Pallidus Fractione

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-Madame, votre fils a vécu de nombreux traumatismes, je crains qu'une simple visite chez le psychologue lui suffise...

-Pardon ?! Ce n'est pas votre enfant ! Vous n'avez rien à me dire ! Viens mon poussin, partons d'ici ! 

Elle récupéra le bulletin de Victor et s'en alla, enragée. Elle claqua la porte, attirant les regards curieux des adultes et adolescents attendant dans le couloir. Le professeur était bouche bée, sur sa chaise, n'ayant compris ce qu'il venait tout juste de se passer. 

Victor faisait profil bas, tentant d'éviter les regards hauts et remplis de jugement. Il pouvait entendre les ricanements. 

J'ai envie que l'on s'en aille.

Ils arrivèrent à la voiture. Alors qu'elle l'ouvrit, il prit place sur la banquette avant. D'abord, la mère fut surprise, mais ensuite, elle s'assit au volant, toute souriante.

-Je suis contente que tu veuilles enfin venir près de moi, devant, comme les grands garçons. C'est bien mon poussin ! On avance.

-Dis maman... comme mon bulletin était plutôt bon, on pourrait aller à un endroit s'il-te-plaît ?

-Hum... oui bien sûr, où ça ? 

-Au parc Mallié. S'il-te-plaît.

-Hum... d'accord. Effectivement, ton bulletin était bon, donc je pourrais au moins faire ça, oui. Mais là, tu m'intrigues tu sais ! 

Le trajet jusqu'au parc fut parsemé de questions gênantes venant de sa mère, essayant de lui extirper des informations pour trouver ses faiblesses et les exploiter. 

La voiture vrombissait et hoquetait. Victor avait peur que le moteur fasse faux bond ou encore bien que l'essence vienne à manquer. De nombreux et différents scénarios se bousculaient dans sa tête, pris en otage par son subconscient. 

Pour une fois depuis longtemps, il ne pensait absolument plus à la Bête et à son armée spectrale. Même s'il ne doutait pas que la créature pouvait se tenir sur la banquette arrière, les jambes repliées et entrelacées. L'idée du Monstre assis à l'arrière, attaché avec une ceinture, son petit sac rempli de cours situé à côté de lui, fit beaucoup rire l'adolescent, laissant un peu d'air s'extirper de ses narines, occasionnant par là l'attention de sa curieuse mère.

Il la regarda discrètement, observant son visage embelli par la lumière et, malgré cette lumière trompant le temps, faisant passé la neige pour de la vulgaire pelouse blanche, le garçon trouvait sa figure maternelle affreuse. Il ne regrettait pas ce qu'il comptait faire. 

Il se souvient de l'article d'un garçon ayant tué sa mère. Comment s'appelait-il encore ? Jason, Josh ? Il ne se rappelait plus du nom du meurtrier mais peu importe. L'adolescent qui se droguait avait décidé de mettre de la drogue forte dans l'un des plats qu'il avait gentiment préparé pour sa mère. Il avait également préparé une coupe de champagne qu'il aurait rempli plusieurs fois selon les autorités. Pour couronner le tout, et probablement pour être sûr d'achever sa mère, il glissa quelques somnifères dans la boisson alcoolisée. Heureusement pour lui et malheureusement pour elle, elle ne s'est rendu compte de rien et à tout avalé. Il ne lui a pas fallu longtemps pour mourir d'après les scientifiques. 

Mais Victor ne comptait pas y aller de cette manière. Le mec qui avait drogué sa tendre mère était un psychopathe et un pervers. Il a poussé de nombreuses personnes au suicide, il a même violé certaines filles et il a commis des meurtres aussi directs qu'indirects. Pour finir, l'adolescent a été retrouvé enfermé dans son ancienne maison qui était inhabitée depuis qu'ils en sont partis, le bras gauche complètement ouvert, entaillé en deux. D'ailleurs, cela a suscité beaucoup de questions car le médecin légiste ne trouvait pas normal que quelqu'un puisse survivre aussi longtemps en se coupant le bras et les veines. Même l'autopsie n'a en rien aidé à la raison. Probablement un des nombreux mystères de l'anatomie du corps de l'être humain. Au sol, en plus de son cadavre, gisaient des feuilles où il témoignait de tous ces meurtres et de sa douloureuse descente aux enfers, la drogue, l'alcool,... pour en finir là où il en était ; fait comme un rat, obligé de se terrer. Apparemment, ce serait pour cela qu'il s'est suicidé, même si personne n'est sûr de ce qui pouvait se passer dans sa tête. Qui aurait pu, de toute façon ? 

Même si Victor ne se sentait pas concerné par le jeune assassin, il ne pouvait s'empêcher de leur trouver des points communs. Personne ne pouvait deviner leur malheur ; même les plus grands mots ne pouvaient définir ce qui le contient, même les plus grandes angoisses et les plus gros chagrins sont minuscules par rapport à tout ce qu'il avait déjà vu. Peut-être que pour le comprendre, il fallait comprendre et cerner parfaitement le concept de l'horreur ; probablement que là, quelqu'un pourrait avoir une idée de ce qui le taraude sans cesse.

-Nous sommes arrivés. Eh bien, il n'y a personne ! En même temps, quel enfant normal voudrait aller au parc Mallié ?  Il y a de nombreuses mauvaises rumeurs qui circulent. Mais je suppose que tu es grand assez pour savoir ce que tu dois faire. 

-Ouais, quand ça t'arrange.

-Pardon mon poussin ? 

-Rien maman. Trois fois rien.

-Voilà, c'est bien. Bon, je te laisse, j'ai des choses à faire à la maison moi ! 

-Maman...

-Quoi ? 

-Je vais descendre et tu descendras avec moi d'accord ? 

Elle le regarda, l'air bovin. 

-Mais quel attardé ma parole ! Je pensais que tout allait mieux, mais là, tu viens de me prouver que je m'étais trompée. Et je n'aime pas me tromper, tu le sais bien ! 

-Maman, je ne suis pas attardé. Tu es juste une grosse conne. 

-Pa...pardon ?! 

-Ouais. 

Soudain le garçon sortit inopinément un pistolet de son sac posé à ses pieds. Il le pointa sur la conductrice, les mains tremblantes, les yeux fous.

-J'en ai marre maman, j'en ai marre. Je sais que je ne suis qu'un péché. Je le sais ! Je sais que mon père ne voulait pas de moi et que c'est pour ça qu'il est parti et que toi tu es restée car tu avais peur du regard des autres. Tu as fait semblant de m'élever correctement, tu me montrais comme un enfant bien élevé et HP, alors que derrière, c'étaient coups de ceinture et insultes. Tu crois que c'était plaisant pour moi maman ? Tout cette haine que tu véhiculais à mon égard ne m'a jamais aidée. Les séances chez le psy c'était juste un moyen pour toi de ne plus voir ma sale tronche, ça, je l'ai rapidement compris. 

Tu disais que j'étais un con mais que je n'étais pas malade. Tu me faisais répéter sans cesse des choses auxquelles je ne croyais pas. Tu n'as jamais accepté que j'amène des amis à la maison ! Tu savais très bien avec les appels du directeur et les sous-entendus des profs que j'avais énormément de mal à m'intégrer et tu essayais toujours de m'en empêcher ! Tu ne m'acceptes pas comme je suis, et pour un ado tu sais, c'est pas facile. Tu ne sais pas pourquoi je suis comme ça, car j'ai peur de te le dire car je sais que ça ne ferait que renforcer tes idées, et je n'en ai pas en-envie maman ! 

Je ne veux pas que tu hurles sans cesse auprès de ceux qui me font du mal, laisse-les faire ! Je m'en fiche d'avoir mal, je vis ainsi, la douleur ne m'offusque même plus. J'ai l'impression qu'avec toi, je n'ai pas le droit de ressentir les émo-mo-motions que je veux. Quand j'étais petit, je te croyais quand même un peu, je me disais que j'étais une erreur, un raté. Alors je me suis défini ainsi, j'ai grandi en pensant ça. Mes problèmes et tes horreurs ont donné ce que je suis aujourd'hui. Je pense que si tu avais été une bonne mère, je pourrais être la personne que je veux être, je pense que j'aurais pu arrêter de réfléchir à toi toutes les nuits, pour réfléchir à ma survie ! Sans toi ma-man, tout serait si simple... si seulement tu m'avais abandonné avant. Même si la famille dans laquelle je tombais n'était pas aimante, je sais bien qu'elle l'aurait été beaucoup plus que t-toi.

Elle regardait son enfant, terrifiée mais surtout choquée. Ses membres mous tremblotaient et ses yeux trahissaient sa peur profonde. Victor plaça droit son fusil vers le cœur de sa maman, sur sa poitrine. 

-Je te hais tellement maman, tu ne peux pas imaginer ! 

Il lâcha alors son arme, enlaça la femme et effectua un baiser langoureux avec la langue sur la bouche de sa mère. 

J'ai envie qu'il neige.

À l'extérieur de la voiture, la neige avait commencé à chuter sur le parc et sur les environs.

Ad BaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant