Dangereuse

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Lorsque je rouvris les yeux, je ne me trouvais pas dans ma cabane, emmitouflée dans mon sac de couchage. Non, j'étais étendue sur le sol, la respiration courte. La douleur irradiait une partie de mon bras droit. Je secouai la tête, afin de me remettre les idées en place et clignai plusieurs fois des yeux. Je n'avais plus froid, pourtant je tremblais. Il faisait nuit noire et je me trouvais dans les bois, couchée sur un tas de feuilles morte. Je posai le regard sur mon bras pour voir ma plaie et poussai un hurlement. Sauf que ce n'était pas un hurlement humain. Et mon bras n'en était pas un, c'était une patte recouverte de poils sombres. Par réflexe, j'essayai de me relever, mais au lieu de me tenir sur deux jambes, je me tenais sur quatre pattes, toutes pareilles. Je regardai droit devant moi et découvris que mon visage s'était allongé et transformé en museau. Que m'arrivait-il ?! J'étais enfermée dans le corps d'un chien !
De nouveau, ma vue se brouilla et je fermai les yeux.

Lorsque je les rouvris, il faisait jour. Je me sentis rassurée lorsque je découvris que ma peau n'était plus recouverte de poils sombres. J'avais dû faire un drôle de rêve. Je me relevai et époussetai mes vêtements. J'avais pris un risque en restant étendue là, en plein milieu de la forêt. Un promeneur aurait très bien pu me découvrir et me signaler à la police. Je repris mon chemin d'un pas pressé vers ma cabane. Je grimpai dans l'arbre et y trouvai mes deux sacs d'hier soir, balancés à la va-vite. L'un d'eux était d'ailleurs accroché à une branche et quelques vêtements étaient tombés par terre. C'était tout de même bizarre... Je n'avais pas lancé mes sacs par hasard... Autrement dit la course poursuite avec cette bête effrayante avait bien eu lieu. Je portai une main à mon front, afin de bien me concentrer et me rendis compte que j'étais bouillante. étais-je malade ? J'avais l'impression d'avoir de la fièvre... Pourtant avec mes blessures qui guérissaient vite, j'aurais dû être insensible à la maladie, non ? Je vérifiai par ailleurs mon bras droit. La blessure n'y était plus, cependant, une marque était toujours apparente. Elle ressemblait à... une trace de crocs... Avais-je été attaquée par un renard ? Ou un puma ?

Pendant trois jours, je restai cloîtrée dans ma cabane, avec un mal de crâne tellement intense qu'il m'empêchait de bouger. Je transpirais, puis je grelottais de froid. J'étais morte de faim, mais dès que j'avalais quelque chose, la nausée me prenait. Puis comme par magie, ma maladie cessa. Je me sentis totalement bien aux alentours d'onze heures du soir. Il faisait nuit. Tout à coup, je fus prise d'une irrésistible envie d'aller me balader dans les bois. Je descendis avec précaution de mon arbre et respirai profondément une fois en bas. Pendant un quart d'heure, je suivis le cours d'eau. Je fus surprise par le clair de lune au milieu d'une clairière. Je m'assis sur un grand rocher recouvert de mousse et observai ce qui m'entourait.

Soudain, j'entendis un bruissement dans mon dos. Je me retournai vivement. La bête. Elle était revenue. Je me levai et reculai de quelques mètres en vacillant. La bête gronda. Malgré la peur qui me tordait le ventre, je lui répondis de la même façon, en y mettant le ton le plus menaçant possible. Alors l'animal sortit de la pénombre. C'était un énorme loup gris qui me fixait avec une expression meurtrière dans les yeux. Ses crocs étaient volontairement sortis, comme pour me provoquer. Il était réellement imposant. Je n'avais jamais vu de loup en vrai, mais j'étais prête à parier que sa taille était anormale. Je faisais un mètre soixante dix, et les yeux de ce colosse était à la hauteur des miens. Il allait m'attaquer, j'en étais sûre. Il hurla en renversant la tête en arrière et deux autres loups apparurent. Ils faisaient la même taille. Leur pelage était légèrement plus foncé que celui du premier loup. Ils paraissaient curieux, à balancer leur tête de droite à gauche. Ils se tenaient légèrement en retrait, comme s'ils étaient sous les ordres du premier loup.

D'un même pas, ils s'avancèrent vers moi. Je commençai à reculer doucement, en levant les mains devant moi, comme pour signifier que je ne leur voulais aucun mal. Cela ne parut pas les détendre. Alors je passai à la deuxième solution. Je n'avais peut-être aucune chance, mais je devais essayer. Sans plus attendre, je courus de toutes mes forces. Les loups étaient à quelques mètres de moi, j'entendais leurs grosses pattes marteler la terre. Je vis trop tard qu'un tronc me barrait le chemin. Tant pis. J'accélérai encore. Au bon moment, je poussai sur mes jambes et me propulsai dans les airs. Je franchis sans peine l'obstacle et sentis mes muscles s'étirer. Lorsque j'atterris, ce n'était pas sur deux jambes mais quatre. Je me tenais à quatre pattes, comme un chien. Tout en continuant de zig-zaguer entre les arbres, je jetai un coup d'œil à mes bras. Ils n'étaient plus des bras mais des pattes noires. Je louchai et découvris que mon visage s'était transformé en truffe. J'étais de nouveau un chien. Je regardai à nouveau devant moi et fus horrifiée de découvrir qu'une falaise se dressait devant moi. Je ne pouvais plus faire demi-tour. J'étais fichue. Dans un dernier effort, je poussai sur mes... pattes, donc, et tentai d'escalader la falaise. Je ne fis que m'éclater contre la roche et mal atterrir sur mes pattes avant. Je ne pus retenir un glapissement de douleur. Je me tournai vers ces trois bêtes féroces qui m'encerclaient à présent. Quand je plantai mon regard qui se voulait féroce dans les yeux de l'un d'eux, il recula. Comme s'il me craignait. Je retentai l'expérience sur le deuxième, en grondant. Même réaction, avec en plus, de la terreur dans son regard. Alors je compris. Ils ne me traquaient pas parce que j'étais un chien, mais bien parce que j'étais un loup, moi aussi. Bizarrement, cette prise de conscience me rassura. Je me redressai et couinai en m'appuyant trop fort sur ma patte avant qui était toujours blessée. Alors le premier loup aboya et sauta sur moi. Je me débattis un instant, mordis sa fourrure qui paraissait plus épaisse que la mienne. Il battit en retraite en gémissant de douleur et les deux autres passèrent à l'attaque. Je leur donnai des coups de pattes étrangement puissants. L'un d'eux vola et rebondit contre la falaise. Le premier chargea à nouveau. Je sautai par-dessus et courus. Une fois qu'une grande distance nous séparait, je m'autorisai à regarder en arrière. Mes ennemis avaient disparu.

Je continuai à trottiner jusqu'à ce que je retrouve la rivière. Je m'y désaltérai un instant, quand un nouveau bruit me fit relever la tête. De l'autre côté de la rive, une énorme laie cherchait dans les feuilles de quoi se nourrir. Je me rendis compte que je me léchais les babines. Sans pouvoir m'en empêcher, je bondis par-dessus la rivière et sautai sur la laie. Elle bougea dans tous les sens en poussant des cris stridents. Je la fis taire et la tuai d'un coup de griffes dans la gorge. Je m'empressai de mâcher sa chair. Je profitai pleinement de cette viande merveilleuse.

Au bout d'un quart d'heure, toujours en pleine dégustation, je sentis que je n'étais plus seule. Je levai les yeux, un bout de viande entre les crocs et découvris un loup d'une blancheur éclatante qui me scrutait depuis un rocher à une cinquantaine de mètres. Même à cette distance, j'arrivais à voir avec netteté la couleur de ses yeux. Des yeux noisette, presque rouges. Des yeux qui me rappelaient quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Ils me rappelaient les yeux de Tybalt. Tybalt, qui devait me rechercher depuis des lustres. Les loups de toute à l'heure devaient être ses alliés. Ma course n'était pas finie. Je fis volte-face et m'enfonçai dans la forêt. Je dépassai l'arbre dans lequel se trouvait ma cabane. Il fallait que je retrouve ma forme normale. De toutes mes forces, je pensai : allez, Tala, reprends forme humaine. Maintenant ! Je sentis que je changeais de forme. Je roulais sur moi pendant quelque mètres et quand je me relevai, j'étais de nouveau moi. Sans me retourner, je fonçai droit vers la maison de Neil. Là-bas je serais en sécurité. Il devait être minuit passé. Je sautai par-dessus le grillage sans difficultés et traversai le jardin à une rapidité fascinante. Je martelai la baie vitrée. L'escalier finit par s'allumer et Neil apparut dans le salon, les cheveux en bataille. Lorsqu'il me découvrit, il écarquilla les yeux. Il avait l'air effrayé. Je baissai les yeux et découvris mon pull couvert de sang encore frais. D'un air suppliant, je lui demandai d'ouvrir. C'est ce qu'il fit. Je me faufilai à l'intérieur et courus jusque dans la cuisine. Je me penchai au-dessus du lavabos et me forçai à vomir. J'avais pris conscience de tout ce que j'avais fait. De ce qu'il m'était arrivé.

Tala AnabaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant