Inebriat

98 8 0
                                    


Victor s'éveilla, comme s'il venait de recevoir un coup dans la nuque. Au début, il ne comprit pas lorsqu'il vit la classe vide, l'horloge bruyante continuant de tourner. Il se retourna et vit la présence de son professeur de sciences, imposant une mine grave sublimée par des cheveux blonds et parfaitement bouclés. Le garçon le regarda pendant un long moment, le fixant dans les yeux. Sa mère lui avait clairement dit ça : "Il faut que tu arrêtes de regarder ailleurs quand on parle, il faut que tu regardes dans les yeux !" 

-Ça va hum... Sam ? 

-Victor. 

-Ah oui. Victor. Tu as passé les dix dernières minutes du cours à tout sortir de ton plumier pour les aligner en face de toi et même lorsque ça a sonné, tu as continué. Au début, je n'osais pas te déranger, mais maintenant, tout le monde est parti. 

L'adolescent fut saisit d'une panique mordante. Il tressaillit et tenta de balbutier des mots. Malheureusement, au lieu de les balbutier, il les dit parfaitement comme ils étaient dans sa tête. 

-Monsieur, désolé, mais votre cours était tellement inintéressant, ne le prenez pas pour vous, c'est ma faute. De plus, je suis vexé que vous ayez oublié mon nom. 

-Victor... 

