Umbra

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James avançait les yeux rivés vers l'avant, faisant craquer les feuilles mortes. Le ciel était gris et une brume légère l'enveloppait. Il entendait les soupirs lointains et le bruit des moteurs. Il s'était toujours demandé comme ces bois à l'air impénétrables pouvaient laisser entendre le bruit de la chaussée pourtant assez lointaine. Les oiseaux s'étaient tus et les blaireaux s'étaient terrés. La solitude pesante, James continua d'avancer, menaçant de trébucher à plusieurs reprises. Les racines grandissaient à une vitesse hallucinante, elles commençaient à s'enrouler autour de lui, mais il continuait à avancer, la sueur coulait sur son visage et ses yeux trahissaient sa peur, il serrait les dents et s'arrachait les lèvres, laissant ses bouts de peau morte se coller à ses dents. 

Soudain, son coeur se stoppa net. Le monde autour de lui s'effondra, les ténèbres se précipitèrent vers lui et pénétrèrent dans son corps rongeant ses os et corrompant son cerveau, son sang se transforma en huile et sa peau se décollant lentement laisse entrevoir son squelette. 

Nous avons besoin de lumière...

James se réveilla brusquement. La chaleur inhabituelle du mois de septembre l'avait fait transpirer, mouillant ses coussins et trempant sa couette. Il avait enlevé instinctivement son haut de pyjama, ne laissant plus que la moitié de son caleçon a découvert. Le jeune homme ouvrit les yeux et se tourna vers la fenêtre. Cela faisait seulement trois semaines qu'il était rentré au collège et la mort commençait déjà à être un choix plus que tentant. Il soupira et fixa la lune splendide, resplendissante par sa courbe parfaite et sa lumière pâle et douce.

Nous avons besoin de rêver...

Il ne voulait pas se lever ni même regarder l'heure car il se doutait qu'il serait toujours trop tôt. Il voulait continuer à contempler le ciel avec comme léger bruit de fond les criquets et parfois le bruit des moteurs des voitures faisant des passages nocturnes, la lumière des phares illuminant le reste du quartier. 

Nous avons besoin de parler...

Parler. Voilà bien une chose que James ne voulait pas faire. Il en avait marre de parler pour réciter des choses inutiles, parler dans le vide et ennuyer les autres. Ses cordes vocales étaient fatiguées et n'avaient plus envie d'agir, laissant ses doigts s'exprimer à sa place. En y réfléchissant bien, le jeune homme se demandait comment il aurait pu vivre si ses seuls deux amis n'avaient pas été là. Justement, il se demande comment il a réussi à surmonter sa timidité et à se faire des amis, il ne se rappelle absolument pas du jour où il a commencé à aimer parler aux autres. D'ailleurs, il pense que ce n'est jamais arrivé et que ce n'est qu'un gros mensonge, tout comme celui qui raconte l'histoire d'une personne heureuse. Rien que cela.

Nous avons besoin de nous éveiller...

Malheureusement, c'était ce qu'il devait faire s'il voulait continuer à les voir, pouvoir leur parler. La vie était douloureusement linéaire, remplie d'erreurs, de ragots et d'affabulation mais il devait la vivre pour, encore une fois, les voir. Il pouvait voir leurs formes sombres et difformes dégoulinantes, leur visage hideux tordu atrocement et leur sourire faussé, ce petit rictus intransigeant généralement s'étirant jusqu'à leur pupille, où du moins ce qu'il en reste, s'il en reste, bien évidemment. Il ne comprenait jamais réellement ce qu'ils lui disaient à cause de leurs cordes vocales rongées ou mal placées. Parfois, il arrive que certains d'entre eux n'aient même pas de gorge ne leur permettant de communiquer que par expressions faciales bien souvent indéfinissables. Étrangement, il ne les voyait pas aujourd'hui, ces corps spectraux de la noirceur du plumage des corbeaux sévissant à Londres. James ne les avait pas vu apparaître et dans un sens, cela le rassurait profondément. Il adorait leur parler mais parfois, ils l'effrayaient. Leurs mimiques dérangeantes et leurs cris d'agonie lui faisaient souvent faire des cauchemars plus horribles les uns que les autres, exactement comme celui qu'il avait justement fait précédemment, les tentacules noirs le happant et le pénétrant de part en part pour aller se glisser jusqu'à son cœur et son cerveau afin de lui faire croire que les ténèbres sont la seule solution possible à sa vie misérable. 

Ad BaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant