai une nouvelle fois du bord. Alors que je trempai mes mains dans l'eau pour pouvoir les passer sur mon visage, quelque chose me parut étrange. Je clignai des yeux plusieurs fois. Je ne rêvais pas. Les entailles sur mes avant-bras avaient disparu. Je rapprochai mes mains de mon visage et observai les entailles pourtant profondes se refermer lentement, sous mes yeux.
« Qu'est-ce que... » chuchotai-je.
J'avais dû manger quelque chose de pas net pour voir des choses aussi improbables se produire. Je n'avais pas fumé autre chose que mes cigarettes. Je n'avais pas bu non plus d'alcool depuis plusieurs semaines. Bon sang, mais que m'arrivait-il ?!
Je me levai soudainement et me contorsionnait dans tous les sens pour voir la blessure sur mon mollet. Disparue, elle aussi. Peut-être que j'avais aspiré de la poudre de champignon hallucinogène sans le savoir ?
Pour vérifier, je passai mon doigt sur mes paumes. Aucune douleur. Et si je n'avais jamais sauté par la fenêtre ? Et si j'avais juste été somnambule pendant tout ce temps ? Il n'y avait qu'une façon de le savoir. Je pris mon sac sur mes épaules et commençai à remonter le long de la rivière. Je ne savais pas où cela me mènerait, mais il fallait que je retourne à Funny House. Au bout de trois quarts d'heure de marche environ (j'avais perdu la notion du temps sans portable ni montre), je reconnus enfin la clôture blanche. Celle que j'avais franchi de manière presque surnaturelle... Alors que je me rapprochai, je vis par une des fenêtres un homme habillé en bleu marine avec un chapeau loin d'être anodin. Qui avait appelé les flics ? Mme Agatha ou Tybalt ? Pourquoi faire ? Quoiqu'il en soit je ne pouvais pas entrer. Et je ne pouvais surtout pas être vue. Je ne voulais pas pourrir en prison ou bien blesser des gens. Je laissai mon sac près d'un tronc d'arbre à la lisière de la forêt et fis le tour de la maison. Plus je me rapprochais de l'entrée sud de la maison, plus la clôture diminuait en hauteur. Je finis par marcher pliée en deux. Je me stoppai net; découvrant une voiture de police garée sur le trottoir. Un jeune homme était assis à l'avant de la voiture, côté passager. Les pieds croisés sur le tableau de bord, il mangeait un hamburger qui me donna l'eau à la bouche. Je reculai d'un mètre pour ne pas me faire repérer et jetai un œil à la façade décrépie de la maison. La fenêtre du grenier n'était plus là. Quelques morceaux de verres étaient restés collés sur l'encadrement en bois, prouvant qu'il y avait bien eu une fenêtre auparavant. Je risquai un regard furtif sur le goudron, sous la fenêtre. Des débris gisaient avec du sang un peu partout. La zone était marquée par un cercle blanc tracé à la bombe, sans doute. La police avait ouvert une enquête ?! Il allait falloir que je me fasse petite pendant quelques temps, si je ne voulais pas me faire attraper. Mais qu'allais-je faire ? Cette ville était trop petite pour que je reste inaperçue !
Soudain, une voix de l'autre côté de la clôture en bois me fit sursauter :
« Tala ? »
C'était la voix d'Edith. Je portai une main à mon cœur et soupirai, rassurée.
« Oui, c'est moi ! » chuchotai-je.
Je collai mon œil contre la clôture. Elle était juste là.
« Que s'est-il passé ? » demanda-t-elle.
« C'est compliqué... Je dois m'éloigner quelques temps, tu comprends ? Dis aux autres que je vais bien. Je vais voyager dans le sud, peut-être en Caroline » mentis-je.
Il fallait bien que je brouille les pistes...
« Je t'ai laissé quelque chose sous ton oreiller » continuai-je.
« Un cadeau ? » s'émerveilla Edith un peu trop fort.
Le flic dans la voiture releva la tête. Je fermai les yeux un instant, inquiète. Rien ne se passa. L'homme avait ouvert un journal.
« J'ai une dernière chose à te demander » repris-je.
« Je t'écoute » souffla mon amie.
« As-tu déjà vu un médaillon... Un médaillon spécial dans cette maison ? »
Ma question sonnait bien plus bizarrement que je ne l'aurais voulu. Mais je devais savoir ce que ce foutu bijou avait à voir avec moi.
« Un médaillon ? Non, ça ne me dit rien... Oh,Tala, va-t-en, le flic sort de la maison ! » me prévint-elle.
« Merci Edith... Au revoir ! »
« Au revoir, Tala... »
Je fis rapidement demi-tour, récupérai mon sac et disparus dans les bois.
VOUS LISEZ
Tala Anaba
RomanceTala a 17 ans. Jusque là, sa vie n'était pas brillante. Elle jongle entre l'orphelinat et les familles d'accueil qui la rejettent sans arrêt. Lors d'un nouveau séjour à l'orphelinat, Tala se croit folle. Elle oublie des choses, se retrouve seule en...