Comprenant toute l'ampleur de son erreur, il recula et rangea maladroitement les affaires scolaires classées méthodiquement sur son banc. Il les avait classé en fonction de leur taille et leur couleur : Il avait commencé par tout ce qui était rouge. Il y avait placé alors son petit crayon rouge, ensuite venait son marqueur rouge et pour finir un indélébile rouge foncé. Les couleurs brunes manquant à l'appel, le jaune vint tout de suite. Un vieux bic jaune saupoudré de petites paillettes violettes qu'il avait reçu en cadeau il y a exactement huit ans, alors qu'il n'était encore qu'un jeune enfant perturbé, offert par sa tante pour on ne sait quelle raison, probablement le prenait-elle pour un fan des paillettes violettes sur des bics jaunes. À la gauche de l'horrible -mais utile- stylo bille couleur vomi (Et saupoudré de paillettes !) se tenait un gros et long surligneur jaune d'une couleur radioactive dont Victor appréciait les relents toxiques qui émanaient du bout fluorescent. Logiquement, le vert aurait dû se tenir à côté du jaune, mais il en avait décidé autrement, sa conception des couleurs étant bien différentes de celles qu'on à l'habitude d'attribuer. Il y avait donc étalé toute sa panoplie de crayons gris de différentes tailles, chacun prouvant la longévité dont ils ont été affublés. Le plus petit faisait atrocement mal au garçon, mais il l'utilisait souvent car lorsqu'il était perdu dans les recherches intensives le nez dans sa trousse, c'était le premier à s'y extirper. Le suivant était quant à lui très ancien ; depuis ses primaires, il se le léguait. Lorsqu'il y pensait, il se disait que son unique héritage serait ce magnifique mais presque inutilisable bâton grisonnant. La gomme installée au bout était d'ailleurs toute usée ; seul le contour métallique avait survécu aux coups violents de poignet sur le papier qui, généralement, terminait froissé et selon les dires des professeurs au piètre vocabulaire "Un truc de cochon !". Les deux crayons suivant faisaient à peu près la même taille, une seule chose était réellement capable de distinguer leur achat ; l'un possédait une gomme parfaitement blanche et lisse alors que l'autre était légèrement courbé et que des salissures noires régnaient en maître sur la majorité du crayon. À la droite de ceux-ci, la couleur verte arrivait enfin, posant fièrement leur aspect forêt au grand jour. Le garçon abhorrait cette couleur ; non seulement elle lui rappelait ces horribles cauchemars et visions, mais en plus, le vert était souvent associé aux pommes, fruit qu'il haïssait au plus haut point pour une raison tellement ironique que même lui n'avait pas réussi à discerner et à expliquer. Comme la majorité de ses sentiments au final, son incapacité à expliquer concrètement ses maux et ses émotions l'avaient toujours relégué au rang de marginalisé mais sans pour autant être timide, juste complètement stupide, voire autiste. Il aimait naviguer sur le net ou lire des encyclopédies pour réussir à mettre un mot sur ses pathologies, mais à force d'y réfléchir, il avait fini par décréter qu'il avait un syndrome quelconque à la naissance et qu'il avait simplement été aggravé lorsque la Bête avait commencé à communiquer avec lui. D'ailleurs, il ignorait totalement d'où venait la mélodie qu'il connaît et qu'il arrive à chanter. De vagues souvenirs de lui assis dans son jardin, contemplant le ciel estival rempli d'étoiles où les vacanciers voyageaient à travers les avions pour rejoindre des destinations probablement exotiques, pour profiter de la mer au bleu sublime et au sable d'une chaleur inexorable. Il profitait de l'air nocturne envahissant ses narines, le lourd bourdonnement des hannetons volant à toute vitesse et dans tous les sens. Il les voyait tourner et tourner, eux aussi profitant des plaisirs de l'air estival, frais et pourtant encore chargé de chaleur, les rares nuages n'entravant pas les rayons de la lune qui semblaient protéger la ville de manière sécuritaire, comme si de là où elle était elle veillait et observait les moindres mouvements de la population en contrebas. Elle scrutait probablement aussi les gros insectes apathiques traînant dans l'herbe légèrement mouillée. Le garçon se rappelait à quel point, ces instants de solitude, de bonheur proche de la nature et de la chaleur cosmique lui plaisaient. Maintenant, son père est mort et sa mère est devenue folle, lui aussi par transmission probablement. Il n'avait toujours pas compris pourquoi il avait essayé de lui tirer une balle dans la tête alors qu'il avait déjà assez vu de morts atroces défiler devant ses yeux, et il acceptait encore moins l'idée qu'il ait réellement embrassé sa figure maternelle. Plus cette idée resurgissait, plus il avait du mal à la prendre en compte. Quelle folle idée s'était éprise de ces membres et de son esprit jusqu'à embrasser plus étroitement sa propre mère alors qu'il la menaçait de mort par les gestes et qu'il lui avait déjà préparé une sépulcre au fond des bois ? Il pensait à cet instant où la Bête était dans les parages, à détruire la vie et à maudire celle de l'enfant, certainement invoquant de nombreux autres esprits pour agrandir l'armée qu'elle s'était donnée comme but d'accroître dangereusement. Il se surprit à faire remonter les sombres souvenirs qu'il s'était donné comme ordre de ne jamais ressasser. Malheureusement, la tentation de délirer une nouvelle fois à propos d'un acte qui avait probablement été mal interprété par sa mère, celle-ci étant devenue nettement plus protectrice depuis ce léger "incident" où la neige avait commencé à déferlé sur la ville entière, comme une sorte de symbolique que les éons avaient annoncé par l'arrivée de ces eaux cristallisées tombées du ciel. À côté de la couleur verte se trouvait le bleu, sur trois déclinaisons différentes. Bleu azur pour le plus usé, bleu pastel pour le plus pratique et bleu foncé pour celui qui est fort pratique. Pour finir cette rangée de couleurs bleutées dans la limite du possible, les couleurs préférées de Victor se dressaient de manière rangée le mauve, l'indigo et le violet. Il ne prêta pas attention au surligneur fuchsia en extrémité de rangée : tous ces ustensiles d'écriture rangés en rang d'oignon lui donnait l'impression que les bouts ne comptaient pas, que seul l'intérieur était réellement intéressant, un peu comme si le contenu d'un livre était plus plaisant qu'un couverture ou un quelconque résumé apéritif généralement hasardeux et bourré d'approximations burlesques. L'adolescent trouvait cela abject que les professeurs obligent leurs élèves à écrire des résumés stupides alors qu'au lieu de faire cela, il valait probablement mieux leur apprendre à structurer correctement une phrase. Car "le bateau se largua", même poétiquement, laisse plutôt dubitatif. Même si le garçon avait une sacrée dent envers l'institution et la majorité des personnes qui enseignent leur savoir sans intérêt, il trouvait que le métier de professeur était un travail sacrément ingrat que seul les plus courageux pouvaient choisir. Si déjà Victor n'arrivait pas à supporter des personnes de son âge juste parce qu'ils avaient décidé de parler un peu trop fort et d'affronter amèrement l'autorité, il imaginait mal les adultes ayant face à une classe remplie et un peu trop grande pour eux, tentant avec confiance de leur apprendre des choses que, Victor l'admettait parfois, pouvaient être utiles. Mais le pire dans cette profession devait être lorsque les élèves se croyaient à une bacchanale orgiaque où celui qui n'y met pas du sien dans cette danse infernale de qui fera s'égosiller la remplaçante du professeur strict que personne n'appréciait, tout en défiant certaines règles avec une lueur de rage dans le regard qui échappe à Victor. Auparavant, il se demandait pourquoi ils agissaient tous ainsi. Où était le plaisir de manquer de respect directement à quelqu'un sans raison particulière, juste par perversité humaine ? Depuis qu'il avait agit bizarrement avec sa tendre mère, il commençait à peu près à comprendre ce qui les poussait à faire cela. Au lieu de menacer leur parent avec une arme qu'ils avaient retrouvé dans le tiroir de l'ancienne chambre de leur grand-père, ils menaçaient les figures autoritaires de l'école avec une arme naturelle qui leur avait été donnée à la naissance et plébiscitée par l'éducation des parents. L'orgueil. Victor lorgnait les trois feutres aux couleurs rouges et bleues et songeait aux éventuelles rapport cognitifs que ce matériel arrivait à faire naître au sein de son esprit, l'invoquant dans une spirale infernale de troubles souvenirs biaisés par une vue subjective et surmontée d'une légère haine. Il essayait de comprendre comme son esprit fonctionnait depuis son plus jeune âge, se demandant si la poursuite de la créature démoniaque qu'ils appelaient, depuis la transition de l'enfance vers l'adolescence, la Bête, était due à un quelconque problème psychologique tel un autisme. Sa mère avait toujours réfuté cette théorie, ne supportant pas que son propre fils né d'une union unie par les liens du péché puisse être différent, dans le sens mental, car ça il était différent, et elle le savait en tout point, mais n'osait se bouger pour... 

Ad BaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant