Tom - Partie 4

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-Thomas. Nous avons déjà parlé de ça la dernière fois... N'y a t-il pas d'autres choses en rapport avec la guerre dont vous voudriez parler? La guerre n'est pas un événement commun, c'est quelque chose de traumatisant et de définitivement perturbant par sa violence. Thomas, nous devons parler. Thomas, vous m'entendez?
Non, putain je n'entend pas. Je suis à dix mille kilomètres de vous et de votre psychanalyse. Je suis bien, là, à regarder par la fenêtre. Le ciel est noir, mais il penche vers des éclaircies d'orange vers le bas. Il va bientôt faire nuit, le ciel est clair et l'air n'est pas pollué, l'air est froid ce soir. D'un froid glaçant qui te prends aux tripes, parce qu'on est en février.
Je n'aime pas l'hiver, mais avec l'air pur et le ciel sans nuages, c'est le meilleur moyen de voir les étoiles.
Les étoiles brillantes qui envahissent le ciel, toutes regroupées par petits tas ou bien toutes espacées en constellations géométriques. Elles brillent de toutes leurs forces. On dirait moi.
Les étoiles ne sont peut être pas si extraordinaires à l'intérieur. Juste un truc en fusion, qui se brûle les ailes à force de colère.
Et en façade elles sont étincelantes, elles donnent le change devant le reste du monde.
J'adore les étoiles.

-Alors, c'était comment?
J'entends des bruits derrière elle au téléphone.
-Tu fous quoi? Ça fait du bruit, c'est chiant.
Elle soupire. Et ça me fait sourire.
-Rien. Bon, c'était comment avec docteur Freud 2.0?
-Ultra casse couille. J'ai fait que regarder par la fenêtre. Ce vieux mec est super lourd, il pige rien. Je crois qu'il comprend pas à quel point j'ai pas besoin de lui. C'est un putain d'emmerdeur.
Ma mère passe devant moi en écarquillant grand les yeux et en ouvrant la bouche d'un air assommé.
J'éclate de rire, parce que je sais qu'elle se fout complètement de mon opinion sur mon psy, c'est juste pour les gros mots.
Aujourd'hui, tout le monde me fait rire.
Je me sens plus heureux que l'humanité toute entière.
Du moins, ce qu'il reste de l'humanité.

Le sol du balcon est froid, mais le ressenti du froid sur ma peau rougie ne me procure que du bien. Je suis assis en tailleur, et putain, il n'existe sûrement pas meilleur endroit.
Demain soir sera plus problématique. Je le sais, il le faut, mais je n'ai pas la force d'y penser. Il faut juste que je m'attache, que je m'agrippe, de toute mes forces, à des moments comme ça. Des moments où je me sens atrocement bien, perdu quelque part entre ces fichues étoiles et le carrelage gelé.
Ça ne sera pas facile d'oublier. C'est vrai, peut on réellement oublier quelque chose? Je crois que non. Je me souviendrais toujours de tout, j'aurais toujours ce réflexe de fuir en voyant des flics, j'aurais toujours l'impression que notre pays ne tient pas debout et qu'il va se casser la gueule. Non, je refuse d'oublier.
Je dois me souvenir de ce que ça fait de parler des constellations du ciel de novembre à Lil, de courir entre les sapins avec elle et de glisser dans la poudreuse.
Je dois me souvenir de son rire. De ce que ça fait à mes tripes et à mon cœur de l'écouter.
Je dois me souvenir de ce que ça fait de découvrir ces trucs clichés comme le bonheur quand ça fait des années qu'on est triste à en crever.
Ouais, je dois me souvenir, de tout. Avant que ça tombe dans l'oubli.

Je crève de froid, assis ici. Je ne sais pas vraiment comment l'exprimer, je me triture le cerveau pour trouver les bons mots.
C'est toujours comme ça. Tu ressens un truc stupéfiant et qui te cloue au sol mais les mots sont banals et sans intérêt. Ils ne donnent pas assez de valeur à ce qui représente tout un monde pour toi.
Ce soir, ça paraît être ma nuit.
Ce soir, j'ai les jambes qui me démangent tellement elles sont engourdies. Mais pourtant, je n'ai pas envie de bouger. Je suis stupéfait par le ciel, j'en absorbe chaque détail, chaque atome, et ça traverse ma peau, de part en part. Je m'en empreigne comme une éponge, jusqu'à exploser.
Je veux tout retenir, tout connaître par cœur.

J'ai les yeux explosés, rouges et cernés. Malin la nuit blanche, Tom.
J'attrape mon sac et j'essaie de mettre mon bonnet du mieux possible.
Je suis fatigué et de mauvaise humeur.
Et aujourd'hui, c'est les exams.
Ça va vraiment être une journée dont on se souvient, mais pas dans la bonne catégorie.
J'ai une subite envie de mourir.

Lettre par lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant