Penumbra

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Simon n'écoutait pas d'une oreille attentive les tirades inutiles et barbantes des professeurs préférant s'intéresser aux petits dessins qu'il créait sur sa feuille ; des gribouillis insensés représentant des âmes déchues. Du moins, de la manière dont James lui avait raconté. Malheureusement, cela l'attristait un peu car il passait ses journées à fréquenter la mort. Mais littéralement. Il voyait l'épée qui se tenait au dessus de la tête de la masse informe formé par la ruée d'élèves s'enfuyant de l'école à quatre heures pile. Plus leur fin de vie approchait plus l'arme blanche se rapprochait de leur crâne. Et un beau jour, elle les transperce et ils meurent, foudroyés ; bien souvent la mort est inattendue, elle arrive sans crier gare ou bien même aéroport et elle arrêtait le cœur de la personne concernée. Simon aimait bien les shinigamis, si l'on prend d'énormes raccourcis on peut les considérer comme des démons japonais, prenaient les âmes des gens mais il savait que c'était faux ; la mort est un éclair noir et obscur qui décide d'attaquer en manipulant les autres, la mort se transmet tel un virus, elle saute de personne en personne et parfois y laisse même des maladies. Parfois elle décide de juste donner un léger rhume et parfois elle décide d'y installer un cancer. La mort est capricieuse, il ne faut pas la négliger, elle est aussi omniprésente que la vie. D'ailleurs, la vie est tellement faible face à la mort ; cette dernière gagne toujours ! Le coup est joué d'avance, quelqu'un aurait beau lutté, dès sa naissance, il a signé son arrêt de mort. Finalement, un anniversaire n'est que le symbole d'une épée dangereuse s'apprêtant bientôt à exécuter l'ordre de son supérieur. Enfin, de ses supérieurs. 

12-06-2045

Simon et ses amis ont décidé de ne plus l'appeler "La Mort" ou "La Grande Faucheuse" mais "Thanatos", sonnant déjà beaucoup mieux et correspondant beaucoup avec ce qu'elle est réellement. "La Mort" est un terme trop restreint et "La Grande Faucheuse" est beaucoup trop symbolique. 

30-04-2068

-Simon ?

-Hum oui pardon, excusez moi madame.

Madame Megis soupira.

-Je demandais quand allais-tu me rendre ton devoir sur le thème que tu as choisi. Tu sais que je suis gentille mais j'espère que tu n'en profites pas trop. Si la prochaine fois tu ne l'as toujours pas, je serais obligée de te mettre un zéro !

Le garçon se crispa.

-Hum oui madame, d'accord.

La professeur se mordit légèrement la joue et se retourna vers le tableau. Depuis la mort de Dirk, elle avait énormément changé. Comme à peu près tout le monde d'ailleurs. L'élève qui a trouvé le cadavre ne va plus à l'école depuis un mois ; il avait fallu longtemps à la cellule scientifique pour trouver qui était la personne sur le sol. Si on peut appeler ça une personne bien évidemment. Décrire la scène du crime n'est vraiment pas facile car il est presque impossible d'accorder quel partie du corps va avec un des morceaux de chair. La seule chose que l'on puisse réellement dire c'est que la personne qui a assassiné était extrêmement violente et probablement dérangée mentalement. Ou au moins psychopathe. 

17-11-2032

Du moins, c'est ce que toute personne normale dirait. La théorie de l'assassin avait d'abord été mise de côté ; les attaques portées ne pouvaient provenir d'une créature. Cette théorie a été confirmée à l'aide de nombreuses preuves. Mais Simon et ses amis savent exactement qui est le meurtrier derrière tout ça. Et ce n'est ni un animal ni une être humain. C'est quelque chose de bien plus puissant et mystique. Après des fouilles intensives, ils en sont venus à la conclusion que la "chose" ayant commis cet acte s'apparentait plus à un wendigo qu'autre chose. Une créature constamment rassasiée mais mourant de faim. Sans oublier qu'elle est cannibale.

01-01-2051

Ses amis étaient sur le coup depuis longtemps ; avant, le meurtrier était beaucoup plus méticuleux, il tuait ses victimes de manière beaucoup plus précautionneuse et agile. Maintenant il tuait en déchiquetant et en mutilant. La "chose" devenait de plus en plus hargneuse, représentant un danger bien pire que n'importe quel psychopathe. C'est ce qu'il s'est dit lorsque il était avec ses amis.

27-01-2034

D'ailleurs, un de ses amis avait commencé à lui caresser délicatement la jambe. Ils se retournèrent tous les deux et leur regard ne signifiait qu'une chose, leur âme était assemblée pour ne plus former qu'un être uni. Dans leurs yeux on pouvait aussi y lire la fougue de la jeunesse ; celle qui a envie d'expérimenter les relations tabous, qui a envie d'explorer mais qui reste pataude avec sa sexualité. Mais là, ils n'avaient aucun problème. Leur sexualité était pleinement affirmée et avaient déjà exploré tous les recoins du plaisir naturel. Ils s'étaient accordés pour ne jamais le dire à qui que ce soit ; alimenter le cliché des homosexuels uniquement intéressés par le sexe n'était pas la meilleure des solutions. Ils préféraient ne pas trop s'exposer et rester discret. Mais un beau jour, ils en ont eu marre. Tous leurs réseaux sociaux transmirent l'information telle une épidémie. Au Moyen-Âge, elle aurait déjà tué une majeure partie de la population française. Des faux sourires et des faux cœurs trônaient dans les commentaires de la photo où ils étaient tous les deux heureux, Simon en avant plan et James dans le creux de son cou l'enroulant de ses bras fins, laissant voir son minuscule tatouage de colombe. Cliché certes, mais magnifique. C'est l'une des rares photos où ils sourient ; ils l'avaient perdu depuis longtemps. Leur enfance avait été parsemée de rendez-vous chez le psychologues, de médicaments indigestes, de séances de thérapie intensives et de crises de panique soudaines. Leurs parents croyaient qu'il s'agissait d'une folie passagère, des enfants handicapés où juste fous, ça existe. Mais Simon, James et David, eux, connaissent dorénavant la véritable raison de tout cela. À cette époque, il ne possédait pas encore la capacité à maîtriser l'au-delà. Maintenant qu'ils savent, leurs parents pensent qu'ils vont mieux, que c'était juste une enfance difficile.

18-03-2043

En dessous de la photo les montrant heureux, des personnes en quête de personnalité écrivaient "Bonheur <3" alors qu'ils n'en pensaient pas un traître mot. Étrangement, cette image avait ravivé un peu d'égo aux deux garçons. Simon ne se définissait plus comme le gros de service, faible et mou. James ne se considérait plus comme la gars mentalement perturbé qui ne pense qu'à se suicider. D'ailleurs, ça, ça ne lui était jamais venu à l'idée. À aucun des trois. Ils ont passé toute leur vie à côtoyer la mort et ils savaient bien qu'ils ne passeraient pas leur mort à côtoyer la vie.



Ad BaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant