Tom - Partie 1

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Je me suis levé. Il faisait gris et il pleuvait.
Quel jour étions nous, quelle heure était-il? Plus rien ne comptait désormais plus que la survie.
C'est difficile de réaliser qu'on a tort. Souvent on se voile la face; nous avions raison mais pas au bon moment, nous avions raison mais pas sur le même angle. Et vient le jour où nous ne pouvons plus mentir.
C'est difficile de réaliser qu'on est seuls au monde, que les autres ont disparu. Que tout ce que vous connaissez de la Terre c'est vous même. Que vous ne pouvez appeller personne en cas de danger. Que vous êtes seuls, entièrement et uniquement seul.
J'ai été un ado dépressif. Je le suis toujours, d'ailleurs. La chose la plus difficile fut de se comparer aux autres, d'accepter l'échec, de ne pas convenir. Je n'ai jamais plu aux gens. C'est une vérité comme une autre, mais c'est celle qui m'affecta le plus.
L'adolescence. Ce grand mot un peu tabou dont on parle peu. C'est comme une période de votre vie qui surligne et met en avant votre différence, vos faiblesses, vos défauts. L'être humain est quelqu'un de fier. C'est difficile de se mettre à genoux et de comprendre ces faiblesses qui sont réelles et que les autres voient chez nous.
J'ai toujours été l'ado dépressif, beaucoup trop butté, renfrogné, avec beaucoup de répartie. Très solitaire, associal, et un peu con sur les bords.
Mais j'étais comme ça.
Je pensais que cette routine serait toujours la mienne, et que je m'en sortirais, parce que j'ai et j'ai toujours eu une volonté d'acier, de ceux qui ne se démontent jamais, quels que soient les enjeux.
Mais l'égoïsme a toujours eu raison de moi. Je suis resté seul. Et en période de guerre, être seul n'est pas un avantage.
Surtout quand on a seulement dix-sept ans et qu'on sait à peine vers où pointe l'aiguille d'une boussole, par exemple.
Ma mère et mon père ne m'ont jamais beaucoup apprécié. Au moment où la guerre c'est déclarée, tout le monde a fuit, et dans la foule je les ai perdus.
Je ne sais pas si ils regrettent -je ne pense pas. On ne s'aimait pas beaucoup, je suis un de ces malheureux gosses qu'on a par accident, par une nuit un peu trop agitée. Je ne me souviens d'aucun souvenir heureux avec eux. Toujours en voyage, quelque part ailleurs.
Ma voisine et ma tante s'occupaient de moi. Mais ce fut tout. Je ne connaissais même pas l'anniversaire de mes parents. Je ne les connaissais pas.
Depuis la guerre, j'étais donc seul. Je regrette que ce mot n'ait pas beaucoup de poigne, parce qu'il devrait. La solitude... On se dit souvent solitaire parce qu'on aime rester cloitré chez soi, dans sa chambre par exemple. Mais la vraie solitude, celle qui fait que vous êtes seuls au monde et entièrement livrés à vous même, celle là, mérite un mot qui possède de l'ampleur, un mot fort, un mot capable de faire ressentir cette ambiguité.

J'ai regardé autour de moi. La cave dans laquelle je vivais n'avait décidément aucune gueule. Tout était renversé, sans dessus dessous, et je ne doute pas qu'il avait certainement des rats par ci par là. J'ai regardé Frank et Telma, les deux personnes qui m'avait hebérgé dans la cave de leur immeuble. Telma descendait les escaliers qui menaient ici, des vieux escaliers en colimaçon qui partaient en morceaux. Elle tenait dans la main une enveloppe.

Une enveloppe.
Le point négatif à être parti de chez moi était que même si elle m'envoyait des lettres, je ne les verrai pas. J'avais donné mon adresse à Telma, qui sortait tout les matins (les rues du Nord était encore sûres à cette époque) pour aller chercher au Tas de la nourriture.
Le Tas était un espèce de grand marché noir sur la place principale recouvert d'étalages de légumes pourris et de viande à moitié avariée.
On mangeait ce qu'on pouvait, mais beaucoup mourraient de carrence. La nourriture n'était pas assez variée.
"Telma?
-Oui?"
Telma était une petite femme, avec la peau plutôt matte, les cheveux bruns frisés et des yeux qui oscillaient entre le vert et le brun.
-Je me demandais... Je... Tu es passée chez moi pour regarder si il y avait du courrier?
Je suis désolé de te demander ça... Je sais bien que ce ne sont pas les priorités.
Frank m'a souri.
-J'y suis passée mon chou (Telma avait la fâcheuse tendance de me traîter comme un gosse) mais il n'y avait rien. Enfin si, il y avait une lettre mais elle était pour ta mère."
Je me suis mordu la lèvre. Toujours rien. Allait-elle bien?
"Je suis désolée, poussin. J'ai fait comme j'ai pu. Tu sais, la situation à l'Est n'est pas aussi cool qu'ici. Je pense sincèrement qu'elle s'en sort.
-Merci beaucoup Telma."
Je me suis assi dans un vieux fauteuil, à côté de Frank. Combien de temps allait-ce durer? Elizabeth. Je pensais sans arrêt à elle. Moi l'égoïste, je l'avais tant de fois négligée. Mais au fond de moi (et j'en avais la certitude) elle était la personne que j'aimais le plus au monde. J'avais tellement besoin d'elle, de sentir sa présence, de savoir qu'elle était là. Qu'elle était vivante, de savoir que quelque part près d'ici Elizabeth exisait.
Lil, ma Lil. Nos lettres, notre routine, ses mots rassurants qui calmaient mon sommeil bercé de cauchemars le soir. Tout ça me manquait bien plus que n'importe quoi.
Ce qu'il y a de terrible, dans le manque, c'est qu'on sait avoir connu cette sensation, qu'on peut s'en rappeller rien qu'en clignant des yeux, car on a vécu ou ressenti cette chose là. Qu'on sait pertinnement que dans cette relation, rien ne nous reviendra.
Que nous avions tout ça, mais que nous n'avions jamais réalisé.
Ça me tue. J'aimerais tant la savoir vivante. J'aimerais tant la voir.
Mais comment saurais-je que c'est elle, le jour où je la verrais?
Je ne sais pas qui est Elizabeth.
Pourtant je l'aime comme un fou, mais je ne sais pas qui elle est.
Voilà encore une chose sur laquelle j'avais tort: j'aime Lil.
Tom, 27 mai.

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