Tom et Lil

32 2 8
                                    

-Et alors, comment ça se passe avec Lil?
La musique est forte, les gens crient et un flot de paroles intarissable se fait entendre. Je me fais vraiment chier, ici. Je suis décidément beaucoup mieux quand je suis tout seul. L'introversion, c'est moi.
Je regarde Samuel d'un œil mauvais. "Comment ça se passe avec Lil?" "Elle va bien, ta copine?"
C'est toujours pareil, c'est le même disque rayé qui se répète en boucle sans jamais s'arrêter. Le même disque chiant et qui me fait sentir comme une merde à chaque fois. Comme un pauvre type sans importance. Les gens se soucient de Lil, mais on ne me demande jamais si je vais bien.
De toute façon, ça ne servirai à rien de me poser la question: je mentirai. Je n'ai pas besoin de la pitié des gens, et il est évident que je ne vais pas bien. Ça va tellement mal que même elle se voile la face. Elle fait comme si c'était juste éphémère, mais Dieu sait que ça ne partira pas comme ça.
C'est tout le truc, quand tu souffres, et que ça te donne envie de dégobiller tant la blessure est laide, la planète entière t'abandonne.
On dirait que tout tes proches ont peur que tu les entraîne dans ta merde, alors ces lâches te laissent tout seul. Le pire dans cette histoire, c'est qu'il n'y a que leur aide qui te ferait sortir de là.
Mais la vie est injuste; comme ceux que tu aimes ont peur de toi et de ta détresse, ils s'écartent et te laisse croupir. Jusqu'au jour où ça ne va plus et où tu t'épuises tant que tu ne peux plus te relever. Ce jour là, c'est aujourd'hui.
Alors je rassemble toute la force qu'il me faut, et j'assène, d'un grand coup, histoire d'en finir:
-Ça va, normal.
Sam fronce les sourcils. Quel petit merdeux! Il va continuer son interrogatoire. Forcément, Lil est sa meilleure amie.
Ça m'exaspère. Elle ne pouvait pas se contenter de m'avoir moi?
Je n'ai aucun ami, et elle, tout le monde l'aime et se soucie de son bien être.
Putain, c'est vraiment une mauvaise soirée. Je me sens trop mal, j'ai mal.
Ça n'est pas un mal qu'on pourrait faire passer avec un Doliprane ou une Aspirine. C'est une douleur froide, qui monte dans mon ventre et qui me fait mal au cœur. Comme des milliards de petits canifs qui se dressent et se plantent dans ma cage thoracique. Une douleur vibrante qui se manifeste en petits coups, et j'ai tellement envie d'hurler. Ou de pleurer. Mais j'ai des fourmis dans les jambes, j'ai besoin de m'en aller. Ici, c'est pire que l'enfer.
-Elle ne m'a pas dit la même chose. Tu veux en parler?
Évidement qu'elle n'a pas dit pareil. Je regarde mes pieds. Je me sens faiblard, au milieu de toute cette agitation et tout ces rires. C'est con, mais réaliser que tout le monde est heureux alors qu'on ne l'est pas, ça t'enfonce encore plus.
-Non... (Soudain, je suis en colère. J'ai envie de lui péter la gueule, à faire le pigeon voyageur entre Lil et moi. Et j'ai envie de hurler sur Lil, aussi. Pourquoi es ce que tout le monde prend sa défense sans arrêt? Je ne mérite pas d'être aimé?) Non, tu sais quoi, ça ne sert à rien, parce que t'es un connard, et comme tout les autres tu vas te ranger de son putain de côté. Ok, c'est bon j'ai compris. Tout le monde l'adore, mais tu veux la vérité?
La musique s'est arrêtée et ces pigeons se sont tous regroupés pour nous regarder. Ils sont attroupés autour du canapé en tendant l'oreille. Lil ne doit certainement pas être loin, d'ailleurs. Elle doit être en train de parler à son million d'admirateurs. Sa nuée d'abeilles attirées par son pollen trop sucré.
Le poison se propage sous ma langue à mesure que je parle.
-Ça la rend fade que tout le monde l'adore. Elle est devenue tellement ordinaire qu'ici, c'est la putain de reine des abeilles, les gens crèveraient pour elle. Ça me donne quelle utilité, alors? Son disciple préféré? Je n'ai pas de rôle spécial. Tout le monde l'aime de la même manière que moi tant elle est désirée et adorée. Putain de merde, ça ne me ressemble pas de suivre la masse! Je veux pas être quelqu'un d'ordinaire dans sa putain de vie parfaite en carton! Maintenant bouge de là, j'aimerais dégager.
Je lui balance mon verre dessus.
Et je m'en vais, en bousculant tout le monde, en en poussant quelques uns contre le mur.
-On peut savoir à quoi tu joues?
Si elle essaie de me donner une leçon, elle va se retrouver sur le cul. Personne ne m'arrête ce soir. J'ai trop d'adrénaline dans mon sang, trop de choses à hurler, trop de larmes à pleurer. C'est ma nuit de souffrance, ma nuit où je détruit tout. Ma nuit préférée depuis toujours.
Et bordel, je ne laisserai personne me l'enlever.
-À ruiner ma vie, Elizabeth.
Je m'allume une clope, j'ai le regard rivé sur elle. Elle n'a rien à voir avec celle que j'aime. Ça, c'est juste une pâle copie de ce qu'elle est vraiment. À force de faire comme tout le monde pour se protéger de ses problèmes et de ses cicatrices, elle est devenue la parfaite poupée en plastique de base. Toutes les couleurs et les belles choses que contiennent son âmes sont enfouies à un endroit où personne ne peut accéder. Pas même moi. Ça me fout hors de moi. Quand es ce que je serais assez spécial aux yeux de quelqu'un pour avoir accès à toutes ses facettes? Ça en devient fatiguant d'essayer de se persuader qu'on en vaut la peine, bordel de merde, surtout quand au final, ça n'est pas vraiment vrai.
La seule chose auquel j'aspire, depuis toujours, c'est d'être à la première place dans le cœur de quelqu'un. Pourtant j'ai eu beau essayer, encore et encore, sans jamais baisser les bras. Beau utiliser ma putain d'intuition (qui se révèle d'ailleurs être mon seul don) pour deviner ce dont ont besoin les gens et les satisfaire. Les rendre heureux.
J'ai eu beau me triturer la cervelle nuit et jour pour devenir important, pour être le numéro un dans la vie humaine d'un individu, les seules merdes que j'ai pu recevoir en retour sont infâmes.
"Non, t'inquiètes pas je veux pas en parler. J'en ai discuté avec ma meilleure amie, tu sais, je lui dit tout..."
"Ma meilleure amie, c'est quelqu'un que j'ai pour la vie"
"Mon meilleur pote m'a jamais laissé, si tu savais comme je l'aime"
Et pendant qu'ils déblatéraient tous sur leurs ami parfaits et qu'ils aimaient plus que leur putain de vie, je me noyais.
J'ai joué, et j'ai perdu.
Plus que perdre, je me suis fait décimer à force d'essayer.
-Tu me fatigues à jouer au con... sérieux, t'as vu comment tu parles à Sam? Quoi, c'est parce qu'en ce moment on est moins proches et que je passe pas ma vie à faire des éloges sur nous? Tu crois vraiment que...
Je l'arrête d'un geste.
-Dis moi, Elizabeth.
-Quoi putain?
Elle est exaspérée, et en colère. Comme si elle pouvait se le permettre.
-Je t'ai déjà dit que c'était difficile pour moi d'aimer. Putain, chaque je t'aime c'était dur à sortir parce que j'avais peur de me faire rejeter. Pourtant, je t'ai fais confiance, et au fil du temps, j'ai réussi à exprimer ce que je ressentais pour toi.
C'est le refrain de la chanson, on croirait que les baffles vont exploser. L'enceinte tressaute tant il y a de décibels autour de nous.
-T'as la place la plus importante dans mon cœur. Tu prends tout l'espace. Les autres j'men branle. J'aimerais dire que j'aime autant mes parents, mais non, même pas. J'aime ma mère. Mais c'est pas le même amour. Et c'est la merde, parce que toi t'aime la terre entière. Je sais que y'a des gens qui ont une place bien plus importante que moi dans ta vie.
Elle n'est plus en colère. Elle a la bouche grande ouverte.
-Le truc, c'est que j'en ai marre d'être dans cette situation à chier. (Je hausse la voix, je crie presque). D'être un sale couillon qui aime quelqu'un à en mourir, et pendant ce temps, cette personne n'en a rien a battre de ce que je ressens. Je suis juste Tom. Le mec gentil mais sans plus, celui qui est là à attendre qu'une place se libère.
-Mais...
-Laisse moi parler.
I'd be nothing, nothing, nothing, nothing without you.
On croirait que même la chanson veut me faire sentir à quel point je suis dans la merde. C'est de l'acharnement.
-Je veux vivre. J'en ai marre qu'on me blesse. Ça... Ça me paralyse, ça fait trop mal, c'est insupportable comme douleur. Avec ta vie parfaite, ça m'étonnerai que tu saches ce que ça peut faire. Pourquoi tu restes si c'est pour me faire autant de blessures? Tu ne crois pas que j'en ai déjà assez? Lil, tu sais que je vais mal. Je suis tellement mal. Je n'ai jamais été aussi bas dans ma vie de merde, c'est dire, parce que dieu sait quelles proportions ça a déjà pris. Je voudrais juste... Être important. Et aimé. Mais si tu ignores le problème, tu peux peut être juste t'en aller. J'en ai marre qu'on se débarrasse de ma souffrance et de ma dépression en un claquement de doigt juste parce que ça emmerde l'humanité de parler de choses sérieuses et graves. Bordel, personne ne fait rien!
Elle essaie encore d'en placer une. J'écrase mon mégot dans le cendrier le plus proche.
Je secoue la tête et j'attrape ma veste et mon téléphone.
-C'est ça que t'avais à dire? Des horreurs, comme d'habitude?
La race humaine est vraiment dure de la feuille. Elle n'a rien compris, elle joue l'imbécile.
Je décide de sourire histoire de la déstabiliser.
-T'es conne de jouer la débile alors que t'es si intelligente.
Je me retourne pour partir.
-Putain Thomas, reviens ici!
Elle essaie de faire l'autoritaire et ça m'énerve. Personne ne me retient. Je n'obéis à personne.
Elizabeth devrait être la première au courant.
Je fais volte face. Autant lui dire, qui sait ce que je ferais ce soir.
-Y'a un autre truc dont tu devrais être au courant. Si jamais je crève ce soir.
-Oh non. Dis pas des choses comme ça.
Qu'est ce que ça peut lui foutre de toute manière?
-Sache que tu m'as brisé le cœur. C'est comme un exploit; je n'aurais jamais pensé que ça se pourrait avec toutes les mesures de sécurité que j'avais mis en place pour que ça n'arrive plus jamais.
Je me retourne vers la porte et je l'ouvre en grand. La lune brille dans le ciel noir d'encre et j'ai soif d'amour. Mon cœur doit être aussi sec que le Sahara.
-Félicitations.
Je claque la porte derrière moi. Je sais à qui je veux parler.
Je me précipite vers la station de métro. Les gens autour de moi sont tous bourrés. Ils titubent et je me demande comment ça se fait qu'aucun ne soit encore tombé sur les rails.
Je me laisse tomber sur une des chaises en plastique jaune.

Lettre par lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant