Lil - Partie 1

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8 octobre
Écrire dans ce journal intime me rend folle. À quoi ça sert? Je lui écrivais pour une réponse, pour quelque chose. Pour que son écriture mal soignée et ses fautes d'orthographes immondes me reviennent en un clin d'œil. Pour que nous puissions rester liés, rester ensemble malgré l'immense distance qui nous séparait.
Putain... À chaque fois que j'y pense, tout ça me tue. Les explosions, les gens qui hurlent et qui courent, les mères détruites qui protègent d'un draps le corps de leurs progénitures défigurées par les coups. La pluie, le tonnerre qui gronde.
Je n'ai plus la force... putain, je vais te tutoyer, sale petit carnet de merde qui est censé remplacer Tom (ce qui est totalement impossible; mais la douleur est trop poignante, je suis prête à tout essayer). Je vais essayer de te tutoyer pour obtenir les mêmes conversations que j'avais avec lui...
Tu sais, je suis effondrée. Je sais pas, c'est même pas de la douleur, c'est un truc atrocement poignant qui fait vibrer tout mon corps. J'ai le ventre creux, puis les tripes qui remontent et qui descendent. J'ai comme le mal de mer, mais seulement en moi, dans tout mon corps et dans ma poitrine, tout cogite, tout cogne. J'ai des décharges électriques dans les doigts quand je fais le moindre mouvement.
Je ne sais pas à quoi sont dues toutes ces sensations trop présentes et trop dérangeantes. Au manque? À la faim, la soif? Non, de toute évidence, c'est bien plus profond que ça.
De la peur peut être. Oui. Une immense angoisse, terrifiante et trop forte, qui me noue la gorge à chaque instant passé seule.
Papa et maman sont allés aider leurs amis à se cacher, il y a plus d'un mois. Ils ne sont jamais revenus. Mamie Ann dit qu'ils ont dû se faire prendre par la police.
Et on sait tous ce que ça veut dire.
Je ne peux pas être effondrée. Putain, non, je ne peux vraiment pas. Tu vois, j'essaie d'oublier le manque et la souffrance qui entourent cet événement, j'essaie de le repousser le plus loin possible de moi même, de toutes mes forces. J'essaie sans arrêt, parce qu'en ce moment même, avec la guerre, et la famine, je ne peux penser à rien d'autre qu'à moi et mamie Ann.
À nous. À notre survie.
Tout est trop intense et dévastant. Je ne suis pas quelqu'un de fort. Je ne suis pas comme Thomas. Thomas est fort... je le sais. Quand je l'ai rencontré, sur ce forum crasseux pour ados de 14 à 17 ans, je n'arrivais pas à tirer quelque chose de lui, je n'arrivais pas à percer sa carapace. À réussir à le connaître.
Mais lorsque j'ai enfin pu, j'ai découvert une grande tristesse, dénuée de tout sens, une immense colère et une révolte sans nom pour tout et n'importe quoi.
Tu sais, quand on ne te dit jamais à quel point tu es capable de grands trucs, tu finis comme ça.
Comme Tom. Un peu méchant, carrément aigri, et totalement et entièrement perdu. Mais je sais qu'il est gentil, que son cœur est fait de diamant pur et brut...
Mamie Ann ne va peut être pas tenir l'hiver, avec cette grippe avancée qu'elle a attrapé. J'essaie de la guérir avec les comprimés que je vole sur notre Tas de nourriture, mais ils n'ont pas l'air de fonctionner. Ils ne sont sûrement pas assez forts, et peut être périmés. Ça expliquerait beaucoup... j'essaie de sauver sa peau, mais il me semble que je suis en train de tout aggraver.
Ça a toujours été comme ça - j'essaie de faire du mieux que je peux, mais je foire un peu tout. Je ne suis pas douée pour ce genre de choses...
J'étais douée avec lui, pour le motiver, pour l'aimer. Mais avec les autres, pas le moindre du monde.
Je me suis tant enfermée dans ma bulle avec Tom et mes parents. Et réaliser que j'ai perdu les trois provoque une douleur si intense en moi, un sentiment fort, chaud, puissant et qui se répand dans mes veines, à m'en faire perdre la raison.
Je ne suis pas assez forte pour gérer tout ça en même temps. J'ai besoin de quelqu'un mais je n'ai plus personne.
Aïe. La douleur revient à grand pas... je ne me l'était jamais avoué, mais c'est la pure vérité qui croupissais dans un coin de mon esprit depuis si longtemps... Je n'ai plus personne.
Je devrais te laisser, parce que des larmes chaudes et translucides coulent sur mes joues en ce moment même. Mais j'ai tant besoin d'écrire.
Depuis mai, j'ai gardé le silence, sans jamais rien dire, gardant tout sur mes frêles épaules. Mais là... c'est trop. C'est trop violent, trop tout.
Je fais du mieux que je peux mais je sais que l'inévitable va se produire... je le sais et j'en suis persuadée.
J'ai besoin de rejoindre Tom au Nord. Là bas, les attentas sont beaucoup moins violents et dangereux.
Avec l'Ouest, je suis dans la région qui craint le plus.
Bordel ! C'est si égoïste de ma part. Mais j'ai besoin de sauver ma peau. Je ne peux pas me résoudre à mourir, j'ai déjà tout perdu, et je n'ai rien d'autre à faire que de penser à ma survie.
Et mon instinct et ma conscience me crient chaque jour plus fort de m'en aller.
Je suis installée en campagne, là où les obus ne m'atteignent pas, mais ça ne saurait tarder. Tout ça empire de jour en jour...
Le manque que m'à laissé mes parents et si insupportable. Et je sais que Tom à été séparés d'eux. J'ai reçu ses quelques lettres, mais maman m'avais interdit de les lire... Elle pensait qu'on se ferait chopper puis qu'on me butterait.
Mais je n'aurais pas dû l'écouter, parce que le résultat des courses est inversé. Et puis je n'ai plus de nouvelles de Tom alors que j'en ai trop besoin.

Mamie Ann est trop malade. Je vais l'amener à l'hôpital tout à l'heure, même si Dieu sait à quel point c'est dangereux. Ils s'occuperont d'elle avec des vrais médocs.
Je ne sais pas quand je partirai. Mais la situation empire.
Bordel, ça fait tellement du bien d'écrire! Je n'avais plus touché à un stylo depuis une plombe.
Il faut que je parte, mais c'est dur pour moi de m'y résoudre. Je sais que c'est la meilleure chose à faire, mais le seul moyen abordable est de se cacher dans un train de munitions (très mauvaise idée. Si une bombe est défectueuse où que je fais tomber une grenade par terre sans faire gaffe... Je suis trop maladroite pour ce genre de plans) soit je traverse la grande forêt du Nord. Elle devrait se transformer en champ de bataille dans les mois qui viennent, alors je dois absolument profiter de l'occasion.
Je n'ai jamais été aussi stressée de ma vie.
J'essaierai de le retrouver, mais il y a un problème majeur qui me tracasse...
Tom ne m'a jamais dit à quoi il ressemblait, je ne sais pas qui il est.
Comment vais-je me démerder putain?
Oh Dieu, si vous existez, entendez ma prière, je vous en conjure. J'aimerais tant rencontrer Thomas. Qu'on vive cette guerre ensemble, que j'aie quelqu'un sur qui compter. Je n'ai plus personne à mes côtés, mais je sais qu'il me reste Tom.

Alors, Dieu, peux tu faire en sorte que je le retrouve?
Lil

Lettre par lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant